Une large frange de la classe politique, de la France insoumise à Emmanuel Macron, a dénoncé samedi le « racisme » de dessins de la députée de Paris dans une fiction d’été du magazine conservateur.

Représentation « abjecte et inacceptable », « apologie du racisme » : la « politique fiction » du magazine conservateur Valeurs Actuelles sur la députée LFI Danièle Obono, dépeinte en esclave, a suscité samedi 29 août une vague de condamnations, jusqu’au chef de l’Etat.

Dans ce récit fiction de sept pages publié dans le cadre d’une série d’été où des personnalités politiques « voyagent dans les couloirs du temps », la députée de Paris, à la peau noire, « expérimente la responsabilité des Africains dans les horreurs de l’esclavage » au XVIIIe siècle, selon la présentation qu’en fait le magazine. Des dessins de Danièle Obono, collier en fer au cou, accompagnent ce « roman de l’été ».

Le chef de l’Etat Emmanuel Macron, qui avait accordé un entretien à Valeurs Actuelles fin 2019, a appelé la députée en fin de matinée pour lui faire part de sa « condamnation claire de toute forme de racisme », a indiqué l’Elysée à l’Agence France-presse.

Le premier ministre avait déjà réagi plus tôt dans la journée : « Cette publication révoltante appelle une condamnation sans ambiguïté », a tweeté Jean Castex, qui « partage l’indignation de la députée » et « l’assure du soutien de l’ensemble du gouvernement ». « La lutte contre le racisme transcendera, toujours, tous nos clivages », a ajouté le chef du gouvernement.

« Le racisme est un mal nocif. Il détruit. Il est un délit », a aussi rappelé la ministre déléguée à la ville Nadia Hai sur le réseau social. « On est libre d’écrire un roman nauséabond, dans les limites fixées par la loi. On est libre aussi de le détester. Moi je le déteste et suis (aux) côtés » de la parlementaire, a écrit pour sa part le ministre de la justice Eric Dupond-Moretti.

Danièle Obono dénonce une « souillure qui ne s’effacera pas »

Dénonçant « une insulte à (ses) ancêtres, sa famille » et « à la République », Danièle Obono a dit samedi soir sur BFMTV « réfléchir » à porter plainte. Cette publication est selon elle « une souillure qui ne s’effacera pas », mais surtout « l’aboutissement d’un acharnement médiatique » contre elle. La députée demande « des actes ». « Ça fait trois ans qu’on alerte sur le fait qu’il y a un processus de racialisation, de racisme dans ce pays », a-t-elle ajouté.

Dès vendredi, la députée avait évoqué sur Twitter une « merde raciste dans un torchon ». « L’extrême droite, odieuse, bête et cruelle. Bref, égale à elle-même », avait-elle ajouté. Le leader de LFI Jean-Luc Mélenchon s’était élevé contre un « harcèlement nauséabond » envers la députée.

Réprouvant vivement un « cortège de haines, comme l’ont déjà expérimenté beaucoup de responsables politiques noirs ou d’origine maghrébine ces dernières années », l’association SOS Racisme a indiqué dans un communiqué étudier « les suites judiciaires envisageables ».

Le président de l’Assemblée Richard Ferrand (LRM) a critiqué une « ignoble représentation d’une parlementaire ». « Tout mon soutien personnel et celui de l’Assemblée nationale face à ces abjections », a-t-il tweeté, suivi par de nombreux députés de tous bords. Depuis Malo-les Bains (Nord), lors de la journée d’été du PCF, son numéro un Fabien Roussel a lui aussi épinglé un écrit « particulièrement scandaleux ». Tout comme son homologue du PS Olivier Faure ou l’ancienne ministre écologiste Cécile Duflot.

A l’extrême droite, un responsable du rassemblement national, Wallerand de Saint-Just, a également condamné, toujours sur Twitter, la publication « d’un mauvais goût absolu » de Valeurs Actuelles : « le combat politique ne justifie pas ce type de représentation humiliante et blessante d’une élue de la République », selon lui.

« Valeurs actuelles » présente ses excuses

Mais, a répondu le magazine d’opinion, « il s’agit d’une fiction mettant en scène les horreurs de l’esclavage organisé par des Africains au XVIIIe siècle », « terrible vérité que les indigénistes ne veulent pas voir ».

« J’invite chacun à lire le texte et à voir ce qu’il contient, a ensuite fait valoir au Parisien Tugdual Denis, directeur adjoint de la rédaction, il vise à expliquer que l’esclavage n’est pas uniquement le fait des Européens mais également d’Africains ». Ce dernier reconnaît auprès du quotidien que le dessin représentant l’élue en esclave est « violent » : « C’est une image horrible car la thématique est horrible, assume Tugdual Denis, mais ce n’est pas du racisme ». Il reconnaît toutefois « comprendre que Danièle Obono se sente choquée, mais ce n’était pas l’intention ».

Samedi, dans l’après-midi, l’hebdomadaire a publié un communiqué, relayé sur Twitter, présentant ses excuses à la députée. « Si nous contestons fermement les accusations […], nous avons aussi suffisamment de clairvoyance pour comprendre que Danièle Obono ait pu se sentir personnellement blessée par cette fiction. Nous le regrettons et lui présentons nos excuses ».

Le Monde avec AFP