Il avait 33 ans quand il s’est retrouvé comme des milliers d’autres Burkinabè parmi les manifestants le 30 octobre 2014 contre la modification de la constitution. Blessé au genou, il milite activement pour que les victimes de l’insurrection populaire soient soignés et que justice leur soit rendue

Quand l’Association a-t-elle été créée ?

Nous avons commencé à mettre sur pied l’association dès le lendemain de l’insurrection populaire, c’est-à-dire dès le 3 novembre 2014. L’idée est partie de quelques personnes qui avaient commencé à prendre des noms de ceux qui avaient été admis à l’hôpital Yalgado, à l’hôpital Blaise Compaoré et dans d’autres districts sanitaires. Nous avons obtenu le récépissé de l’association en décembre 2014

Pourquoi l’avez-vous créée ?

Pour une raison simple : on voulait qu’on s’occupe très vite de ceux qui ont été blessés lors des journées chaudes des 30 et 31 octobre 2014. La justice viendra après. Pour nous, il faut assister socialement les blessés pour qu’ils puissent se retrouver. L’association compte 154 membres, tous souffrant de blessures physiques, psychologiques : fractures de membres, nerfs touchés, comme c’est mon cas. J’ai reçu l’impact de la cartouche du gaz lacrymogène au du genou et je ne pouvais pas marcher pendant deux mois. D’autres ont été plus gravement blessés, comme ceux qu’on a évacués en Tunisie, dont 4 de l’insurrection et un du coup d’Etat de septembre 2015. Ils ont subi avec succès des opérations et les balles ont été extraites de leurs corps et ramenées au Burkina pour des expertises.
Deux ans après, il y a des camardes qui portent toujours des balles et c’est vraiment urgent qu’on trouve le moyen de les soigner avant que le mal ne s’aggrave.

Tous les blessés ont-ils été pris en charge par l’Etat comme l’avait annoncé le gouvernement ?

Pour les soins, tout le monde a été officiellement pris en charge, mais dans les faits, ce n’est pas vrai. En réalité, on voit comment les gens souffrent et rien que la semaine passée, certains sont repartis pour se soigner à l’hôpital et on leur a dit qu’il n’y a plus d’argent. L’Etat s’est engagé à prendre totalement en charge les soins des blessés, mais nous constatons que ce sont les dons reçus des bonnes volontés qui ont servi à nous soigner. C’est le ministère de l’Action sociale et l’hôpital qui gèrent les fonds collectés et maintenant, on nous dit que c’est fini. Qu’allons-nous faire ?

Quel était l’objet de votre présence à l’Assemblée nationale le 24 octobre dernier ?

Bien avant le 24 octobre, nous étions allés rencontrer le président de l’Assemblée nationale, Salif Diallo à qui nous avons demandé d’user de son influence pour que des camarades gravement blessés soient évacués pour y bénéficier de soins appropriés. Il nous a écoutés et vraiment, c’est à son initiative que 5 blessés, dont 4 de l’insurrection et un du coup d’Etat du Gl Gilbert Diendéré ont été effectivement évacués en Tunisie. Trois sont rentrés le 27 octobre (http://kaceto.net/spip.php?article1069).
Avec le temps, on a découvert d’autres blessés graves dont certains ont toujours des balles dans leur corps. Nous sommes à nouveau repartis solliciter son aide, pas seulement pour une évacuation, mais aussi pour ceux qui ont perdu leur emploi et sont incapables de payer la scolarité de leurs enfants. Pis, il y a des camarades qui ont perdu leurs épouses ; elles sont parties parce que leurs maris ne peuvent plus travailler, oubliant que le mariage, c’est pour le meilleur et pour le pire !
Nous avons aussi sollicité le soutien du président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré et il nous a dit de faire un mémorandum sur la situation globale des blessés de l’insurrection populaire et du coup d’Etat. Vous savez qu’il y a des blessés qui sont dans les provinces et qui, de ce fait, n’ont pas accès aux soins comme ceux de Ouaga ; nous souhaitons que les fonctionnaires qui sont dans ce cas soient affectés à côté à Ouaga ou au moins, pas loin. Déjà, le président du Faso a donné des instructions pour que des blessés soient consultés par son propre docteur, ce qui a été fait.

D’après vous, comment peut-on aller vers la réconciliation nationale prônée par tous ?

Le préalable à la réconciliation des cœurs, c’est la justice. Je ne sais pas qui a failli faire exploser mon genou, et on me demande de pardonner ? Mais qui pardonner ? Pour moi, il faut que les coupables de nos blessures reconnaissent leur tort, que justice soit faite et après on peut se réconcilier. Sinon, ça va resurgir un jour avec plus de gravité. Personnellement, je n’accuse pas le pouvoir en place, mais la Transition qui pouvait faire avancer la procédure judiciaire pendant que c’était chaud, comme ça été fait à Koudougou quand les policiers avaient été condamnés dans l’affaire de la mort de l’élève. Des balles réelles ont été tirées sur nous et c’est sorti de quelque part quand-même !

Quel âge avez-vous et où étiez-vous précisément le 30 octobre 2014 ?

J’ai 35 ans, marié, père de trois enfants et je suis électricien dans le bâtiment ; exerce aussi dans l’énergie solaire. Vous voyez qu’il faut monter l’échelle, descendre, enjamber des choses et ma blessure m’a handicapé pendant au moins deux mois. Je ne pouvais pas travailler.
Le 30 octobre a été un jour horrible pour moi ; la veille j’ai perdu mon neveu que nous avons enterré le 30 matin. Je suis donc rentré chez moi tout abattu et ne voulais pas sortir de chez moi. Sauf qu’à un moment donné, j’ai vu les gens descendre vers le centre-ville en masse ; il y a avait même des vieilles parmi eux. Je me suis dit, il faut aller, parce que c’est un jour historique et il faut être présent pour ne pas avoir honte après. Je suis donc venu à moto que j’ai garée loin et j’étais dans la foule du côté de la cité an III. Entre-temps, on nous a repoussés avec les jets d’eau chaude. Tout monde a replié en courant, et dans la débandade, j’ai enjambé une fille qui était couchée. Puis, quelques mètres plus loin, je me suis dit qu’il fallait la secourir et suis revenu sur mes pas ; je l’ai prise par les épaules et la suite, je ne m’en rappelle plus. Je me suis réveillé à l’hôpital ! J’ai eu la chance parce que la fille est décédée.
On ne s’attendait pas à une réaction violente des forces de l’ordre puisqu’on voulait juste empêcher les députés de voter la loi.
Aujourd’hui, j’ai repris mon travail, mais je milite pour que les camarades blessés qui sont à Bobo, Ouayigouya, Koudougou, etc., puissent être soignés et que ceux qui ont payé les frais de soins de leurs propres poches soient remboursés.

Propos recueillis par Joachim Vokouma
Kaceto.net