Sur sa page Facebook, le président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) Ahmed Newton Barry est revenu sur les péripéties qui ont jalonné l’organisation pratique du scrutin, les difficultés rencontrées et l’ingénierie que l’institution qu’il préside a dû déployer pour permettre la tenue des élections le 22 novembre 2020.

2020 s’en va !
Une année qui aura été difficile et exceptionnelle à tout point de vue.
Elle a commencé difficilement avec l’enrôlement des Burkinabè de l’extérieur. Alors que nos équipes étaient déjà dans les pays qui abritent nos ambassades pour débuter l’enrôlement, une lettre du premier ministre, à l’instigation du Dialogue politique, nous intime l’ordre de reporter le début de l’enrôlement des Burkinabè de l’extérieur. Nous déclinons courtoisement cette injonction, au nom de l’indépendance de la CENI. Le premier ministre, le grand frère Christophe Dabiré m’en a voulu, un moment, avant qu’une franche discussion dans son bureau ne nous aide à aplanir le différent. Il a compris, et je lui en sais gré, que certains, les mêmes d’ailleurs, étaient mues par d’autres considérations.
Puis c’est le tour de nos partenaires techniques de multiplier les entraves. Les kits prévus pour être livrés fin janvier ne le seront finalement qu’en mai 2020. Nous avons dû trouver des trésors d’ingénieries pour débuter et conduire l’enrôlement des électeurs en rafistolant nos vieux kits.
Puis l’insécurité s’est signalée à notre bon souvenir. Il a fallu réviser les plans. Redimensionner les zones d’enrôlement de façon à assurer une sécurité suffisante dans les régions en proie au terrorisme. Sur nos 13 régions, 6 sont affectées. Notre objectif était d’éviter au maximum d’exposer la vie de nos équipes et celle des populations qui nous accueillent. Au lieu de 3 mois d’enrôlement, nous passerons 7 mois sur le terrain. L’enrôlement des électeurs le long de l’histoire de notre pays. Malgré tout nous y arrivons. Aucun incident notable et surtout pas de perte en vie humaine.
L’enrôlement des électeurs s’achève en fin juillet, avec les zones rouges. Les communes et les villages où il n’y a plus d’administration. Les détachements militaires vont nous servir de soutien et de remparts. Mais nous y parvenons.
Aussitôt l’enrôlement terminé, nous sommes pris dans les nasses d’une opinion qui s’appuyant sur un consensus parlementaire pour repousser les législatives d’une année, nous tient coupable d’avoir réussi l’enrôlement des électeurs.
En août, alors que le budget des élections annoncé n’est pas encore mis en place, nous anticipons pour commander « l’encre indélébile », qui en temps normal prend 90 jours pour être livré, après les phases de procédures de passation des marchés. Aussitôt s’enclenche une vive « polémique-obstruction ». Même le PNUD s’y invite pour exiger de commander l’encre pour nous. Contre tous nous nous y opposons. Nous avons été réconfortés que le rapport du Conseil Constitutionnel mentionne expressément que « l’encre indélébile était de bonne qualité ». Nous avions à la vérité mis notre tête à couper en décidant envers et contre tous de faire commander par la CENI cet encre indélébile. Si les choses s’étaient mal passées avec l’encre indélébile, notre cheminement dans l’organisation du double scrutin aurait connu un coup d’arrêt.
Mais nous n’étions pas à la fin de nos peines. Le 16 octobre le PNUD nous signifie qu’il ne pouvait plus commander les 63 000 isoloirs, les urnes, les scellés, les lampes et au préalable la location du satellite pour la transmission des résultats depuis les 368 centres communaux de compilation des résultats (CCCR). Nous étions à moins d’un mois du double scrutin.
Nous avons dû, nous assumer. Avec le soutien de Burkinabè patriotes, nous avons pu commander en deux semaines 63 000 isoloirs livrés à Ouagadougou et dispatcher à travers le pays et à l’extérieur dans plus de 21.000 bureaux de vote. Pour les urnes, nous avons dû solliciter nos frères du Togo à qui nous avons emprunté 3000 urnes. Le président du Faso nous a appuyé auprès de son homologue togolais pour que nous puissions avoir ces urnes le 19 novembre, soit à 48h du double scrutin.
Puis l’impression des bulletins. Le contentieux devant le Conseil d’Etat des candidatures aux législatives a pris fin dans la première semaine de novembre. Ce qui nous laissait à peine 10 jours pour imprimer des millions de bulletins, et de documents électoraux, faire le colisage et le dispatching dans un pays où 6 régions sont en proie au terrorisme. Ces difficultés énormes ont chamboulé l’agenda millimétré que nous avions soigneusement arrêté. Le personnel technique, en charge de la logistique, a été déboussolé devant les échéances qui s’accumulaient dans un ordre non prévu. Il a fallu se porter à son secours, pour éviter qu’il ne s’effondre.
Il fallait aussi suivre et faire face à l’adrénaline de la Campagne électorale qui montait et se débridait. A une semaine du double scrutin la polémique sur les fraudes massives en préparation embaume pestillentiellement l’atmosphère. Pour la première fois, avec le soutien du PAPE, nous réunissons tous les procureurs du Faso à Ouagadougou, pour instituer avec eux une permanence sur 5 jours ( 2 jours avant le scrutin, le jour du scrutin et deux jours après le scrutin) afin de recevoir les dénonciations et engager immédiatement des actions de répression contre toute infraction électorale. Ce mécanisme a fonctionné. Nous attendons d’en faire le bilan avec les parquets pour statuer pour l’avenir.
Le 22 novembre, le scrutin se tient sur l’ensemble du territoire, exceptés les zones rouges préalablement identifiées et ou non.
Il y a eu des problèmes de colisage et du retard dans l’acheminement du matériel dans certains bureaux de vote. Mais excepté le bureau de vote numéro 8 de Wemtenga à Ouagadougou, pour tout le reste des bureaux de vote les problèmes ont été résolus avant 9 heure (tous les rapports des observateurs indépendants l’ont mentionné). L’exception dans l’affaire c’est le Sourou. Le matériel a été malencontreusement déposé par l’hélicoptère à Toeni, inaccessible par la route. Nos alertes n’ont pas permis hélas le retour du matériel jusqu’à la fermeture des BV. C’est une de nos désolations.
Puis les problèmes des cartes d’électeur. Ces électeurs qui n’ont pas retrouvé leur bureau de vote, le jour du scrutin. A l’analyse beaucoup de ces électeurs se retrouvent dans les cas de doublon qui existaient dans le fichier électoral que nous avons minutieusement assainie. Ces électeurs dans cette situation faute d’avoir pris la précaution de vérifier leur statut avant de se rendre aux urnes, sont allés avec des cartes d’électeur désactivées pour faute de doublon. D’autres électeurs ( très peu, une dizaine environ) ont été déroutés par la fusion des bureaux de vote. Mais ces cas ont été résolus. A l’avenir la CENI va mieux soigner sa communication autour de cette question. Nous avions cru que les outils techniques mis à la disposition des électeurs suffisaient. Il faut encore mieux communiquer.
Au total le processus a été difficile. En certains moments, il est même apparu improbable. Mais au final et à force d’opiniâtreté il s’est bien tenu. Dans la panoplie des scrutins que notre pays a tenu depuis 1991, quel rang aurait-il ? L’histoire le dira.
Mais d’ores et déjà trois choses :
 il n’y a pas eu de morts d’hommes. C’est une grâce
 ensuite, depuis 1991, nous n’avons pas connu un après scrutin aussi apaisé et aussi consensuel. Le président du Faso élu félicité par la totalité des candidats qui étaient en compétition
Le nouveau président de l’Assemblée nationale plébiscité.
Je voudrais comme premier responsable m’en réjouir. Remercier Allah pour cette grâce qui a accompagné cette lourde responsabilité dont j’avais la charge.
En ce dernier jour de 2020, je vous souhaite à tous une excellente année 2021. Que la paix revienne dans notre pays. Que les déplacés internes rentrent chez eux !

Newton Ahmed Barry
Président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI)