Précédemment secrétaire permanant du suivi de la filière coton libéralisée, une structure mise en place par l’Etat pour assurer la surveillance du bon fonctionnement de la filière, c’est un fin connaisseur du secteur qui a pris les reines de la société en mars 2016. Et qui devait relever plusieurs défis : retour au coton conventionnel après plusieurs expériences de cultures OGM, augmentation de la production, renforcement du partenariat avec les producteurs et amélioration de la qualité de services, etc. Sur tous ces points, Wilfried Yaméogo s’explique. Avec sincérité.

Pourquoi la Sofitex a t-elle abandonné la culture du coton génétiquement modifié et rompu ses relations avec la firme Monsanto ?

Dans la production de coton conventionnel, il y a quatre longueurs de soie qui va de 1.1/16 à 1.5/32, qui représente à peu près 30 mm de longueur, la plus courte soie étant de 1.1/16 qui est autour de 26,5 mm. Nous avions donc des fibres longues de 1.5/32 en quantité importante et de fibres courtes de 1.1/16 en petite quantité.
Avec l’introduction des Organismes génétiquement modifiés (OGM), nous avons rencontré des problèmes techniques en ce qui concerne la longueur de la soie puisque la fibre longue de 1.5/32, a disparu au profit de la fibre courte qui est de 1.1/16. Il y a donc eu une inversion totale de tendance en ce qui concerne les proportions. Ce qu’il faut savoir, c’est que dans le négoce de la fibre, c’est la longueur de la soie, son grade et la joliesse du coton qui déterminent les prix. Lorsque vous avez une production composée de 60 à 70 % en fibres courtes, vous faites de très mauvaises affaires parce que ce sont les fibres longues qui se vendent plus chères. Le Burkina a été confronté à cette problématique dans le cadre de la production du coton génétiquement modifié de Monsanto. Nous avons demandé à notre partenaire de faire des travaux techniques de restauration des caractéristiques de notre fibre, sans succès. Cela nous a conduits à prendre nos responsabilités en arrêtant la production du coton génétiquement modifié, et de repartir vers le coton conventionnel à 100%, ce qui était un challenge, puisque nous étions dans une configuration où on faisait 50% de conventionnel et 50% d’OGM. 
C’était un pari risqué et loin d’être gagné, mais le professionnalisme des producteurs a permis de gagner la bataille des superficies. Nous avons réalisé des emblavures de 632 000 ha de superficie et gagné la bataille de la production car nous avions également des estimations initiaux de récoltes de 600 000 tonnes dans la zone Sofitex. Aujourd’hui, vu les objectifs de production que nous nous étions fixés, nous pensons pouvoir récolter au moins 555000 tonnes de coton graine. Nous avons déjà passé 245 000 tonnes dans nos usines et nous avons procédé au placement de la fibre qui est issue de l’égrenage. Le résultat est plus qu’encourageant ! Il n’y a plus de fibre courte, mais la longue de 1.5/02 qui constitue le lot de tête en ce qui concerne le classement.

C’est donc la principale raison du divorce avec Monsanto ?

Absolument ! La longueur de la fibre est la cause du divorce avec Monsanto parce qu’il ne sert à rien de produire des quantités massives de coton sans être en mesure de valoriser la fibre comme il se doit à l’international. Non seulement la fibre courte nous fait perdre le bonus de 20 F CFA/kg que nous avions à la commercialisation, mais également cela nous fait subir des décotes anormales sur le marché international. L’enjeu est donc financier et il nous fallait très vite retrouver le Label du coton burkinabè, qui est aujourd’hui notre priorité. Cette campagne 2016/2017 confirme bien que le coton conventionnel est celui-là qui permet la restauration du label coton burkinabè et nous allons continuer dans cette dynamique.
Je dois noter une chose qui me semble important : nous avons certes arrêté la collaboration avec Monsanto sur la production du coton génétiquement modifié, mais nous n’avons pas abandonné l’espoir de revenir aux biotechnologies. Ce sont les caractéristiques technologiques de la fibre qui ont été détériorées dans le cadre du partenariat avec Monsanto, et lorsque nous retrouverons un partenaire capable de développer des technologies biotechnologiques pouvant nous garantir la restauration des caractéristiques technologiques de notre fibre dans l’approche du coton génétiquement modifié, nous allons repartir vers les producteurs pour leur dire que cette fois-ci, c’est la bonne approche. Bien entendu, nous allons tirer les enseignements du partenariat avec Monsanto dans le cadre de la construction de nouveaux partenariats avec les firmes qui développement les technologies BT

Donc, vous vous tournez vers la concurrence ?

Assurément oui, puisque la collaboration avec Monsanto est achevée et nous sommes en train de rechercher son remplaçant. Nous avions déjà en décembre 2015 pris contact avec la firme allemande Bayer sans savoir que les développements ultérieurs allaient conduire Bayer à phagocyter Monsanto, ce qui veut dire qu’on avait fait une bonne anticipation. Bayer a d’ailleurs déjà une expérience avancée avec la Sodecoton au Cameroun et nous sommes intéressés de savoir quel est le résultat de cette expérience avant d’aller plus loin dans notre relation de partenariat éventuel lui.

Comment s’est passé le divorce avec Monsanto ?

Tout s’est bien passé parce qu’il n’y a pas eu de procédure judiciaire engagée entre Monsanto et nous. Le 27 décembre 2016, nous avons pu nous accorder à l’amiable sur une indemnisation qui est essentiellement basée sur les royalties que la partie burkinabè devait verser à Monsanto sur les deux campagnes 2014/15 et 2015/2016 et qui s’élève à 15,2 milliards. Nous sommes tombés d’accord sur une clé de répartition qui est la suivante : 25% du montant pour Monsanto et 75% pour la filière cotonnière burkinabè. Autrement dit, c’est 3,7 milliards F CFA pour Monsanto et 11,3 milliards pour la partie burkinabè.

Vous avez commencé à payer les producteurs de votre zone. Quel est le prix d’achat aux producteurs cette année ?

Le prix est de 235 F/kg premier choix et une décote de 25F pour le deuxième choix, une décote tient au fait que nous voulons inciter les producteurs à exceller dans la production de coton de qualité. Je dois également vous dire que la question du paiement restait une question prioritaire et sensible pour les producteurs et la Sofitex. Les producteurs ont besoins de revenus pour organiser leur vie, et la Sofitex est dans la dynamique de l’amélioration de ses services, dont le paiement du coton à temps. C’est la raison pour laquelle nous améliorons le système de paiement avec le concours du système bancaire local qui permet de sécuriser les revenus des producteurs dans leur comptes et qui permet aux groupements de producteurs de faire des retraits et les répartitions en fonction de la production. Le délai de paiement est aujourd’hui de sept jours (7) jours francs entre l’entrée du coton en usine, le dépôt de la demande, et le règlement effectif des factures. Chaque jour, nous travaillons à trouver des formules pour ne pas pénaliser les producteurs qui vivent de leur travail.

Le retour au coton conventionnel implique plus de pesticides et augmente la pénibilité travail. Que comptez-vous faire pour alléger la charge pour les producteurs ?

Nous avons pensé aux incidences négatives du retour au conventionnel et nous avons trouvé l’alchimie qui convient. Nous avons subventionné l’achat des produits phytosanitaires de mêle que l’achat des appareils de traitement afin de faciliter l’engagement des producteurs dans le traitement du coton conventionnel. Nous sommes conscients que le retour au conventionnel induit une pénibilité importante de travail. C’était une nécessité pour nous d’accompagner les producteurs à travers la surveillance des parcelles et les interventions de choc quand les parcelles sont massivement infestées. Nous leur avons assuré une formation afin qu’ils implémenter correctement les traitements phytosanitaires.

Depuis mars 2016, l’Union nationale des producteurs de coton du Burkina (UNPCB), qui est un partenaire de la Sofitex, traverse une crise interne. Qu’en est-il maintenant ?

Les producteurs constituent pour la Sofitex un partenaire de premier choix, et une crise au sein de la famille des producteurs nous affecte. Il fallait agir rapidement. Quand je suis arrivé à la direction de la société en mars 2016, j’ai clairement indiqué que je faisais du rapprochement des factions en conflit une priorité. Aujourd’hui, Dieu merci, un compromis a pu être trouvé le 31 décembre 2016 grâce à l’engagement des autorités politiques au plus haut niveau. Un administrateur provisoire a été désigné et il a été convenu de procéder au renouvellement du mandat des délégués depuis la base vers les unions départementales, provinciales et enfin la faîtière. Le processus devrait s’achever courant février 2017 et nous espérons que le conflit, qui était né suite à des problèmes de gouvernance et de gestion, sera derrière nous.

Propos recueillis à Paris par J. V
Kaceto.net