La vie en Occident a ses bizarreries pour un oeil africain. Toutefois, il ne faut jamais perdre une occasion qui nous est donnée d’apprendre. Ce que nous appelons individualisme, c’est en fait l’expression de la responsabilité personnelle de l’individu.
Grâce à Dieu, tes parents t’ont mis au monde. Père et mère, toute la famille s’est mis au travail pour faire de toi une femme ou un homme adulte. Ils t’ont nourri de ressources naturelles à leur disposition et de valeurs morales.
Ils ont accompli leur devoir de géniteurs. La conduite de ta vie relève maintenant de ta responsabilité personnelle. Plus personne ne te doit quelque chose. Tu es maintenant armé pour affronter les difficultés de l’existence. Les mêmes difficultés que tes parents ont défiées pour toi.
Souvent, il m’est arrivé de dire que nos parents au village nous ont joué un sale tour. Car le monde n’est pas fait de gens de principes comme ils nous l’ont enseigné. Mais chacun voit bien que ce trait d’humour ne dit pas totalement la vérité. Parce que la même éducation dans la même famille donnera des gens à principes et des scélérats.
Ce que la vie en Europe apprend aux personnes de bonne foi, c’est que chaque individu est responsable de ses choix. Tu as choisi la courte échelle, les combines et toute la gamme des tricheries ? Et tu demandes aux autres d’être des esprits purs ? Tu ne vois pas la contradiction ?
Quand on lit la presse nationale, il y a de quoi être découragé. Même les examens des enfants, on fait du business dedans. Cet enseignant filou, que peut-il transmettre comme valeurs ? Même dans les centres de santé, les patients risquent gros à cause des affairismes. A tous les étages, on peut faire le même constat.
Comment je fais pour être aussi dur ? C’est bien simple. Quand nous rentrons au pays, c’est l’occasion de mettre à jour les documents officiels de la famille. Eh bien, dans tous les services, il y a des blocages et des lenteurs incompréhensibles Et devant chaque service, il y a des jeunes gens qui traînent et qui vous proposent de régler "votre problème". Et qui le font sur l’heure.
Je peux multiplier les exemples parce que mon boulot me fait entrer partout. Tout cela laisse dans le cœur un sentiment de malaise. "Chacun se cherche", selon la formule consacrée. Et personne n’est responsable de nos difficultés.
A mon humble avis, c’est la somme de toutes nos démissions devant notre responsabilité personnelle, qui finit par constituer cet amoncellement d’irresponsabilité collective. Et cette irresponsabilité collective nous étrangle tous. Nous étouffons tous, et nous entendons continuer un système qui nous vaut toutes ces misères.
"Il se croit en Europe. Il pense que c’est lui seul qui va sauver le Burkina Faso. On te donne de l’argent et tu refuses. Tu veux quoi à la fin ?" Quand on te dit ces mots en plusieurs endroits, que penser ? Que dire ? Et ces personnes croient te donner de bons conseils ! C’est pas fou, tout ça ?
Pardonnez moi de jouer les moralisateurs, mais je me demande aussi s’il est sain de regarder et de faire celui qui n’entend rien, celui qui ne voit rien, celui qui ne comprend rien, et qui s’en lave les mains.
Bien évidemment, on me répétera la phrase magique : "le poisson pourrit par la tête". Mais cela ne peut suffire à dédouaner l’individu de ses responsabilités personnelles. Parce que, toi aussi simple citoyen, tu es un poisson qui se laisse guider par une tête pourrie. Même si tu es un alevin, botter en touche, renvoyer la responsabilité de la situation aux dirigeants ne suffira pas à nettoyer ta conscience.

Sayouba Traoré
Journaliste, Ecrivain