L’auteur de la Tribune ci-contre pointe sa plume contre ceux qui, prétendant défendre la démocratie, cachent en réalité à peine leur penchant putschiste en demandant le report des élections du 22 novembre prochain. Le seul rendez-vous républicain par lequel s’opère la dévolution démocratique du pouvoir d’Etat

Après l’échec du projet d’imposition d’un régime de transition à la fin du mandat actuel du président Kaboré en lieu et place des élections programmées pour le 22 novembre 2020, les amateurs de la courte échelle n’ont toujours pas désarmé. La dernière sortie du président de l’UNDD, Me Hermann Yaméogo invitant à mots couverts les Burkinabè et leur armée à imiter le voisin malien au terme d’une interprétation manichéenne de la règle de droit en est la parfaite illustration. Un appel du pied dont l’écho ne dépassera pas celui d’un pet eu égard à la maturité actuelle des compatriotes. Au regard de leur détermination à piper les dés pour assouvir des ambitions personnelles, il est à craindre qu’ils tentent d’organiser une contestation des résultats pour parvenir au même but si le scrutin se déroule à leur grand dam comme on l’imagine.
Il n’y a pas longtemps, certains opposants burkinabè regroupés dans une formation qu’ils ont dénommée « Opposition Non Affiliée » (ONA) exigeaient la mise en place d’un régime de transition à la fin du mandat actuel du président Kaboré au cas où il ne sera pas possible d’organiser le scrutin de novembre 2020 sur la totalité du territoire burkinabè. Le président Kaboré devrait selon leur entendement, regagner comme citoyen ordinaire son domicile et laisser aux forces vives de la nation le soin d’organiser une transition à l’instar de celle opérée après l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014. Face au refus unanime des partis que l’on pourrait dire de gouvernement (MPP, UPC, CDP, ADF-RDA…) d’effectuer délibérément un saut dans l’inconnu avec toutes les incertitudes possibles, ils ont vite fait de ranger leur projet sous le boisseau sans pour autant abdiquer et se sont investis les uns les autres à leur corps défendant, dans les préparatifs des élections annoncées. Au sein de l’ONA, plusieurs partis ont même désigné et investi leurs candidats respectifs à l’élection présidentielle. Pour les néophytes, il ne restait plus qu’à la CENI et au gouvernement d’aplanir les derniers points de divergences pour que le reste du processus se déroule à la bonne franquette. L’amendement récent du code électoral a servi de prétexte à une levée de boucliers chez les mêmes acteurs qui évoquent une question de délai et d’exclusion. Me Hermann Yaméogo s’en est servi pour justifier sa sortie dans le quotidien Le Pays du mardi 1er septembre 2020.
En effet, dans le texte qu’il a publié, le chantre du « Tékré » explique que la modification du code électoral viole doublement la constitution pour n’avoir pas fait l’objet de consensus au sein de la classe politique et avoir été adoptée moins de six mois avant la tenue des élections contrairement aux dispositions du protocole additionnel de la CEDEAO y relatif. Fort heureusement, dans la publication du même jour, le juriste Amadou Traoré bat en brèche cette interprétation erronée et apporte l’éclairage dont avaient besoin les Burkinabè non avertis qui pourraient être dupés par des arguties juridiques biaisées à dessein. « La lettre tue mais l’esprit vivifie", a-t-on coutume de dire et cela est bien connu de tous les juristes dignes de ce nom dont Maître Hermann Yaméogo.

Du consensus au sein de la classe politique

Dans sa démonstration, le président de l’UNDD argue que le dialogue politique effectué n’a pas été inclusif en ce sens qu’il a été restreint aux partis de la majorité présidentielle et à ceux du CFOP. Or, même dans les plus vieilles démocraties du monde, il n’a jamais été question de la pratique de l’utra-démocratisme (pour emprunter une expression de l’époque révolutionnaire) dans les situations de crise requérant de la part du Chef de l’Etat une consultation exhaustive de la classe politique. Les échanges se sont toujours déroulés avec les dirigeants des partis les plus représentatifs et comme on le sait, la représentativité d’un parti ce mesure à l’aune des suffrages obtenus lors d’élections librement disputées. En France notre référence habituelle, le président a convié à l’Elysée pour consultation à l’occasion de la crise du Covid 19 les leaders des partis disposant d’un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale parmi, lesquels le Rassemblement National de Marine LE PEN. François Hollande le prédécesseur d’Emmanuel Macron a eu la même démarche à l’occasion des attentats terroristes de janvier et novembre 2015. Comme on le voit, il ne s’agit pas de considérations idéologiques dans ce genre d’affaires, encore moins d’organiser des forums aux allures d’assises ou de conférence nationale quelconque qui se voudrait éventuellement souveraine. Les charges de la magistrature suprême ne donnent pas assez de temps à la personne qui l’exerce et surtout pas dans des pays comme le nôtre où tout est prioritaire, d’organiser des audiences interminables destinées finalement à ne satisfaire que des égos. Le choix le plus objectif pour lui est de se retourner vers le parlement qui porte bien dans le cas de figure son nom de représentation nationale. Ceux qui exigent plus de considération dans les décisions politiques savent à quoi s’atteler à l’orée des élections présidentielles et législatives couplées. Autrement dit, le retentissement des échos de sorties médiatiques ne saurait en aucun cas conférer à leurs auteurs des droits inhérents au suffrage universel. Du reste, ce principe est acté dans la répartition du temps de parole au niveau des organes de régulation des médias. Le jeu démocratique impose qu’on laisse la majorité dérouler son programme quitte à le critiquer jusqu’au triomphe de ses idées propres au niveau des électeurs lors des scrutins suivants. Ce qui suppose de la patience, de l’abnégation et surtout une explication inlassable du programme politique porté.

Cette démarche horripile à plus d’un titre les adeptes de la courte échelle qui, en théorisant sur la légalité et la légitimité des institutions, œuvrent inlassablement à leur déstabilisation pour assouvir des desseins personnels. Si non, comment comprendre que Me Yaméogo puisse exhorter implicitement les Burkinabè à imiter leurs voisins maliens au motif que le pays connait une érosion de la démocratie ? Qui convaincre d’autres que les personnes déjà de son avis dans la mesure où le grief que fait la majorité des Burkinabè au président Kaboré, c’est l’octroi d’un excès des libertés conduisant dans certains cas à l’incivisme sinon à des des outrages aux institutions ? Quid de la confiance aux juridictions nationales quand on observe la fin de l’ère des juges acquis se traduisant par des pertes de procès par l’administration publique ? En remontant l’histoire du pays, il est difficile de citer des cas d’incarcération d’ex ministre réputé proche du président en place, l’ouverture d’instruction mettant en cause des personnalités de la majorité ou l’emprisonnement de magistrat. A ce niveau également, ils sont nombreux les Burkinabè qui se plaignent plutôt d’un renforcement excessif du pouvoir des juges sous la gouvernance actuelle. La ficelle de la manœuvre consistant à discréditer en amont l’institution judiciaire pour préparer une contestation des résultats des élections à venir dans la rue est si grosse qu’elle a le mérite d’alerter les démocrates épris véritablement de justice et de paix qui devraient s’organiser pour obtenir des acteurs politiques la signature d’un code de bonne conduite en prélude aux échéances électorales à venir.

De la crise sécuritaire

Selon Maître Yaméogo, il manquerait au Burkina Faso, « des hommes de Dieu, de droit, des opposants et défenseurs des droits de l’homme dans l’âme, des militaires républicains non politisés et ‘’ mercenarisés’’ qui acceptent le sacrifice de leurs vies et intérêts pour la sauvegarde du peuple » en référence à l’exemple malien. Si l’allusion à l’imam Dicko magnifié dans son texte est éloquente, on recherche vainement par contre à travers la planète, des exemples de forme républicaine de l’état prévoyant la dévolution du pouvoir par les armes. Le militaire républicain au sens connu, c’est celui qui s’illustre par le respect des institutions et qui ne se mêle pas du jeu politicien.
Certes, tout le monde est unanime à reconnaître que le pays traverse une crise sécuritaire depuis l’irruption de la menace terroriste sur le territoire national. Pour autant, l’honnêteté oblige à admettre qu’il s’agit d’un phénomène tentaculaire asymétrique contre lequel nos FDS quoi qu’on dise, se battent avec plus ou moins de succès. Partout où il s’est incrusté dans le monde, le terrorisme n’a jamais été rapidement éradiqué. Bonimenter dans ces circonstances pour allumer l’incendie inspire tristesse et pitié. Le procès d’intention consistant à dire que le gouvernement ne fait pas assez dans la lutte contre le terrorisme passe difficilement pour ceux qui savent que de 21 milliards en 2014, le budget de la défense a été décuplé pour passer à plus de 200 milliards. Naturellement, une telle augmentation grève les investissements qui devraient être destinés à des secteurs non moins prioritaires mais on admettra qu’il s’agit d’un choix de raison. La sécurité, ce n’est un secret pour personne, est le préalable à la réalisation de tout développement humain et l’interruption de la mise en œuvre du Programme d’urgence pour le Pahel du fait des attaques terroristes dans le septentrion burkinabè en est la parfaite illustration.
Au moment où l’heure devait être à l’union sacrée autour des FDS engagées dans de périlleux combat contre les groupes terroristes, certains pensent pouvoirs tirer les marrons du feu par l’instrumentalisation de la peur et le marchandage d’illusions puériles. Si l’on admet la nécessité d’une irrigation du débat public par les initiatives, succès et échecs des autres, la quête obsessionnelle du pouvoir d’état ne doit pas conduire à souhaiter le chaos pour son pays. Comme diraient les marxistes, les conditions objectives et subjectives de l’avènement d’une révolution ne sont pas réunies au Burkina Faso où un récent sondage du Centre pour la Gouvernance Démocratique a ressorti une nette satisfaction des Burkinabè dans le domaine de la réalisation des infrastructures, l’énergie, l’eau et bien d’autres secteurs en dépit de la crise terroriste. Les élections de novembre 2020 leur offriront l’occasion de se prononcer sur le bilan du mandat du locataire actuel du palais de Kosyam. C’est cela le jeu démocratique. L’un des grands défis de notre temps avait déclaré Jean Daniel, c’est de savoir concilier diversité des cultures et universalité des valeurs. La démocratie a ses délices mais aussi ses exigences qui sont indissociables. Vouloir la tropicaliser en ajoutant à la voie des urnes celle de la rue comme mode de dévolution du pouvoir (comme le tentent certains qui s’en cachent par décence), c’est irrémédiablement la frelater et en faire simplement une ‘’démocrature ‘’ pour reprendre le mot d’Alpha Blondy. C’est la leçon à retenir de la longue lutte des « gilets jaunes » en France mais aussi des manifestations aux USA où à aucun moment on a demandé le départ du président en place avant la fin de son mandat. Une chose est sûre : les politiciens aux abois auront de plus en plus de mal à convaincre les militaires de faire le ménage pour ensuite les sommer de déguerpir immédiatement le plancher comme ils le font actuellement avec la junte malienne.

Souleymane Tamboura
Kaceto.net