L’annonce bientôt de vaccins contre le COVID-19 suscite beaucoup d’espoirs tant chez les pouvoirs publics que chez la population. Encore faut-il créer les conditions afin de garantir son efficacité maximum au moment venu. L’auteur du texte ci-contre explore des pistes dans cette optique. Mais qu’en est-il pour les pays africains au climat chaud ? Les acteurs et professionnels du froid sont interpellés.

La logistique sous température dirigée de la vaccination massive contre la Covid-19 est un vrai défi, tant par son importance sans précédent que par sa spécificité technique annoncée par plusieurs laboratoires. Que ce soit à des températures <- 20 °C ou que la nécessité de températures <- 80 °C se confirme pour tout ou partie de la chaîne, il faudra mettre en place de nouveaux moyens avec des coûts sensiblement supérieurs à ceux habituellement connus dans la logistique du vaccin. C’est une affaire d’experts. Il convient de disposer au plus vite des éléments les plus précis, en particulier concernant les températures.
Depuis l’annonce par le laboratoire pharmaceutique Pfizer le 9 novembre 2020 de la demande imminente d’autorisation de mise sur le marché de son vaccin contre la Covid-19, et l’indication de température de conservation de - 80 °C, de nombreuses questions ont été posées sur la logistique nécessaire pour mettre en œuvre une campagne massive de vaccination avec ces contraintes. Entre les effets d’annonces et les cris d’orfraie, peut-on sereinement étudier la question ?
Essayons d’y voir plus clair. Regardons tout d’abord quels sont les vrais besoins pour ces nouveaux vaccins. Etudions ensuite les solutions disponibles et les acteurs prêts pour les mettre en œuvre. Essayons enfin d’imaginer ce que pourraient être les solutions pour mettre en place efficacement, dans des délais très courts, une logistique sous température dirigée adaptée et efficace pour déployer rapidement une campagne de vaccination massive contre la Covid-19.

Quels besoins ?

De nombreux produits de santé sont thermosensibles. Leurs propriétés peuvent être altérées par des excursions de température hors d’une plage de conservation définie. C’est en particulier le cas des vaccins. La plupart des quelque 4,7 milliards de doses de vaccins administrées chaque année dans le monde doivent être conservées entre +2 °C et +8 °C. Du laboratoire au patient, ils sont stockés, transportés, distribués sous température dirigée. Les excursions de température vers le bas entrainent généralement une perte immédiate et irréversible de la totalité de l’efficacité du vaccin : il ne faut jamais les congeler ! A l’opposé, les excursions de température vers le haut entrainent des pertes d’efficacités progressives, cumulatives et irréversibles de l’efficacité du vaccin. La plupart des médicaments thermosensibles sont conservés entre +2 °C et +8 °C ou entre + 15 °C et + 25 °C, mais certains produits de santé doivent être conservés à des températures plus basses au-dessous de - 20 °C, voire au-dessous de – 70 °C. C’est par exemple le cas du plasma congelé pour des conservations de très longue durée jusqu’à 7 ans. Certains médicaments tolèrent également des températures de stockage et de distribution différentes, par exemple un stockage à + 2 °C/+ 8 °C et une distribution à température ambiante pendant une durée limitée à quelques jours ou semaines. En 2018, 8 des 10 médicaments les plus vendus dans le monde étaient soumis à des contraintes de températures.
Les récentes annonces des laboratoires pharmaceutiques concernant les candidats vaccins de la Covid-19 peuvent donc surprendre. Le laboratoire Pfizer annonce des températures de conservation de - 80 °C et le laboratoire Moderna des températures de - 20 °C. Nous sommes clairement loin des températures et de la logistique habituelles de ce type de produits, même si il existe déjà un vaccin contre Ebola transporté dans la carboglace au-dessous de – 70 °C. Cela peut s’expliquer par les méthodes d’obtention de ces vaccins utilisant des biotechnologies, comme l’utilisation de l’ARN messager, ou par des délais de mise sur le marché très courts ne permettant pas de réaliser toutes les études de stabilité en température. Les candidats vaccins de Sanofi Pasteur et GSK, développés suivant les mêmes méthodes que celui de la grippe saisonnière, se satisferont peut-être eux des solutions logistiques habituelles.
A ce jour, les données communiquées ne permettent pas de savoir quels seront les réels besoins en température de ces nouveaux vaccins de la Covid-19 du laboratoire au patient. Pour mettre en place les solutions adaptées aux besoins, il faut bien connaitre ceux-ci. Cela n’empêche pas d’explorer les possibles solutions.

Inventée en 1876 par Charles Tellier, la chaîne du froid est aujourd’hui maîtrisée, ou du moins maitrisable, en France et dans un certain nombre de pays tant pour les denrées alimentaires que pour les produits de santé. Mais ce n’est pas encore le cas dans tous les pays du monde. Avec 150 000 engins de transport sous température dirigée, La France compte environ un camion frigorifique pour 450 habitants, la Chine en compte un pour 12 000 et l’Inde un pour 150 000 habitants avec un parc dix fois plus faible que le nôtre. Il en va de même des entrepôts frigorifiques, des chambres froides ou des réfrigérateurs. Le parc d’équipements de la chaîne du froid des pays en développement est encore par habitant environ dix fois plus faible que celui des pays développés.
Du laboratoire au patient, les solutions existent pour une chaine du froid des produits de santé dans la gamme classique de +2 °C/+8 °C. Il existe également une logistique, moins courante, du <-20 °C. Plus récemment c’est développée une chaîne du froid du + 15 °C/+ 25 °C. Elles sont utilisées au quotidien par des dizaines de spécialistes de la chaîne du froid, logisticiens, transporteurs, entreposeurs, distributeurs, mais elles ne sont malheureusement pas encore déployées partout. Pour les gammes de températures <- 70 °C, si elles existent, ses solutions concernent, aujourd’hui, des volumes de produits de santé bien plus confidentiels.
Des réglementations, des normes et des labels ont été développés depuis 70 ans pour garantir la qualité de cette chaîne du froid. La France a été et reste pionnière en la matière avec, dès 1952, sa réglementation du transport frigorifique devenue internationale depuis 1970 avec sa reprise par l’accord sur le transport des denrées périssables des Nations Unies, dit accord ATP. Et aujourd’hui avec le label Certicold pharma élaboré par l’ensemble des professionnels et qui se répand dans le monde.

Quelles perspectives ?

Si la chaîne du froid des produits de santé, et plus particulièrement celle des vaccins, est opérationnelle pour livrer quasiment partout dans le monde des vaccins à +2 °C/+8 °C, elle ne l’est pas forcément pour des campagnes de vaccination à grande échelle avec des produits à conserver <- 20 °C et a fortiori <- 80 °C. Le défi est inédit, la bataille n’est pas perdue pour autant !
Pour les produits <- 20 °C, les solutions existantes et largement utilisées pour les produits surgelés sont rapidement duplicables à grande échelle à la chaîne du froid des vaccins. Elles sont connues, maîtrisées, disponibles et déjà certifiées pour certaines.
Pour les produits <- 80 °C, la situation est plus complexe, mais pas désespérée. Si il n’existe pas aujourd’hui des capacités importantes de stockage et de transport de produits thermosensibles au-dessous de -80 °C, il existe des solutions techniques. Pour l’entreposage, les machines frigorifiques à cycle ouvert à air employées pour la réfrigération des entrepôts de thon à - 60 °C sont aussi utilisables à - 80 °C. Elles peuvent aussi être adoptées pour les chambres froides de distribution. Pour le transport, les groupes cryogéniques de transport à azote utilisés à -20 °C peuvent aussi descendre jusqu’à - 80 °C avec des caisses à isolation renforcée. Si l’on parle de températures voisines de -80 °C, comme c’est souvent le cas pour les produits de santé, alors la neige carbonique a toute sa place dans le transport et en particulier les emballages isothermes et les conteneurs, tant pour le transport aérien que pour le transport terrestre, en association avec des camions frigorifiques. Il existe également déjà des armoires de conservation à -80 °C en particulier dans les hôpitaux et les laboratoires. Enfin, il ne faut pas négliger la remise en température de ces produits de santé avant injection : on ne passe pas innocemment de - 80 °C à + 20 °C. Ainsi, lancer une campagne massive de vaccination avec des produits <- 80 °C demande la qualification de ces moyens, leur déploiement à grande échelle et la formation des utilisateurs de ces équipements !

Par Gérald CAVALIER, président de l’Association Française du Froid, président du Conseil Science et Technologie de l’Institut international du Froid (IIF), président du groupe Cemafroid Tecnea