L’Armée, avions écrit dans un article précédent (http://kaceto.net/spip.php?article1599), est constituée de deux faces : elle est, avec l’administration générale et les tribunaux, l’appareil répressif d’État. De ce point de vue, elle assure l’ordre, veille à la sécurité des biens et des personnes, à la défense du territoire. Par sa deuxième face, l’Armée fait partie de l’appareil idéologique d’État dont le rôle est, non pas de réprimer, mais d’éduquer les individus de manière à ce qu’ils intègrent volontairement l’ordre social. En d’autres termes, l’Armée, en sus de sa dimension purement militaire, a la mission d’inculquer le civisme à chaque individu qui adhère au contrat social. Sur la base de ces considérations, une question se pose alors : l’Armée du Faso dispose-t-elle des ressources morales et financières pour faire face à ses missions d’éducation civique ?

Une armée embourbée comme la Nation elle-même

L’Armée burkinabé, par ses interventions dans la vie de l’État et son implication quasi-constante dans le débat politique du pays, a fini par développer les mêmes tares que la société pour laquelle elle est sensée être de dernier rempart morale et civique. De la première insurrection populaire en 1966 à la deuxième en octobre 2014, en passant par les régimes militaires du Renouveau national en 1975, du Comité militaire de redressement pour le progrès national en 1980, du Conseil du salut du peuple en 1982, de la Révolution démocratique et populaire en 1983, et du Front populaire en 1987, l’armée nationale s’est toujours présentée comme l’actrice providentielle qui vient intervenir sur la scène politique pour restaurer l’ordre civique estimé en péril. Au bout du compte, notre Armée s’en sort gravement égratignée dans son image, sa renommée et sa crédibilité. Elle a vécu toute sorte d’anomalies : elle a vu les capitaines commander les généraux, les caporaux instruire les commandants et les soldats diriger les officiers. Infiltrée par les idées politiques et leurs corollaires de pratiques ségrégationnistes et partisanes, le vin de l’Armée s’est frelaté du fait de recrutements d’individus sans vocation, de dérogations accordées à quelques appelés aux bras bien longs, de distributions affairistes de missions juteuses. Il ne reste plus alors à la Nation qu’une armée aux capacités stratégiques mises en doute par les gens sceptiques ; une armée, comme partout en Afrique, particulièrement disposée aux séditions, aux mutineries, aux revendications pécuniaires et aux rebellions de toutes sortes. Une telle armée ne pourrait récupérer sa vielle mission d’éducation et de construction de l’homme burkinabé qu’en se restaurant elle-même et en retrouvant ses valeurs cardinales. Pour elle et pour la Nation, cette action de réorganisation est une urgence.

Les questions budgétaires.

Nous pensons que ce sont les choses les moins graves, pour peu que l’on sorte de l’approche réductionniste à nous imposée par les institutions financières internationales, et qui tend à dire que l’armée est inutilement budgétivore. On ne doit pas voir un militaire comme un homme exclusivement en tenue et en arme, qui vit nuisiblement sur le dos du peuple en temps de paix. Un militaire est aussi un citoyen productif à mettre à contribution pour le développement économique et social du pays. L’armée peut se réorienter et être plus rentable en dehors de ses missions de défense nationale. Dans cette option, nous pensons que le budget national doit accroître significativement les ressources de notre armée, tout en peaufinant mieux ses missions d’éducation, d’instruction, de formation, voire de production. Eut égard d’ailleurs au contexte doublement marqué par la menace du terrorisme à nos frontières et à la recrudescence de l’incivisme dans nos murs, le maintien de l’ordre public doit devenir la première des fonctions régalienne de l’État. Si cette option est prise, l’armée pourrait effectivement repenser à la mise en œuvre d’un service militaire constitutionnellement obligatoire avant l’insertion professionnelle des jeunes.
La durée et les conditions pratiques d’un tel service seraient naturellement à adapter au contexte actuel des sociétés modernes, aux besoins des employeurs publics et privés et aux exigences des droits humains. Même si ces options ne venaient pas à résorber tous les problèmes de civisme au Faso, on aura fait néanmoins un grand pas en avant dans le processus de construction d’une Nation pérenne. Prochaine étape de nos réflexions : Que faut-il entendre par civisme et incivisme dans la Nation ?

A suivre

Zassi Goro,
Professeur de Lettres et philosophie, écrivain.
Kaceto.net