L’ancien Premier ministre somalien Mohamed Abdullahi Farmajo a été élu mercredi président de son pays à l’issue d’un vote des parlementaires, et a promis de lutter contre deux des fléaux gangrenant la Somalie, la corruption et les combattants islamistes shebab.

Après deux tours de vote ayant duré plus de six heures, l’actuel président Hassan Sheikh Mohamud a reconnu sa défaite, et Mohamed Abdullahi ’Farmajo’, membre d’un des principaux clans du pays, les Darod, a été proclamé vainqueur. Son élection marque la fin d’un processus électoral de plusieurs mois, maintes fois retardé et entaché de nombreuses accusations de corruption et manipulation.

Malgré l’absence du suffrage universel, reporté à 2020, cette élection est vue comme une avancée dans ce pays privé de véritable état central depuis la chute de l’autocrate Siad Barre en 1991. "C’est le début de l’unité pour la nation somalienne, le début de la lutte contre les shebab et la corruption", a affirmé le nouveau président devant les parlementaires, journalistes et observateurs réunis dans un hangar de l’aéroport de Mogadiscio - un des endroits les mieux protégés de la ville -, où l’élection était organisée.

Disposant des nationalités somalienne et américaine, Mohamed Abdullahi ’Farmajo’ a été Premier ministre pendant huit mois en 2010 et 2011. Il avait été évincé avant d’avoir eu l’opportunité de montrer sa valeur, mais il reste populaire auprès de la population, qui le perçoit comme un homme prenant la défense des pauvres et des réfugiés.

"Aujourd’hui est un grand jour, (...) je félicite Farmajo pour sa victoire et je vous appelle tous à travailler de manière sincère avec lui", a déclaré le président sortant Hassan Sheikh Mohamud, dont l’administration est taxée de corruption et dénoncée pour son bilan en matière de sécurité.

 Coups de feu -

Civils et soldats ont célébré dans la capitale la victoire du nouveau président, les soldats tirant des coups de feu en l’air, alors que les rues étaient presque désertes depuis deux jours.

Craignant une nouvelle attaque des shebab, le maire avait appelé les habitants à rester chez eux, les magasins et écoles étaient fermés et des soldats lourdement armés patrouillaient les rues.

Dans le camp de réfugiés somaliens de Dadaab, le plus grand au monde, situé au Kenya, beaucoup ont laissé éclater leur joie et entonné l’hymne national, a constaté un journaliste de l’AFP. "C’est l’homme qu’il nous faut", a déclaré Anfi Kassim.

Père de quatre enfants, issu d’une famille de la région de Gedo, dans le sud de la Somalie, le nouveau président a étudié l’histoire et les sciences politiques à l’université de Buffalo, aux Etats-Unis. Il a travaillé comme diplomate à Washington pour la Somalie avant la chute de Siad Barre.

La Somalie, dont le fragile gouvernement est soutenu à bout de bras par la communauté internationale et protégé par une force de l’Union africaine comptant 22.000 hommes, est plongée depuis près de trois décennies dans le chaos et la violence entretenus par des milices claniques, des gangs criminels et des groupes islamistes.

Affiliés à Al-Qaïda, les shebab contrôlent de vastes zones rurales d’où ils mènent des opérations de guérilla et des attentats-suicides, souvent jusque dans la capitale.

 Système clanique -

Prévue en août, l’élection du président avait été plusieurs fois repoussée. Elle a clos un processus électoral entamé en 2016 et construit autour du système clanique régissant la société et la politique du pays.

Quelque 14.000 électeurs délégués - sur les 12 millions de Somaliens - ont voté entre octobre et décembre 2016 pour élire les nouveaux députés, parmi des candidats généralement choisis à l’avance par consensus ou négociations, et représentant chaque clan ou sous-clan.

Le suffrage universel avait été initialement promis aux Somaliens, mais cet engagement a finalement été repoussé à 2020. Ces élections sont cependant vues comme une avancée démocratique par rapport à celles de 2012, lors desquelles 135 "elders" (notables) avaient désigné l’ensemble des députés. La dernière élection véritablement démocratique en Somalie remonte à presque 50 ans, en 1969.

Dans un rapport publié mardi, l’ONG anti-corruption somalienne Marqaati affirme que le processus électoral a été "défiguré par la corruption".

"Lorsque des délégués refusaient de prendre de l’argent ou de voter d’une certaine manière, ils étaient remplacés, intimidés, harcelés, et dans certains cas... on leur a tiré dessus", affirme l’ONG dans son rapport.

Des accusations relayées par l’ONU. "Le processus électoral a été l’objet de graves accusations de fraudes et de corruption, certaines sont clairement étayées", a déclaré mercredi soir un porte-parole de l’ONU, Stephane Dujarric.

Le Département d’Etat américain se félicite lui de la participation des Somaliens" en plus grand nombre" qu’en 2012 mais regrette les "nombreux et crédibles rapports faisant état d’irrégularités dans le processus électoral".

Quant à l’Union africaine, elle appelle "le nouveau gouvernement qui sera formé (...) à améliorer la réconciliation et l’unité" nationale.