C’est une des très rares personnalités politiques à n’avoir pas composé avec le régime de Blaise Compaoré pendant 27 ans. Président de l’Union pour la renaissance/ Parti sankariste (UNIR/PS), Maître Bénéwendé Sankara occupe désormais le poste de premier vice-président de l’Assemblée nationale, son parti ayant remporté cinq sièges très stratégiques dans la majorité présidentielle qui s’est formée à l’issue des législatives de novembre 2015. Pour la première depuis le scrutin qui a mis fin à la Transition, il revient sur le ralliement de l’UNIR/PS à la majorité présidentielle et se montre critique vis-à-vis de ses anciens camarades du CFOP.

Pourquoi avez-vous rejoint le MPP et la majorité présidentielle au lieu de former une majorité avec vos anciens camarades du CFOP ? Ne les avez-vous pas trahis ?

J’ai plutôt le sentiment d’avoir été trahi par nos anciens camarades de l’opposition réunis au sein du Chef de file de l’opposition (CFOP). Nous avions formé un front commun avec une plateforme de lutte qui a permis de faire l’insurrection populaire. Dans le CFOP, je rappelle qu’il y avait le MPP, qui est venu du CDP comme un transfuge et qui a été au devant de la scène au même titre que l’UNIR/PS, l’UPC et d’autres forces politiques.
A l’occasion de l’élection présidentielle, il était clair dans mon esprit que parmi les 14 candidats qui étaient en lice, celui d’entre nous qui arriverait au second aurait le soutien des autres membres du CFOP. Je n’ai donc pas compris le revirement spectaculaire de nos anciens camarades de l’opposition qui sont allés former une coalition avec ceux-là qu’on a combattus il y a quelques mois. Nous sommes donc restés cohérents avec nos choix antérieurs. J’ajoute que le MPP se réclame de la social-démocratie, donc d’un point de vue idéologique, nous avons une même vision des choses en tant que membres de la grande famille de la gauche.

Vous auriez-pu aussi former une majorité avec l’UPC, le CDP et l’ADF/RDA d’autant que ces partis vous ont fait la proposition…

C’est exact ! Nous avons décliné leur proposition qui était de former ensemble une majorité à l’assemblée, car c’était prendre le risque de pousser le pays dans une crise institutionnelle. Le président Roch Marc Christian Kaboré n’aurait pas pu nommer un premier ministre issu de son camp. Nous aurions eu une cohabitation qui allait provoquer une crise institutionnelle, chose dont l’UNIR/PS ne veut pas en être comptable. Nous souhaitons au contraire un Burkina stable, qui se construit dans une cohésion sociale. C’est un choix éminemment politique que nous avons fait.

Vous avez signé une alliance stratégique et structurelle avec le MPP. De quoi s’agit-il exactement et quel est son contenu ?

D’abord, nous faisons partie de l’alliance des parties de la majorité présidentielle qui comprend une trentaine de partis politiques se réclamant de la gauche démocratique. Mais à l’assemblée, nous avons notre propre groupe parlementaire, le « groupe Burkindlim » composé de députés issus de partis politiques qui sont membres de cette alliance. L’objectif de l’alliance est de soutenir le programme présidentiel et aider le président à respecter ses engagements vis-à-vis du peuple burkinabè. Très majoritairement, les partis de l’alliance ont adopté la déclaration de politique générale du premier ministre Paul Kaba Thièba et nous nous retrouvons dans l’action gouvernementale. Mais nous, à l’UNIR/PS, nous avons une alliance structurelle avec le MPP qui va au-delà du simple soutien à l’action gouvernementale. Ce qui importe pour nous, c’est faire des propositions qui répondent aux aspirations des Burkinabè dans le contexte post-insurrectionnel. Là, nous affirmons notre identité de gauche.

Vous êtes premier vice-président de l’Assemblée nationale, et l’UNIR/PS a deux ministres dans le gouvernement. C’est le résultat du troc ?

En politique on ne fait pas d’alliance si on n’y trouve pas son intérêt. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que nos concertations avec le MPP ont commencé bien avant les élections. En janvier 2014, je suis allé les soutenir lors de leur assemblée générale qui s’est tenue à la maison du peuple et nous les avons ensuite encouragés quant ils sont venus au CFOP. Le résultat là ! Norbert Zongo avait écrit que l’alternance viendra de l’implosion du CDP. La prophétie s’est réalisée. L’UNIR/PS est à l’avant-garde dans la lutte contre l’injustice, l’impunité, la corruption, etc., et se bat pour qu’il y ait un ancrage institutionnel fondé sur les valeurs de la démocratie, de bonne gouvernance, de résilience et de lutte contre les inégalités. Il ne s’agit donc pas d’un troc de postes avec le MPP, mais de poser les principes devant désormais guider l’action publique. On a dit que « plus rien ne sera comme avant », eh bien, il faut que ça se voit dans notre façon d’être et de faire

Quatre mois après la formation du gouvernement, vous sentez-vous à l’aise dans cette majorité ?

Oui, pour le moment, je suis à l’aise. Je constate des insuffisances, mais dans le même temps, le gouvernement cherche à avoir une assise et à s’installer. Les solutions aux nombreux problèmes auxquels les Burkinabè sont confrontées ne peuvent être apportées du jour au lendemain alors que nous sommes dans un état qui est au stade embryonnaire. L’UNIR/PS est totalement solidaire de l’action gouvernementale.

L’opposition a dénoncé un « tâtonnement » du gouvernement rappelé que pendant la campagne, les dirigeants du MPP avaient invoqué leur expérience comme un atout pour régler rapidement les problèmes des Burkinabè…

C’est vrai, quand on prend les dirigeants du MPP, c’est évident qu’ils ont une expérience politique. Il ne faut toutefois pas occulter les 27 ans de règne de Blaise Compaoré et la situation sociale et économique qu’il a laissée. Quelque soit l’expérience, quand la réalité est têtue, il faut faire avec et on voit bien que le président est extrêmement prudent dans ses analyse pour ne pas tomber dans le populisme.

L’assemblée nationale a voté un collectif budgétaire avec un déficit de 300 milliards FCFA. Où trouver l’argent pour combler le gap ?

Le gouvernement a déjà pris des mesures fortes et ça ressemble bien à une politique d’austérité. L’Etat a décidé par exemple de ne pas acheter de véhicules neufs, de renoncer à certains baux et continue de recouvrer les créances détenues par des citoyens. Ce sont autant de mesures qui permettent de faire des économies d’échelle, sans oublier les mesures fiscales que le gouvernement va réviser.

Début juin, des militants associatifs ont manifesté devant le palais de justice pour protester contre les libérations provisoires de personnalités proches du régime de Blaise Compaoré. Approuvez-vous cette manifestation ?

Je suis auxiliaire de justice et je sais que souvent, la libération peut-être de droit au regard du contenu du dossier. Si le juge a ordonné une liberté provisoire, c’est qu’il doit y avoir suffisamment une motivation. Mais c’est vrai qu’au plan politique, ça pose un problème. J’estime que ces libérations en cascades sont en train de vider le dossier du coup d’Etat de son vrai contenu alors que des Burkinabè, particulièrement des jeunes sont morts. Assister impuissant devant ces libérations-là est inquiétant, même s’il s’agit de liberté provisoire, et qu’en droit, la prison est l’exception et la liberté le principe. Ce que je souhaite, c’est que les dossiers d’instruction puissent se poursuivre dans la sérénité avec des éléments probants pour que justice soit faite pour notre peuple. Il y a eu des morts, des blessés et on sait qui a été le commanditaire. La justice doit se ressaisir sinon au risque de provoquer une autre insurrection.

Vous êtes aussi l’avocat de la famille Sankara dans le dossier Thomas Sankara. Où en est le dossier après l’exhumation des restes et les résultats du test ADN ?

Les choses avancent et à ce jour, plus d’une cinquantaine d’auditions et de confrontations de témoins ont eu lieu ; une douzaine de personnes ont été inculpées dont certaines sont en prison. Le dossier évolue donc dans le cabinet du juge d’instruction. Blaise Compaoré est toujours sous mandat d’arrêt international et je le confirme. Par contre, ce qui donne l’impression qu’il y a une lenteur, c’est qu’après l’exhumation, le rapport d’autopsie a fait l’objet d’une demande de contre-expertise et on attend les résultats. Mais le juge continue son travail puisque les éléments balistiques prouvent au moins que la mort de Thomas Sankara est d’origine criminelle.

Les actes d’incivisme défraient la chronique depuis plusieurs années. Comment expliquez-vous ce phénomène qui est trans-générationnel ?

C’est une réalité malheureuse et on a vu les Koglweogo, que je mets aussi au compte de l’incivisme, se développer un peu partout. Les actes d’incivisme sont-ils la conséquence de l’absence de l’autorité de l’Etat, ou est-ce une résistance que les Burkinabè opposent à l’ordre établi ? Personnellement, je pensais que les actes d’incivisme constituaient des éléments sous-jacents de l’insurrection populaire, mais après l’insurrection, le phénomène continue. Il y a donc un problème. Dans tous les cas, ils sont antinomiques à la notion de citoyenneté qui consiste à avoir une attitude responsable et à respecter de l’autorité de l’Etat. Les citoyens doivent avoir du respect vis-à-vis de l’Etat s’il a la légalité et la légitimité. Quand un policier est renversé par un type à moto, que les gens brulent les feux rouges ou se soulèvent spontanément pensant avoir raison alors qu’ils ont tort, ce n’est pas normal.
Il faut que les choses soient claires : Il y a eu une élection où le peuple a choisi lui-même ses dirigeants en élisant son président dès le premier tour avec 53,49% des voix. Ce dernier a un programme. C’est sur son bilan qu’il faut le juger au lieu de s’adonner à l’incivisme. L’Etat doit s’affirmer, mais pas de façon musclée car la meilleure façon de lutter contre l’incivisme est d’apporter des solutions aux problèmes qui sont les causes de l’incivisme. Mais je ne confonds pas l’incivisme à l’insécurité ou au banditisme. Les actes criminels et de défiance infondés doivent être sanctionnés par la justice car nul n’est au-dessus de la loi. Même quand on est dans son droit, il y a des formes à utiliser pour le revendiquer.

Vous êtes à Paris pour participer au congrès du Parti communiste Français (PCF). Le communisme et le sankarisme, même combat ?

Le sankarisme est partout où il y a des combats justes et nobles. Je suis venu à Paris où j’ai d’abord participé au sommet mondial sur la paix et le progrès organisé par le PCF. J’ai aussi rencontré des sénateurs dans le cadre de nos relations d’amitié avec les élus français et ensuite, j’ai participé au congrès du PCF. Ce n’est pas n’est pas la première fois que je participe au congrès du PCF, et c’est toujours l’occasion pour nous de partager des expériences et rencontrer des partis frères aussi bien d’Afrique et d’ailleurs. Nous discutons des problèmes qui se posent à l’humanité et comment chacun peut apporter sa pierre à l’édification d’un monde de justice et d’égalité. Cette année, le Burkina était à l’honneur à ce 37è congrès au regard de la lutte menée par notre peuple, et du rôle joué par l’UNIR/PS et de moi-même dans l’avènement de l’insurrection, la fuite de Blaise Compaoré ainsi qu’à la résistance active menée contre le putsch du 16 septembre 2015. C’est une expérience qu’il faut partager surtout au plan africain parce qu’en réalité, les mutations qui secouent nos pays ont les mêmes causes. Il faut donc plus que jamais, conjuguer nos efforts si on veut changer le monde, combattre l’extrême pauvreté en Afrique et considérer davantage la femme.

Quels sont vos rapports avec vos anciens camarades du CFOP ?

J’ai évoqué plus haut l’alliance de la majorité présidentielle qui compte une trentaine de partis politiques, mais une vingtaine sont issus du l’ex CFOP. Je trouve très paradoxal que ce soit l’UPC qui, pour des calculs politiques, est partie encore s’attribuer le titre de Chef de file de l’opposition même si elle a plus de députés. L’UPC aurait dû être dans la majorité présidentielle ! Je ne comprends pas comment des partis politiques qui ont été ensemble dans une plateforme, lutté jusqu’à ce que Blaise Compaoré prenne la fuite, se retrouvent avec ceux-là qu’ils ont combattus il y a quelques mois. Tout simplement parce que quelqu’un d’autre a été élu ! Comment voulez-vous que les Burkinabè s’y retrouvent quand l’UPC, dont le chef, Zéphirin Diabré a travaillé avec l’UNIR/PS, le MPP, se retrouve subitement avec des alliés comme le CDP et l’ADF/RDA ? C’est l’ironie du sort ! Je pense qu’il a fait de mauvais calculs.

Interview réalisée par Joachim Vokouma
Kaceto.net