L’intersyndicale des Magistrats n’est pas du tout contente des décisions prises en conseil des ministres le 8 juillet dernier, en l’occurrence, la restriction de l’usage des véhicules de fonction affectés aux présidents des cours d’appel, aux procureurs généraux, aux commissaires de gouvernement près de ces dites cours et la baisse de la prise en charge du déménagement des magistrats qui passe de 2000 F à 20 F le kilomètre, "un coût appliqués au reste de la fonction publique" selon le ministre Dandjinou.
L’intersyndicale invite ses militants "à se tenir prêts pour des actions visant à préserver leurs acquis".

Déclaration de l’intersyndicale des Magistrats face à la persistance du gouvernement dans l’exécution de son plan cynique d’embrigadement et de « déstabilisation » de la magistrature

A la suite du Conseil des Ministres du 08 juillet 2020, le porte-parole du gouvernement burkinabè, monsieur Rémis Fulgance DANDJINOU, annonçait à l’opinion nationale, qu’il a été adopté deux décrets, dont l’un permet de « régulariser la situation des magistrats en service dans les hautes juridictions » et l’autre de
« restreindre les bénéficiaires de certains avantages, en application des dispositions du décret n°2016-56/PRES/PM/MINEFID/MJDHPC du 25 avril 2016 portant grille indemnitaire, primes et avantages de toute nature alloués aux magistrats en fonction et aux auditeurs de justice ».

Il importe de préciser qu’aucune concertation préalable avec les syndicats de magistrats n’a eu lieu avant l’adoption de ces décrets à la surprise générale des magistrats.

Cette situation plutôt burlesque et révélatrice d’un gouvernement aux antipodes des principes de l’État de droit moderne où les décisions concernant les conditions de vie et de travail des agents doivent se baser sur un dialogue démocratique et participatif nous indique très clairement que les appels incessants du Président du Faso à la
« trêve sociale » n’est autre qu’une invite à la reptation.

L’attitude du gouvernement, au-delà de la volonté manifeste d’asphyxier financièrement les magistrats, viole l’engagement prévu à l’article 6 alinéa 1 du Pacte national pour le renouveau de la justice qui prévoit que : « Il appartient aux autres pouvoirs publics de donner au pouvoir judiciaire les moyens nécessaires à son action.

Et le pouvoir judiciaire doit pouvoir participer ou pouvoir être entendu en ce qui concerne les décisions relatives aux moyens matériels.

Le traitement accordé au pouvoir judiciaire doit permettre aux détenteurs de ce pouvoir d’être au même niveau de considération que les détenteurs du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif.

Cette considération est tributaire notamment du rang protocolaire, des avantages et droits accordés aux détenteurs du pouvoir judiciaire en tant que hautes autorités.
Les textes y relatifs doivent être relus pour prendre en compte ces principes ».

Sur la base de cette clause du pacte, le Conseil National de la Transition a adopté la loi n°050-2015/CNT du 25 août 2015 portant statut de la magistrature dont l’article 72 dispose que « Le traitement accordé au pouvoir judiciaire doit permettre aux détenteurs de ce pouvoir d’être au même niveau de considération que les détenteurs du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif.

Cette considération est tributaire notamment du rang protocolaire, des avantages et droits accordés aux représentants du pouvoir judiciaire en tant que hautes autorités ».

Cette énième provocation des magistrats fait suite à une succession d’actes de clochardisation et d’avilissement éhonté de la magistrature, principalement sous la houlette des Ministres de la Justice, Garde des Sceaux, monsieur Bessolé René BAGORO, de la Fonction Publique, du Travail et de la Protection Sociale, monsieur Séni OUEDRAOGO et enfin, celui de l’Economie des Finances et du Développement, monsieur Lassané KABORE. On peut relever notamment :
 la tentative de recruter désormais les magistrats à partir des titulaires du diplôme de la licence en droit, pendant que certains collaborateurs des magistrats, officiers de police judiciaire (OPJ) et avocats sont désormais recrutés avec des diplômes plus élevés ;
 la tentative d’étouffement de toute spécificité de la magistrature ;
 les discours tendant sans équivoque à avoir le contrôle du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), intention manifestée sans équivoque par des propos du Chef de l’Etat disant en 2016 que « la justice ne doit pas être son propre patron » et celui de l’ex-Président de l’Assemblée Nationale, feu Salifou DIALLO déclarant qu’« on ne va pas quitter dans le pouvoir des armes pour tomber dans le pouvoir des juges » ;
 la tentative d’étouffement du pouvoir d’achat des magistrats dont la revalorisation des conditions salariales semble être le mobile subtile de l’extension de l’IUTS sur les primes et indemnités, le tout doublé des coupures sauvages opérées sur leurs traitements en mars et avril 2020 ;
 les révélations récentes des réseaux sociaux faisant état de l’existence d’un « plan de déstabilisation de la justice au profit du gouvernement » ;
 Etc…

Qu’est-ce qui peut justifier alors cet acharnement du gouvernement en place à l’encontre des magistrats ?

Avant les réformes opérées à la faveur de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, la justice burkinabè semblait être un appendice du pouvoir exécutif en ceci que, notamment :
 la présidence et la vice-présidence du CSM étaient assurées respectivement par le Président du Faso et son Ministre de la Justice, Garde des Sceaux ;
 l’opportunité des poursuites en matière pénale était implicitement consacrée au profit de l’exécutif à travers le Ministre de la Justice, de sorte que ce dernier pouvait donner l’ordre au Procureur de poursuivre ou de ne pas poursuivre un citoyen ;
 les propositions de nominations aux fonctions de chefs de juridictions étaient faites par le Ministre de la Justice qui pouvait affecter un procureur en tout temps et en tout lieu ;
 le Ministre de la Justice notait tous les magistrats du Burkina ;
 Etc…

A l’issue des réformes opérées conformément aux recommandations du Pacte national pour le renouveau de la justice :
 la présidence et la vice-présidence du CSM ne sont plus assumées respectivement par le Président du Faso et le Ministre de la Justice mais par les Premiers Présidents de la Cour de Cassation et du Conseil d’Etat ;
 le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux n’a plus de pouvoir à exercer sur les Procureurs du Faso et les Procureurs généraux ;
 les propositions de nominations des magistrats aux fonctions de chefs de juridiction ne sont plus faites par le Ministre de la Justice mais par le CSM à la suite d’appel à candidature ;
 les magistrats sont notés désormais par leurs supérieurs hiérarchiques immédiats et non par le Ministre de la Justice ;
 Etc…

L’adoption des décrets d’opérationnalisation de ces réformes étant intervenue suite à une lutte acharnée des magistrats en 2016, il était prévisible que le gouvernement, très nostalgique de l’époque de la domination des juges par l’exécutif et surtout avec des dossiers dont l’évolution ne semble pas du tout être de son goût, sera en guet de toute opportunité permettant de revenir sur l’ordre classique, préférant une justice de classe à une justice du peuple. Du reste, monsieur Bessolé René BAGORO avait juré publiquement au temps fort de la lutte en 2016 que le gouvernement « ne prendra pas de décisions démagogiques (…). Pendant qu’on se préoccupe des questions sécuritaires, les gens se permettent de faire des revendications catégorielles ». Malgré ce serment public prononcé sur le code personnel de son immodestie, le Ministre de la Justice constatera impuissamment l’adoption des décrets d’application du statut de la magistrature.

Que faudrait-il attendre encore de ce Ministre aux élans revanchards et aux convictions inconstantes si ce n’est de travailler âprement à remettre en cause les acquis issus des réformes ?

A-t-il oublié, en ayant sa main dans la soupe gouvernementale faite d’une violation inouïe du décret sur la rémunération des membres du gouvernement, qu’il ne sera pas éternellement Ministre et que certains des collègues qui l’ont précédé à ce poste dans de telles initiatives contre la magistrature n’affrontent que très difficilement aujourd’hui la lumière ?

Avec quel corps n’a-t-il pas, du reste, eu maille à partir depuis qu’il est à la tête du département de la justice ?

Que dire de plus, au regard du pourrissement continu du climat social, si ce n’est regretter amèrement l’attitude dédaigneuse et insouciante du gouvernement vis-à-vis des souffrances et interpellations des travailleurs ?

En tout état de cause, l’intersyndicale rassure le gouvernement que ses provocations recevront des réactions proportionnelles des magistrats plus que jamais déterminés à se battre pour faire échec à son funeste plan. Elle appelle l’ensemble des magistrats :

 à se tenir prêts pour des actions visant à préserver leurs acquis et l’indépendance de la magistrature ;

 à continuer avec le courage, la sérénité et l’impartialité dont ils ont jusque-là fait montre dans le traitement de certaines procédures que le gouvernement aurait voulu voir étouffer ;

 à garder à l’esprit que par sa manière de procéder, le gouvernement pense pouvoir nous diviser pour, suivant sa « loi de l’acceptabilité et de la progressivité » parvenir à une remise en cause des droits et acquis des magistrats. L’intersyndicale sait chaque magistrat suffisamment lucide pour en tenir compte.

Fait à Ouagadougou le 11 juillet 2020

P/le Syndicat Autonome des Magistrats Burkinabè (SAMAB)
Le Secrétaire général
Emmanuel S. OUEDRAOGO

P/le Syndicat Burkinabè des Magistrats (SBM)
Et P/ Le Secrétaire général
Nestor KIENTGA
(Secrétaire aux relations extérieures)

P/le Syndicat des Magistrats Burkinabè (SMB)
Le Secrétaire général
Diakalya TRAORE