La rentrée sera t-elle agitée ou au contraire sera t-elle marquée par l’apaisement du climat social grâce à une reprise du dialogue entre le gouvernement et ses partenaires sociaux ?
C’est le question que KACETO.NET est allé poser au secrétaire général de la Confédération syndical du Burkina (CSB), Guy Olivier Ouédraogo, également président du mois de l’Union d’action syndicale (UAS), l’interlocuteur légal du gouvernement en matière de dialogue social.
Dans l’interview qu’il nous a accordée dans son bureau à la Bourse du travail, il a répondu sans langue de bois à toutes nos questions, égratignant au passage certains de ses collègues qui se livrent, selon lui, plus d’agitations politiques qu’à un combat syndical pour plus de justice sociale.

A quand la reprise des discussions entre l’Union d’action syndicale et le gouvernement ?

Nous avons reçu le 24 juillet 2020 une correspondance du gouvernement signé par le ministre de la Fonction publique nous demandant de proposer une période pour la reprise des discussions. Nous nous sommes réunis et avons répondu à ce courrier en indiquant que le mois de septembre nous convenait, à charge pour le gouvernement de fixer les dates et l’ordre du jour des discussions. Nous avons souhaité être prévenus une semaine avant afin de nous permettre de nous préparer.

La demande de suppression de l’IUTS sur les indemnités et primes des agents de la fonction de la fonction publique était le point d’achoppement entre vous et le gouvernement. Quelle est votre position en tant que président du CSB et président du mois de l’UAS sur ce point ?

Cette question ne fait plus partie de l’ordre du jour de l’UAS. Le débat sur l’IUTS est derrière nous, car le principe est que si on ne s’entend pas sur quelque chose, chacun fait ce que son organisation et son idéologie lui commandent. Nous avons épuisé le débat sur l’IUTS au niveau de l’UAS et il n’y a plus de position commune à rechercher sur le sujet. Le débat est terminé. Nous sommes dans la même situation que lorsque nous débattions sur les hydrocarbures. A l’époque, les organisations syndicales qui composent l’UAS ne s’étaient pas entendues sur les propositions communes et chacune est partie défendre ses positions. La suite nous a donné raison. Voyez-vous, pour celui est allé jusqu’en CM1, il comprend la différence entre le prix d’achat, le prix de vente et le prix de revient. Il sait que lorsque le prix d’achat augmente, le prix de vente va aussi augmenter, et si le prix d’achat baisse, le prix de vente doit aussi baisser.
Certains de nos camarades ont dit que les choses ne se passaient pas ainsi et le débat a été clos. Aujourd’hui, le prix du carburant augmente et baisse selon les circonstances et personne ne s’en plaint. J’ai parcouru le monde et j’ai toujours vu ces fluctuations se produire y compris dans les pays producteurs de pétrole comme le Nigeria. Qui ose maintenant remettre en cause la fluctuation des prix des hydrocarbures ?
Sur l’IUTS, c’est pareil. Nous n’avons pas de position commune sur le sujet et chacun va assumer ses responsabilités. Pour les autres doléances, nous allons continuer les discussions entre nous. Mais je le dis, le débat sur l’IUTS est très honteux pour le mouvement syndical !

En quoi est-il honteux ?

Je regrette de le dire, mais certains de ceux qui polémiquent sur l’IUTS ne savent pas ce qu’est la honte, parce que tout simplement les débats auxquels nous assistons n’ont rien à voir avec l’augmentation des revenus des travailleurs, qui proviennent d’ailleurs, faut-il le rappeler, de la sueur de tous les Burkinabè !
Les hôpitaux, les routes et les infrastructures sont financés grâce au travail de tous les Burkinabè. Je suis parfaitement d’accord qu’il faut se battre pour que les revenus soient bien gérés. Mais quand on tend en permanence la main à d’autres pays alors qu’on sait que chez eux aussi, ce sont les impôts qui permettent de nous aider, c’est très honteux de dire qu’on ne va pas payer des impôts dans son propre pays. Chercher à augmenter mes revenus en ne payant pas d’impôt, est-ce normal ?
Dans le cahier de doléances, il y a la plateforme minimale dans laquelle c’est écrit noir sur blanc une revendication de hausse de salaires de 30% avec la suppression de l’IUTS. A l’époque, nous avions dit qu’on ne pouvait pas demander la suppression des impôts en même temps que l’augmentation des salaires. Le problème, c’est que des syndicats des organisations professionnelles ont mené des luttes sectorielles et ont obtenu l’augmentation de leurs revenus. Et ils continuent de demander la suppression de l’IUTS, comme s’ils ne savaient pas qu’en augmentant leurs revenus jusqu’à un certain niveau, ils allaient être frappés par l’IUTS ! Soyons sérieux !

Vous dites que l’application de l’IUTS sur les indemnités et les primes frappe très peu de personnes. Pouvez-vous être plus précis ?

Je le confirme ! Je viens de recevoir à l’instant (l’ITW a eu lieu le vendredi 14 août) la convention collective des transporteurs routiers. Quand on regarde de près les indemnités dont ils bénéficient par rapport à la réforme proposée par le gouvernement, aucun routier n’est touché par l’IUTS. Même pas les cadres !
Pareil dans le secteur financier décentralisé et chez les boulangers. Au niveau de la fonction publique, il y a près de 17 000 personnes qui ne sont pas touchées et 80% de fonctionnaires paient au maximum 5000 F.

Dites-nous alors, qui est réellement concerné par l’application de l’IUTS sur les indemnités et les primes ?

Je vais vous le dire : Ce sont les magistrats, les agents du MINEFID avec leurs fonds communs et les professeurs d’université. C’est tout. Mais ils représentent combien par rapport aux 200 000 agents de la fonction publique ? Il y a trop de bruits sur l’IUTS parce que ces gens ont une influence sur la société ; un professeur d’université, un magistrat ou un agent du MINEFID, ce n’est pas n’importe qui, mais est-ce une raison de bloquer une réforme qui profite au plus grand nombre ?
Qu’on nous présente des études qui montrent que l’application de l’IUTS ne répond pas à un souci de justice sociale. Il y a une fixation sur l’IUTS parce que la minorité qui est frappée a une influence et que certains syndicats font du clientélisme syndical pour avoir ces gens avec eux. Voilà le nouveau syndicalisme : quelqu’un a son problème que j’achète en espérant l’avoir avec moi, mais on ne prend pas le temps d’analyser le problème de fond.

Vous, à la SONABEL, quel est l’impact de cette réforme sur les revenus des agents ?

Personnellement, j’ai eu une augmentation de mes revenus, soit 11 000 F ! Le relèvement des seuils d’imposition nous profite et, à la SONABEL par exemple, des agents d’exécution et les cadres moyens ont gagné, les derniers jusqu’à 6000 F !
Quand on parle de justice sociale, ce ne sont pas des mots en l’air. Aujourd’hui, un vigile qui gagne environ 42 000F par mois et qui n’a pas d’indemnités paie 2000 F au titre de l’IUTS. Dans le même temps, un fonctionnaire qui est en catégorie B1 qui a 100 000 comme salaire de base, paie environ 5000 F, c’est-à-dire le double de celui du vigile, ce qui est normal. Mais quand on ajoute les 100 000 F comme indemnités qu’il touche aussi, ça lui fait un revenu total de 200 000 F. Et il ne paie que 5000 F contre 2000 F pour le vigile. Où est la justice sociale ?
La vérité est que c’est le petit qui contribue et un syndicat dont le rôle est de lutter contre les injustices sociales ne doit pas supporter une telle situation.

Vous êtes très critiques vis-à-vis de vos camarades…

Non, depuis quand les syndicats supportent les injustices sociales ? Pendant longtemps,
les fonctionnaires ne payaient pas l’IUTS sur les indemnités parce qu’elles étaient faibles et certains n’en avaient pas. C’était surtout les agents de la santé qui avaient des indemnités de logement. A partir de 2011, beaucoup de corps ont vu leurs indemnités qu’augmentées et à l’heure où je vous parle, des fonctionnaires ont parfois 4 fois le montant des indemnités qu’ils avaient en 2010 ! Ceux qui n’étaient pas imposables le sont maintenant et comme ils ne veulent payer, ils disent qu’il faut supprimer pour le privé qui payait depuis 1971 sans broncher !
Dans quel pays au monde l’impôt n’est pas indexé sur les revenus ? La constitution du Burkina et les lois le disent : on doit traiter les salariés de manière équitable ! C’est une affaire honteuse et de cupidité qui a gagné notre pays : gagner vite et beaucoup pour réaliser en cinq (5) ans ce qu’on doit faire en vingt (20) ans !

Au fil des années, le montant des indemnités s’est rapproché du salaire de base. Est-ce que les syndicats ne se sont pas faits avoir par les gouvernements successifs ?

Nous pensons qu’il faut revoir le mode d’imposition pour les retraites. Avant, les fonctionnaires ne payaient pas d’IUTS sur les indemnités parce qu’ils n’en avaient pas ou c’était trop peu pour être imposé. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas et nous estimons qu’il faut désormais prendre en compte les indemnités dans le calcul de nos retraites ! Ainsi, elles seront relevées et le gouvernement aussi va pouvoir prélever quelque chose pour ses caisses !

La plateforme de l’UAS dénonce également les atteintes aux libertés syndicales.
De quoi s’agit-il exactement ?

En réalité, ces derniers temps, il y des dossiers pendants au niveau de la justice et il y a surtout le code du travail qui est insidieux en ce qu’il autorise des contrats à durée déterminée à l’infini. Vous avez aussi suivi les nouvelles formes illégales de lutte développées par certains syndicats et qui ont été réprimées. Or, dans le privé, des camarades ont fait des sit-in et ont aussi été sanctionnés. Quand nous avons traduits les patrons devant le tribunal de travail, les magistrats nous ont déboutés en disant que dans les textes, le sit-in ou le mouvement d’humeur n’existe pas. Je constate que ce sont paradoxalement les mêmes magistrats qui crient à l’atteinte aux libertés syndicales parce qu’on leur applique les mêmes textes ! Il y a aujourd’hui beaucoup de populisme et d’enfantillage dans le syndicalisme burkinabè actuellement.

Quelle est votre position lorsque le gouvernement coupe les salaires pour fait de grève ?

C’est le travail qui lie le salarié à l’employeur et c’est le travail que je fais qui oblige l’employeur de me payer le salaire. Quand on n’a pas travaillé pour fait de grève, on ne doit pas s’étonner de ne pas recevoir la totalité de son salaire à la fin du mois.

Le conseil d’état a dit clairement que le mouvement d’humeur est une grève, c’est à dire, une cessation d’activité. On peut même faire un piquet de grève dans la cour de l’entreprise sans empêcher les autres d’aller travailler, ni perturber le fonctionnement de l’entreprise. Les textes du Bureau international du travail autorisent cela, mais quand on met la musique à hauts décibels pour perturber le travail des autres, ou pire, quand on empêche les autres d’aller travailler, ce n’est pas acceptable.

Etes-vous solidaires des trois agents des impôts qui ont été révoqués de la fonction publique ?

Non, je ne peux pas être solidaire d’eux, au grand jamais ! Nous sommes en démocratie et c’est dans le régime démocratique que les syndicats peuvent bien fonctionner, et non dans les régimes autocratiques. On ne peut pas accepter ce qui s’est passé ; c’est ce que j’appelle l’amateurisme syndical. Il y a une sanction administrative et si quelqu’un n’est pas d’accord, il y a des recours au niveau du tribunal administratif. C’est tout ce que je peux dire sur ce sujet.

Comptez-vous dans vos rangs des jeunes formés pour assurer la relève du combat syndical ?

Oui, nous avons des jeunes dans nos structures syndicales, mais à vrai dire, la formation n’est pas leur préoccupation. Ce qu’ils veulent, c’est gagner de l’argent toute suite. Quand on organise des séances de formation par exemple sur les valeurs de la social-démocratie, il n’y a pas grand monde. En revanche, si c’est pour revendiquer l’augmentation de salaire, la salle est pleine. Ce qui intéresse, c’est comment je vais pouvoir construire un duplex et acheter une voiture à la mode. Il y a une culture générale en baisse dans le pays et cela a impacté aussi le milieu syndical.

De syndicat révolutionnaire, la CSB se réclame maintenant de la social-démocratie.
Qu’est-ce qui a justifié cette mutation idéologique ?

Nous avons bien travaillé dans notre première idéologie depuis la création de la CSB en septembre 1974 jusqu’à l’avènement de la Révolution démocratique et populaire qui a réprimé nos militants. Nos dirigeants ont été emprisonnés et en 1991, avec la chute du mur de Berlin, puis la remise en cause du communisme, nous avons renoncé au syndicalisme révolutionnaire en 1994 pour adopter la social-démocratie en devenant des réformistes.
Nous sommes pour le libéralisme sous sa forme politique qui est la démocratie, mais en revanche, nous combattons son volet économique qui est le capitalisme. Nous nous battons pour que les richesses soient bien réparties et qu’une minorité ne s’accapare de tout en laissant des miettes à la majorité. C’est aussi le combat des révolutionnaires ! Mais entre nous, ceux qui se disent toujours révolutionnaires sont en réalité des socio-démocrates. Il n’y a plus de ligne marxiste-léniniste au Burkina. Ceux qui se réclament de cette idéologie, les rouges comme on les appelle, ne sont en réalité pas des rouges, car ils défendent la démocratie, la liberté de la presse, le respect des droits de l’homme et donc plus de démocratie !

La révolution n’est pas contraire à la démocratie…

C’est vrai, historiquement, ce sont des révolutions qui ont apporté la démocratie, mais la révolution marxiste-léniniste s’oppose à la démocratie et c’est ça le problème. Avec les marxistes-léninistes, la démocratie libérale n’a pas droit de cité et je pense que nous sommes tous des socio-démocrates. A preuve, parmi ceux que l’UAS a désignés pour participer à la rédaction de la nouvelle constitution, il y avait « des rouges » et ils n’ont pas fait se scandale lors des débats. Ils sont d’accord pour plus de liberté et de répartition équitable des fruits de la croissance.

Qu’est-ce qui, parmi les revendications, vous tient particulièrement à cœur actuellement ?

Le code du travail ! Il y a près de 500 000 personnes qui relèvent du code du travail en vigueur dans notre pays et qui est fondamentalement injuste. Il a été rédigé à un moment où le gouvernement voulait attirer les investisseurs, notamment dans le secteur minier et il fallait un code de travail attractif, comme disait le gouvernement de l’époque. Ce code du travail doit être révisé pour revoir les limitations de dommages et intérêts, les Contrats à durée déterminée sans fin et beaucoup d’autres choses qui ne tiennent pas la route.
Ce qui me tient aussi à cœur, c’est la remise à plat des rémunérations qui est également une question de justice sociale. Il faut arrêter avec les iniquités salariales dans la fonction publique. Mais au lieu qu’on en débatte sérieusement, on fait de l’agitation politique. L’iniquité a commencé en 2010 avec le statut particulier de la police, puis en 2011, ceux de l’éducation ont demandé une revalorisation de leurs indemnités. Au lieu d’accepter leur doléance, le gouvernement a fait « quelque chose de révolutionnaire pour aller vers plus de justice sociale », pour reprendre les mots du ministre de l’Economie de l’époque, Lucien Vebamba. Le gouvernement a ainsi augmenté les indemnités de logement et de sujétion à 37 000 fonctionnaires, ce qui n’avait jamais été une revendication de l’UAS. En prenant une telle initiative, le gouvernement nous a humiliés en nous faisant un cour sur la justice sociale. Je n’oublierai jamais ces moments-là !

En 2012 et 2013, les luttes ont continué et on s’est retrouvé avec plus d’une vingtaine d’indemnités différentes. Le gouvernement a alors décidé de rationaliser tous ces traitements dans un processus qui s’est achevé en 2014, mais encore avec des iniquités parce que les enseignants et les agents de santé voulaient encore des indemnités spécifiques, ce que le gouvernement a accordé pour les contenter.
Résultat : les autres corps ont alors réclamé leur part et avec les avantages accordés aux magistrats, le climat social s’est enflammé. Voici la vérité qu’il faut dire et tant pis si ça doit faire des vagues. J’assume mes propos et je souhaite que les jeunes qui vont lire cette interview sachent que c’est pour eux que nous nous battons depuis des années en espérant qu’ils vivront dans un monde meilleur que le nôtre.

Interview réalisée par Joachim Vokouma
Kaceto.net