Mon âme est en peine… Le 21 avril 2020, mon homonyme Mariam a rendu l’âme à Bobo-Dioulasso. Après plus de dix ans dans la prostitution, le VIH-SIDA et surtout la misère avaient fini par avoir raison d’elle. Qu’adviendra-t-il de sa fille de cinq ans, confiée à une de ses collègues de trottoir ? Découvrez mon récit.

On pense souvent à tort, que nous les journalistes sommes insensibles aux événements malheureux que nous relayions au quotidien. Cela n’est pas vrai ni pour moi ni pour l’écrasante majorité de mes consœurs et confrères.

Ma rencontre avec Mariam, le 5 mars 2019 à Bobo-Dioulasso, dans le cadre d’une enquête sur les enfants nés de la prostitution, paru dans Sidwaya du 30 décembre 2019, en est une parfaite illustration.

La quarantaine bien sonnée, mon homonyme est au bout du rouleau, après plus de dix ans dans le métier de la prostitution et le VIH dans le sang.

Très affaiblie, abandonnée par tous, la séropositive s’est renfermée avec sa fille dans une maisonnette, à l’arrière-cour d’un cabaret, à Tounouma, un quartier de Bobo-Dioulasso.

La piaule qu’elle louait à 7500 FCFA le mois, lui servait aussi de lieu de ‘’travail’’.

Cette cour récemment transformée en cabaret n’était autre que l’ancien « Bonheur de Tounouma », un site qui abritait des chambres de passe.

Pour protéger sa petite et mettre ses clients à l’aise, Mariam avait décidé de confier la garde de sa progéniture à une femme à Ouagadougou, contre une rémunération mensuelle de 30 000 FCFA. Sa fillette lui a été « expédiée » à bord d’une compagnie de transport, quelques jours plutôt à cause des impayés.

A Tounouma, la dame est aussi en sursis

« Je ne peux plus sortir, car je suis très malade. J’ai plus de 12 mois d’arriérés de loyer (7 500FCFA le mois) et le bailleur menace de m’expulser. La situation est tellement difficile que si je prépare aujourd’hui, il faut souvent attendre cinq jours pour manger à nouveau », m’explique mon homo.

Mariam cache maladroitement son corps très affaibli et couvert de gros boutons noirs, qu’elle tente de couvrir avec un pull- over qui ne la quitte presque jamais.

Elle me présente par la suite, les photos de son ‘’avant-avant’’.

Cette belle femme si coquette, aux tenues soignées et aux coiffures impeccables, n’a rien à voir avec mon homonyme, une loque humaine, avec pour seuls objets de valeur, des ustensiles entièrement noircis par l’usage du charbon.

Quand Mariam avait encore un peu d’énergie, elle offrait la passe à 500FCFA juste pour s’alimenter, me relate sa camarade B.B.

Lorsque mon homo s’est totalement affalée, B.B qui avait abandonné le trottoir pour se consacrer à sa buvette, a dû revoir ses plans.

« Entre- temps, j’avais arrêté. Mais j’ai dû reprendre pour m’occuper de ma camarade Mariam qui est très malade et qui est toute seule, sans famille », confie cette mère de deux garçonnets, ayant également la charge d’un troisième enfant abandonné par une ‘’collègue’’.

B.B a même initié une collecte de fonds auprès des professionnelles du sexe pour aider Mariam à rentrer chez elle pour les soins.

Mais cette dernière a décliné l’offre car elle n’était pas en bons termes avec sa famille depuis belle lurette. Finalement, la mort est venue au secours de mon homo, le mardi 21 avril 2020, à 13h22mn, dans les locaux de l‘association « Espoir et Vie » à Bobo-Dioulasso, en abrégeant ses souffrances.

Il reste maintenant à la vie et à la société de donner un espoir à sa fille. Sa nouvelle tutrice F.K, une travailleuse de sexe séropositive, a préféré l’a confier à une autre professionnelle à Tounouma, afin de vaquer librement à ses occupations.

Le piège de la prostitution

Rien ou presque rien ne prédestinait Mariam à une si triste fin. Cette orpheline de père, originaire d’un pays voisin, avait pu combler la pesante absence de son paternel, dans un mariage scellé religieusement et civilement.

Seulement, le mariage vola en éclats et Mariam s’en alla, sans ses deux enfants (un fils et une fille). Elle est cependant restée muette sur les raisons de ce premier échec et de son différend avec sa famille.

La déception semble avoir jeté la jeune femme dans le labyrinthe de la prostitution. C’est pourtant dans ce métier qu’elle se mettra à nouveau en couple avec l’un de ses réguliers clients.

Le duo filait le parfait amour jusqu’au jour où Mariam se rendit dans la capitale chez des parents pour accoucher.

A son retour, son ‘’époux’’ avait aménagé avec une nouvelle conquête et Mariam ne faisait plus partie de son agenda matrimonial.

Se sentant délaissée, la nouvelle maman sollicite en vain auprès du père de sa fille, des frais de transport pour rejoindre ses parents. Après le refus de ce dernier, elle a fait des petits métiers pour survivre. D’aide-vendeuse de marchandises à lessiveuse, elle s’est retrouvée pleinement dans la « débauche ».

C’est ainsi qu’avec son nourrisson de huit mois, elle débarque à Bobo-Dioulasso dans la capitale économique burkinabè. Mariam décide alors de vivre des ‘’fruits’’ de son corps jusqu’à contracter le mal du siècle.

La journaliste et les services sociaux

En ce 5 mars 2020, j’ai été touchée par l’histoire de cette femme que je venais de rencontrer. Bien sûr, des témoignages solides comme celui de son premier époux ou de ceux de sa famille ou encore de ses proches, sont nécessaires pour éclairer toutes les zones d’ombre, notamment les évidentes erreurs de Mariam. Leurs contacts m’ont été refusés.

Mais à l’instant T, ce n’était pas ma préoccupation. J’avais sous les yeux, une grande sœur voire une mère qui avait perdu toute sa dignité et je me devais de faire quelque chose pour la restaurer un tant soit peu.

J’ai d’abord contacté l’ex directeur régional en charge de l’Action sociale de l’Ouest, Moussa Ouattara qui m’a demandé de voir avec le service social le plus proche.

Avec le photographe Remi Zoeringré et le conducteur Firmin Kaboré, nous avons accompagné Mariam, sa fille et sa copine B.B chez l’ex chef de service Enfance de Bobo-Dioulasso, Auguste Ouattara, préalablement alerté du cas.

Grâce à leur promptitude, dès le 10 mars 2019, Mariam a été prise en charge par les services compétents de la direction régionale, aussi bien sur le plan médical qu’alimentaire. Il était même question de placer sa fille dans une famille d’accueil.

Sur mon conseil et vu son état, Mariam a accepté le principe d’abandonner ce métier, surtout qu’elle n’avait même plus la force de s’y adonner.

Depuis lors, nous avons gardé le contact. Elle m’appelait chaque fois qu’elle faisait face à des difficultés particulières.

N’ayant aucune attache sur place et dans l’incapacité de s’adonner à son dégradant et risquant métier, elle était permanemment en détresse.

En début d’année 2020, Mariam m’informait que depuis quelque temps, elle ne recevait plus de vivres, à cause d’une rupture de stock à l’Action sociale.

« Après les vivres de l’Action sociale, je me débrouillais pour la nourrir. Ce n’était pas facile, car ça n’allait toujours pas chez elle », m’a confié plus tard, le 4 mai 2020, F. K, une autre de ses ‘’collègues’’ séropositive, l’ayant rejointe plus tard dans sa cabane. Par la suite, je l’ai orientée vers des structures étatiques (Secrétariat permanent du Conseil national de lutte contre le SIDA et les IST : SP/CNLS), confessionnelles et associatives.

En fin février 2020, elle a bénéficié d’une prise charge médicale au centre ambulatoire de l’association « Espoir et Vie » de Bobo-Dioulasso. Dieu merci, sa fille a même été testée négative.

Ayant remarqué par la suite que la patiente n’était pas observante dans la prise des produits, des éléments de l’association l’assistaient à domicile.

« Entre- temps, elle a rechuté. Nous avons repris son traitement qui semblait lourd », précisera le président de cette association, Arouna Barro, au téléphone le lundi 4 mai 2020. Après la reprise de son traitement, Mariam était très joviale au téléphone et me rassurait de l’amélioration de son état de santé.

Mais mon soulagement allait être de courte durée.

Le 17 avril 2020, j’ai reçu un appel manqué de mon homo. Connaissant les raisons de ces multiples appels, notamment le manque de vivres, j’ai tenté à nouveau de la mettre en contact avec d’autres structures.

C’est l’association « Vie Positive » à Ouagadougou qui a bien voulu nous recevoir en nous donnant rendez-vous, le jeudi 30 avril 2020.

En prélude à cette rencontre avec le responsable de l’association, j’ai joint en vain les deux numéros de mon homo jusqu’au 27 avril 2020.

Le jour de la rencontre, pendant que j’attendais le président de l’association « Vie positive », Hamidou Kaboré, j’ai encore tenté de joindre Mariam, sans succès.

Inquiète, j’ai joint le responsable de l’association « Espoir et Vie » de Bobo, Arouna Barro. « Nous l’avons perdue. Elle est décédée le 21 avril dans nos locaux ».

La phrase de M. Barro m’a glacée le sang. En fait, je me battais pour quelqu’un qui n’était plus de ce monde depuis neuf jours. Après avoir rassemblé mes esprits, j’informai Hamidou Kaboré que ma visite n’avait plus d’objet.

Jointe au téléphone le lundi 4 mai dernier, l’une des conseillères de Espoir et Vie, Gisèle Bazié, a confié que le samedi 18 avril, elle s’est rendue chez la patiente après son coup de fil, faisant cas de la dégradation de sa santé.

« Je suis allée lui rendre visite. Elle était alitée et nous avons beaucoup échangé. Dans la matinée du mardi 21 avril, elle m’a encore appelé. Arrivée chez elle, elle ne pouvait plus marcher. C’est avec l’aide d’un taxi, que nous l’avons emmenée à notre centre sous les pleurs de sa fille. Elle a bénéficié des premiers soins en attendant l’arrivée du médecin à 14h00. Malheureusement, elle a succombé avant l’arrivée de celui-ci », a-t-elle dit tristement.

Après les constats d’usage, sa dépouille a été envoyée à la morgue de l’hôpital Sanou-Sourou de Bobo-Dioulasso.

Mariam a été inhumée le lendemain aux environs de 11h00 au cimetière « route de Dédougou », grâce à son ex -logeur, des jeunes du quartier et avec le soutien des membres de l’association Espoir et vie.

C’est ainsi que Mariam, mère séropositive, prise dans les tourments de la vie, s’en est allée, laissant sa fille de cinq ans aux mains d’une autre professionnelle.

En attendant un éventuel retour chez ses grands-parents, l’orpheline traîne encore à Tounouma.
Que deviendra cette orpheline qui ne connaît pas son père ? Aurait-elle la chance de grandir comme les enfants de son âge ?

Que faire pour qu’elle évite les rouages de la prostitution vue qu’elle est déjà dans son antichambre ?

Autant de questions auxquelles toute une société désinvolte et de plus en plus indifférente aux drames humains, doit répondre.

Selon K.F, la famille de la disparue attend la réouverture des frontières pour lui envoyer l’argent, afin qu’elle lui ramène leur petite-fille.

L’histoire de mon homonyme doit également interpeller les hommes et les femmes sur la nécessité de resserrer les liens familiaux, afin d’éviter que leurs filles ne se retrouvent sur les trottoirs.

A mes sœurs, je leur dirai que nous ne devons pas céder à la facilité car la prostitution est un métier qui avilit tôt ou tard ses adeptes.

C’est également l’occasion pour exhorter les autorités à ne pas reléguer la lutte contre le VIH-SIDA et autres infections sexuellement transmissibles, aux seconds plans.

En d’autres termes, la COVID-19, aujourd’hui à la une, ne doit pas occulter les autres maladies qui font actuellement des ravages dans la société.

Agence d’information du Burkina

Un récit de Mariam OUEDRAOGO