Président du Comité de haut niveau de l’Union africaine sur la Libye, le chef de l’Etat congolais Denis Sassou N’Guesso s’était rendu aux Etats-Unis pour évoquer la situation dans ce pays avec le nouveau locataire de la Maison-Blanche le 27 décembre. La rencontre, finalement avortée suscite bien de questions

« Débâcle diplomatique », « humiliation », « rencontre virtuelle », « non-rendez-vous », etc., le rendez-vous manqué entre le président du Congo-Brazzaville Denis Sassou Nguesso et le nouveau président américain, Donald Trump a donné lieu à des commentaires ironiques, voire sarcastiques dans les médias de masse et sur les réseaux sociaux. Les opposants au président Sassou Nguesso et tous ceux qui sont hostiles à son gouvernement se délectent de sa mésaventure aux Etats-Unis. Mais faut-il vraiment s’en réjouir ? Il n’est pas interdit de poser la question.
Rappel des faits : le 26 décembre, le ministre d’Etat, directeur de cabinet du président de la république, Firmin Ayessa publie un communiqué dont le contenu ne laisse aucun doute : « Le président Denis Sassou-N’Guesso est attendu ce 27 décembre 2016 aux Etats-Unis d’Amérique où il sera reçu, en sa qualité de président du Comité de haut niveau de l’Union africaine sur la Libye, par le président élu des Etats-Unis, Monsieur Donald Trump. Les entretiens entre les président Donald Trump et Denis Sassou-N’Guesso porteront sur la recherche des voies et moyens de sortie de crise en Libye, et plus largement, sur le reste de l’Afrique et sur d’autres questions internationales ». Repris sur le compte Twitter du ministre de la Communication et des médias, porte-parole du gouvernement (et non de la présidence !), Thierry Moungalla, la nouvelle a rapidement fait le tour des rédactions internationales, avant d’être démentie par Hope Hicks, une porte-parole du président élu américain. Selon elle, un rendez-vous entre les deux présidents n’a jamais été à l’ordre du jour. Le ministre congolais des Affaires étrangères, de la coopération et des Congolais de l’étranger, Jean Claude Gakosso est quant à lui formel : le tête-à-tête est bien prévu et aura bel et bien lieu.
Le 26 décembre au matin, la télévision nationale congolaise montre l’équipe gouvernementale au grand complet à l’aéroport international Maya-Maya, venue saluer le départ du président. Après les honneurs militaires, ce dernier serre les mains des ministres et monte dans l’avion. L’appareil se met en bout de piste et décolle.
On attend donc de voir la poignée de mains entre les deux présidents et la photo officielle qui fixe pour l’histoire, le premier entretien entre le président de la première puissance du monde et son homologue du Congo. Mais jusqu’au mardi 27 décembre dans la soirée, rien. Pas de rendez-vous. Les médias, qui suivent l’affaire depuis le début, commencent à parler d’un possible faux rendez-vous. A nouveau, depuis la Floride, le ministre Gakosso rassure : « Le temps de la diplomatie n’est pas celui des médias », déclare t-il, invitant à la patience. L’attente commence à être anormalement longue pour un agenda en principe arrêté de commun accord. Il faut se rendre à l’évidence, Denis Sassou N’Guesso ne rencontrera pas Donald Trump, même en privé.
Officiellement, le nouvel élu pendra ses fonctions le 20 janvier prochain, mais en attendant, rien ne l’empêche de s’informer sur certains dossiers qu’il aura à gérer. Le 22 décembre, n’avait-il pas débattu avec le président égyptien Abdel-Fattah el-Sissi sur la résolution de l’Onu contre la politique de colonisation israélienne, et sur les conflits qui déchirent le Proche-Orient ?
Assurément, le dossier libyen fait partie de l’encombrant héritage que lui lègue Barack Obama. Depuis 2011, la Libye est plongée dans un chaos politique, sécuritaire et institutionnel, conséquence de l’intervention occidentale, France et Angleterre en tête, et l’assassinat de Mouammar Kadhafi, alors que de l’avis de Jean Ping, alors président de la Commission de l’Union africaine, une solution africaine à la crise née quelques mois plus tôt, était à portée de main.
Sur ce dossier comme sur d’autres où les Etats Unis jouent un rôle important, surtout sur le continent africain, le tête-à-tête entre le successeur de Barack Obama et le président du Comité de haut niveau de l’Union africaine sur la Libye était plus que justifié. Qu’il n’ait pas eu lieu est fort regrettable, et en attendant de savoir ce qui s’est réellement passé et qui expliquerait ce couac diplomatique, une question brûle les lèvres. Entre les deux camps, qui a menti à qui ? Pour les opposants au président Sassou N’Guesso, l’explication est simple. Mal élu, contesté dans son propre pays, le président congolais aurait remué ciel et terre pour apparaitre aux côté du président Trump, espérant ainsi obtenir une légitimé internationale et conforter ainsi son pouvoir. Malheureusement pour lui, le nouvel élu américain, a réussi à éviter de justesse, le piège dans lequel il voulait l’attirer. L’explication vaut ce qu’elle vaut, c’est-à-dire, pas grand-chose. Peut-on croire un instant que le futur locataire de la Maison-Blanche a découvert in extremis le pedigree de son hôte ? Il lui faudrait alors limoger l’ambassadrice en poste à Brazzaville, Stephanie Sullivan et ses conseillers diplomatiques.
Par ailleurs, faut-il penser que les Congolais qui contestent la légitimité de leur président auraient changé d’avis pour la simple raison qu’il a eu quelques minutes de discussion avec le nouveau locataire de la Maison-Blanche ? Rien n’ont plus ne permet de penser qu’en « trumpant » Denis Sassou N’Guesso, cela contribuera à décrisper la situation politique au Congo, particulièrement dans le Pool.
Bien entendu, une séance de travail avec l’homme le plus puissant du monde, et des photos de souvenir, c’est toujours bon à prendre, pour n’importe quel président. Mais on a du mal à croire que Denis Sassou N’Guesso ait effectué ce long voyage juste pour ça ! On reste également pantois à l’idée que celui qui totalise trente-deux ans à la tête du Congo, qui a donc une longue expérience des rencontres de haut niveau, et de la pratique des rendez-vous entre chefs d’Etat, se soit rendu en Floride, sans avoir la garantie qu’il rencontrera son homologue américain. C’est une précaution qui relève du bon sens.
Que sait-il donc réellement passé pour que le président-milliardaire, qui n’est pas encore au fait des us et coutumes en matière diplomatique, refuse de recevoir son hôte ? L’histoire le dira, mais en se rétractant au dernier moment, obligeant Denis Sassou N’Guesso à rentrer au pays sous les quolibets, le président Trump n’a pas seulement humilié un chef d’Etat d’un pays nommé Congo-Brazzaville, mais le président du Comité de haut niveau de l’Union africaine sur la Libye. Par ricochet, c’est tout un continent qu’il a humilié, et le dire, ce n’est pas convoquer une fibre panafricaine mal à propos. C’est bien sous la casquette panafricaine, et pas sous une autre, que le président congolais s’est rendu aux Etats-Unis.
Donald Trump a t-il voulu envoyer un signe aux présidents en mal de légitimité dans leur pays, leur indiquant qu’il ne traitera qu’avec ceux dont l’élection ne souffre d’aucune contestation comme veulent le croire naïvement certaines voix africaines ? Si telle est son intention, chiche !

Joachim Vokouma
Kaceto.net