De Domrémy-la-Pucelle dans les Vosges à Marseille, des dizaines de jeunes femmes catholiques étrangères travaillaient dans des restaurants de lieux de pèlerinages sans être déclarées. L’association qui gérait les établissements a été condamnée mardi à Epinal.

L’apostolat a ses limites. L’association catholique Famille Missionnaire Donum Dei (FMDD) a été condamnée mardi à Epinal à 200 000 euros d’amende pour « travail dissimulé » pour avoir employé pendant de longues années dans des restaurants des dizaines d’étrangères venues d’Afrique ou d’Asie, hors de tout cadre légal.

L’affaire avait débuté au restaurant L’Accueil du pèlerin à quelques pas de la maison natale de Jeanne d’Arc et de la basilique qui lui a été dédiée à Domrémy-la-Pucelle, dans les Vosges. Sept ou huit travailleuses missionnaires de l’Immaculée (TMI), qui ne comptaient pas leurs heures, mitonnaient des petits plats ou servaient en salle. Mais l’association catholique Famille Missionnaire Donum Dei (FMDD) qui gérait l’établissement ne versait ni cotisation salariale, ni salaire, selon Vosges Matin.

Une enquête préliminaire avait été ouverte en octobre 2015 par le parquet d’Épinal après un signalement de l’inspection du travail visant le restaurant lorrain. Les enquêteurs vosgiens étaient également en charge d’investigations d’abord menées à Lisieux (Calvados) et Marseille (Bouches-du-Rhône) pour les mêmes faits… L’affaire allait bien au-delà du berceau de la Pucelle d’Orléans.

Le tribunal correctionnel d’Epinal a également ordonné la confiscation « avec exécution provisoire » des plus de 940 000 euros déjà saisis durant la procédure par la justice sur les comptes de la FMDD, aussi reconnue coupable d’ « emploi d’étranger non muni d’une autorisation de travail ».

La somme confisquée correspond aux arriérés estimés de rémunérations et de cotisations sociales non acquittés par la FMDD, association reconnue par le Saint-Siège et rattachée à l’ordre des grands carmes.

Des travailleuses missionnaires de l’immaculée à Menton, Lourdes ou Toulon
Lors de l’audience, le 5 juillet, le ministère public avait requis une amende de 120 000 euros ainsi que la confiscation de la somme déjà saisie. Selon les termes de la prévention, il était reproché à l’association de s’être, entre janvier 2013 et décembre 2016, « soustraite intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales (…) d’une moyenne de cinquante travailleuses missionnaires de l’immaculée, réparties (outre Marseille et Lisieux) sur les sites de La Grâce-Dieu, Menton, Ars-sur-Formans, Lourdes, Toulon et Besançon pour exercer notamment une activité de restauration et d’accueil ».

Les restaurants étaient gérés par les membres de la FMDD. Ils étaient depuis des années dans le collimateur de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). L’association Aide aux victimes des dérives de mouvements religieux et à leurs familles (Avref) leur avait aussi consacré un « livre noir » en 2014.

« Un système rodé d’exploitation transnationale »

Leurs employées étaient recrutées jeunes au Burkina Faso, au Cameroun, au Viêt Nam, aux Philippines ou encore au Pérou et œuvraient le plus souvent dans des restaurants de la chaîne L’Eau vive. Lors du procès, la défense avait plaidé la relaxe, insistant sur le statut de « collectivité religieuse » et de « congrégation », reconnu par le Vatican, de la FMDD. Autant d’éléments, selon Mes Jean-Pierre Boivin et Marie-Hélène Chardin, qui excluent toute relation de salariat avec ses membres.

Me Marie-Hélène Chardin, a dénoncé auprès de l’AFP un jugement « inique » et annoncé que l’association avait « d’ores et déjà interjeté appel ». Toujours selon l’avocate, « l’administration, notamment à Marseille, avait validé le mode de fonctionnement » de la FMDD, une « congrégation religieuse » dont les travailleuses missionnaires bénéficient de « l’exception religieuse ». Elles ne sont légalement pas soumises au droit du travail ou au salariat, a encore soutenu Me Chardin, qui avait plaidé à l’audience avec Me Jean-Pierre Boivin la relaxe.

Organisation tentaculaire, Famille missionnaire Donum Dei (FMDD) intervient sur cinq continents dans le monde. Elle prétend s’affranchir du droit du travail au profit du droit canonique.

Avocate de deux anciennes TMI, Me Julie Gonidec avait pointé « un système rodé d’exploitation transnationale », notamment en lien avec le Burkina Faso, destiné à « faire travailler dans des conditions contraires à la dignité humaine » des jeunes femmes, souvent issues de milieu modeste.

Le Parisien

Témoignage d’une victime dans le journal La Provence : "On m’a pris ma vie"
Durant 9 ans, Jeanne (le prénom a été changé) a travaillé du petit jour jusqu’au soir dans les restaurants de L’Eau vive, à Marseille, à Lisieux, à Rome et en Tchéquie... "Jamais je n’ai remis les pieds à l’école", soupire la jeune femme, "recrutée" en 2001 dans la région des Grands lacs, en Afrique. Le rêve de Jeanne était pourtant de passer son bac et de "servir Dieu. Les TM disaient qu’en Europe, elles me donneraient une éducation, une formation". 17 ans plus tard, elle a plutôt le sentiment d’avoir "servi à table" dans une ambiance pesante. "Même pour 5 minutes aux toilettes, il y avait quelqu’un avec nous, on était épiées." Jeanne ne reçoit ni salaire, ni nouvelles de sa famille. "On pouvait écrire à nos parents mais les lettres étaient-elles mises à la Poste ?"

Grâce au soutien de clients du restaurant et d’un prêtre, elle a pu s’enfuir de Tchéquie. "J’étais détruite, les TM m’ont pris ma vie et ma vocation." Désormais réfugiée en Normandie, elle a porté plainte contre l’association. "Je veux un procès parce que je veux des réponses, et être payée de ce qu’on me doit."