Lors du sommet de l’Union africaine fin janvier 2016 à Addis-Abeba, un Groupe de personnalités de haut niveau conduit par l’ancien président Tabo Mbéki a présenté un rapport sur les flux financiers illicites, c’est-à-dire « les capitaux gagnés, transférés ou utilisés illégalement » observés sur le continent africain. Le constat est accablant.

Le rapporté rédigé par le Groupe de personnalités de haut niveau a révélé qu’au cours des 50 dernières années, l’Afrique a perdu plus de 1 000 milliards de dollars du fait des flux financiers illicites (FFI), un chiffre à peu près équivalent à l’ensemble de l’aide publique au développement reçue par l’Afrique sur la même période. Le continent noir continue de perdre de 50 milliards de dollars par an, du fait de ses propres dirigeants ! Un chiffre qui ne reflète que la partie visible de l’iceberg en raison du manque de statistiques fiables dans tous les pays.
Ces flux sont essentiellement alimentés par la corruption, le trafic de drogues, la traite des êtres humains et du trafic des armes à feu. « Ces sorties de capitaux sont très préoccupantes étant donné l’insuffisance de la croissance, les niveaux élevés de pauvreté, les besoins de ressources et l’évolution défavorable de l’aide publique au développement », écrivent les auteurs du rapport.

Sur un continent où la pauvreté demeure à un niveau élevé avec un nombre d’habitant vivant avec 1,25 dollar, qui est passé de 290 millions en 1990 à 414 millions en 2010, selon l’ONU, l’arrêt des flux financiers illicites devient un impératif politique et social. D’autant que la faiblesse de l’épargne et l’état défectueux des infrastructures freinent également la croissance. En 2012, les taux de formation de capital brut au Nigéria et en Afrique du Sud étaient de 13% et de 19% respectivement, contre 49% en Chine et 35% en Inde « Pourtant, relève le rapport, on estime que l’Afrique a besoin de trouver de 30 à 50 milliards de dollars par an pour financer son équipement ».
Selon les auteurs de ce document, ce sont les activités commerciales qui alimentent le plus le phénomène, suivies par la criminalité organisée, la corruption et les activités minières. Toutes les régions du continent sont concernées par le fléau, mais à des degrés différent.

Fort de ce constat accablant, le Group de personnalités de haut niveau a fait des recommandations aux chefs d’Etats, à charge pour eux de mettre en place les dispositions appropriées pour endiguer le fléau. Au Nigeria, le gouvernement a décidé de confier la lutte contre les sorties frauduleuses de fonds à un service extérieur aux douanes. La lutte contre les flux illicites implique aussi d’avoir une législation claire sur les prix des marchandises et services afin d’éviter toute manipulation sur les droits de douane et les impôts indirects. Il faut donc former les agents des douanes et du fisc, une condition nécessaire pour assurer une collecte correcte des impôts.
Le document rappelle que l’optimisation fiscale pratiquée par les multinationales, c’est à dire, le fait de transférer les profits vers des filiales créées dans des juridictions où le taux d’imposition est faible ou pratiquant le secret bancaire, est l’une des principales sources de flux financiers illicites. « Dans de nombreux cas, ces filiales n’existent que sur le papier ou ne comptent qu’un ou deux employés, tandis que l’essentiel des activités de la société a lieu dans un autre pays ». Les banques et les institutions financières sont invitées à jouer un rôle majeur dans la prévention de ce pillage à grande échelle des ressources financières des pays.
Dans les secteurs publics et dans la gestion des collectivités locales, les gouvernements devraient veiller à informer les citoyens sur le fonctionnement de la fiscalité et les procédures budgétaires.

Le rapport préconise une plus grande collaboration entre l’Afrique et les pays occidentaux afin d’introduire la transparence dans les transferts de fonds. Des mécanismes devraient être mis en place pour faciliter le rapatriement des fonds illicitement transférés, ce qui permettrait à certains pays africains de récupérer des ressources financières importantes. Aux Etats-Unis, rappelle le Groupe, la « Loi Lacey » visant à rapatrier les produits d’activités illégales de pêche en Afrique du Sud en est un bon exemple, tout comme la législation fiscale sud-africaine qui a permis de récupérer 2 milliards de dollars d’impôt non payé. « L’Afrique peut inverser les flux financiers illicites », et récupérer ainsi environ 50 milliards de dollars par an pour financer ses besoins de développement, écrivent les auteurs du rapport.

Joachim Vokouma
Kaceto.net