La scène s’est passée la semaine dernière, aux environs de 19 heures dans un jardin public de l’arrondissement 10 de Ouagadougou, face à l’hôpital pédiatrique Charles de Gaulle. J’y avais rendez-vous avec des amis pour prendre un verre. Après une journée de dur labeur, le soir venu, on décompresse. Se retrouver pour se raconter sa journée faite d’angoisse, de coup de colère, de rendez-vous manqués, mais aussi de bonnes rencontres, ça fait du bien. Des échanges qui ont l’effet parfois d’une thérapie réparatrice.
Ce coin, on le fréquente depuis des années, comme des milliers d’autres Ouagalais. Mon ami, toujours à l’heure comme une horloge suisse, arrive le premier. Il se gare tranquillement là où il en l’habitude. Mais, il n’a pas éteint son véhicule qu’un vieux surgit de nulle part, dans l’obscurité et vocifère des menaces contre lui, en mooré. « Pourquoi tu marches sur nos nattes ; tu ne vois pas non ? C’est quoi ça ? ». Surpris, mon ami bafouille. Il ne comprend pas l’agression dont il est l’objet, mais ne se laisse pas faire. « Mais monsieur, je n’ai pas vu qu’il y avait des nattes étalées. Ici, c’est le parking d’un maquis. Je me gare souvent là et je n’y ai jamais vu des nattes, surtout que c’est dans l’obscurité », rétorque t-il. Le vieux lui dit que ça fait longtemps que des musulmans prient tous les soirs sur cette aire et qu’il doit le savoir.
Quand j’arrive à mon tour, je me dirige vers le parking qui m’est aussi familier, et je constate, sur un espace éclairé, une dizaine nattes étalées en attendant l’arrivée des fidèles. Le gérant du maquis, qui a manifestement signé une sorte de gentlemen-agreement, a volontairement disposé ses tables à quelques mètres de l’aire de prière. Je demande pourquoi on ne peut pas s’asseoir là où, il y a quelques semaines, on avait bu tranquillement notre bière. « Les grands frères commerçants du coin viennent prier ici tous les soirs, et j’attends la fin pour déployer mes tables et chaises. C’est comme ça ; je ne sais pas quoi faire, mais c’est comme ça », répond le gérant.
En l’espace de quelques minutes, l’espace est effectivement rempli de fidèles accomplissant, derrière l’imam, la prière du soir. A peine un quart d’heure et c’est terminé. On plie les nattes qu’on range dans une cachette.
Le gérant du maquis déploie son matériel et nous regagnons l’endroit où nous voulions nous asseoir.
La scène, en apparence anecdotique, ne l’est pas du tout. Le jardin public n’est pas un lieu de prière, mais un espace laïc, qui doit être accessible à tous les citoyens en tout temps et en tout lieu sur le territoire national. L’expression de la foi, faut-il le rappeler, est un acte strictement privé qui ne saurait, sous aucun prétexte, entraver la liberté des citoyens. Si des musulmans peuvent occuper le parking du jardin pour prier, des chrétiens aussi devraient pouvoir le faire, et rien n’empêcherait non plus que des traditionalistes viennent y égorger un coq tout blanc ou un bouc noir, pour solliciter la protection des ancêtres. Sans que cela ne suscite la moindre objection.
Le Burkina est un Etat laïc ; c’est écrit dans la constitution. La religion relève de la sphère privée. Le maire de l’arrondissement 10 de Ouaga et le préfet devraient veiller à faire respecter cette disposition constitutionnelle, et rappeler qu’on ne transforme pas un espace public en lieux de culte. Des citoyens pourraient être tentés de charger. A leur manière.

Joachim Vokouma
Kaceto.net