Le 7 février, en présentant le "Mémorandum sur un an du régime du président Roch Marc Christian Kaboré", le chef de file de l’opposition, Zéphirin Diabré, par ailleurs président de l’Union pour le progrès et le changement (UPC), s’était laissé allé à quelques confidences sur les tractations qui avaient eu lieu entre partis de l’opposition au lendemain du double scrutin présidentiel et législatif du 29 novembre 2015. "Notez-le bien, c’est la première fois que j’en parle", avait-il lancé, avant de révéler les raisons qui, selon lui, ont conduit Maitre Bénéwendé Sankara à fausser compagnie à ses camarades de l’opposition, et à rallier le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) pour former la majorité présidentielle.
D’après Zéphirin Diabré, Maître Sankara était prêt à composer avec le CDP pour former une majorité, restait à négocier le partage des postes. C’est d’ailleurs en pleine concertation que le patron de l’UNIR/PS, toujours selon Diabré, a rejoint le MPP en contre-partie de la vice-présidence de l’Assemblée nationale. Une version des faits que Maitre Sankara n’a pas tarder à contester. Chez nos confrères de Oméga FM, il a accusé Zéphirin Diabré d’avoir "orchestré un plan machiavélique, un scénario pour mettre en difficulté Roch Kaboré".
Le plan en question consistait tout simplement à créer une majorité alternative composée de l’UPC, l’UNIR/PS, le CDP, l’ADF/RDA, laquelle s’arrogerait la présidence de l’Assemblée nationale et la primature. On aurait alors débouché sur une cohabitation, un scénario que ne veut guère Maître Sankara car porteur de danger pour le bon fonctionnement des institutions. Entre les deux grandes figures de la vie politique burkinabè, qui a raison et qui a tort ? Ce qui est certain, c’est que dans cette affaire, Maître Sankara est resté constant dans ses positions. Sa réaction à la version de Zéphirin Diabré est exactement conforme aux propos qu’il avait tenus lors d’une interview accordée à Kaceto.net et publiée le 17 juin 2016. Nous publions les principaux extraits en rapport avec la polémique déclenchée par le chef de file de l’opposition.

Kaceto.net : Pourquoi avez-vous rejoint le MPP et la majorité présidentielle au lieu de former une majorité avec vos anciens camarades du CFOP ? Ne les avez-vous pas trahis ?

Maitre Sankara : J’ai plutôt le sentiment d’avoir été trahi par nos anciens camarades de l’opposition réunis au sein du Chef de file de l’opposition (CFOP). Nous avions formé un front commun avec une plateforme de lutte qui a permis de faire l’insurrection populaire. Dans le CFOP, je rappelle qu’il y avait le MPP, qui est venu du CDP comme un transfuge et qui a été au devant de la scène au même titre que l’UNIR/PS, l’UPC et d’autres forces politiques.
A l’occasion de l’élection présidentielle, il était clair dans mon esprit que parmi les 14 candidats qui étaient en lice, celui d’entre nous qui arriverait au second aurait le soutien des autres membres du CFOP. Je n’ai donc pas compris le revirement spectaculaire de nos anciens camarades de l’opposition qui sont allés former une coalition avec ceux-là qu’on a combattus il y a quelques mois. Nous sommes donc restés cohérents avec nos choix antérieurs. J’ajoute que le MPP se réclame de la social-démocratie, donc d’un point de vue idéologique, nous avons une même vision des choses en tant que membres de la grande famille de la gauche.

Vous auriez-pu aussi former une majorité avec l’UPC, le CDP et l’ADF/RDA d’autant que ces partis vous ont fait la proposition…

C’est exact ! Nous avons décliné leur proposition qui était de former ensemble une majorité à l’assemblée, car c’était prendre le risque de pousser le pays dans une crise institutionnelle. Le président Roch Marc Christian Kaboré n’aurait pas pu nommer un premier ministre issu de son camp. Nous aurions eu une cohabitation qui allait provoquer une crise institutionnelle, chose dont l’UNIR/PS ne veut pas en être comptable. Nous souhaitons au contraire un Burkina stable, qui se construit dans une cohésion sociale. C’est un choix éminemment politique que nous avons fait.

Vous avez signé une alliance stratégique et structurelle avec le MPP. De quoi s’agit-il exactement et quel est son contenu ?

D’abord, nous faisons partie de l’alliance des parties de la majorité présidentielle qui comprend une trentaine de partis politiques se réclamant de la gauche démocratique. Mais à l’assemblée, nous avons notre propre groupe parlementaire, le « groupe Burkindlim » composé de députés issus de partis politiques qui sont membres de cette alliance. L’objectif de l’alliance est de soutenir le programme présidentiel et aider le président à respecter ses engagements vis-à-vis du peuple burkinabè. Très majoritairement, les partis de l’alliance ont adopté la déclaration de politique générale du premier ministre Paul Kaba Thièba et nous nous retrouvons dans l’action gouvernementale. Mais nous, à l’UNIR/PS, nous avons une alliance structurelle avec le MPP qui va au-delà du simple soutien à l’action gouvernementale. Ce qui importe pour nous, c’est faire des propositions qui répondent aux aspirations des Burkinabè dans le contexte post-insurrectionnel. Là, nous affirmons notre identité de gauche.

Vous êtes premier vice-président de l’Assemblée nationale, et l’UNIR/PS a deux ministres dans le gouvernement. C’est le résultat du troc ?

En politique on ne fait pas d’alliance si on n’y trouve pas son intérêt. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que nos concertations avec le MPP ont commencé bien avant les élections. En janvier 2014, je suis allé les soutenir lors de leur assemblée générale qui s’est tenue à la maison du peuple et nous les avons ensuite encouragés quant ils sont venus au CFOP. Le résultat là ! Norbert Zongo avait écrit que l’alternance viendra de l’implosion du CDP. La prophétie s’est réalisée. L’UNIR/PS est à l’avant-garde dans la lutte contre l’injustice, l’impunité, la corruption, etc., et se bat pour qu’il y ait un ancrage institutionnel fondé sur les valeurs de la démocratie, de bonne gouvernance, de résilience et de lutte contre les inégalités. Il ne s’agit donc pas d’un troc de postes avec le MPP, mais de poser les principes devant désormais guider l’action publique. On a dit que « plus rien ne sera comme avant », eh bien, il faut que ça se voit dans notre façon d’être et de faire.

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Quels sont vos rapports avec vos anciens camarades du CFOP ?

J’ai évoqué plus haut l’alliance de la majorité présidentielle qui compte une trentaine de partis politiques, mais une vingtaine sont issus du l’ex CFOP. Je trouve très paradoxal que ce soit l’UPC qui, pour des calculs politiques, est partie encore s’attribuer le titre de Chef de file de l’opposition même si elle a plus de députés. L’UPC aurait dû être dans la majorité présidentielle ! Je ne comprends pas comment des partis politiques qui ont été ensemble dans une plateforme, lutté jusqu’à ce que Blaise Compaoré prenne la fuite, se retrouvent avec ceux-là qu’ils ont combattus il y a quelques mois. Tout simplement parce que quelqu’un d’autre a été élu ! Comment voulez-vous que les Burkinabè s’y retrouvent quand l’UPC, dont le chef, Zéphirin Diabré a travaillé avec l’UNIR/PS, le MPP, se retrouve subitement avec des alliés comme le CDP et l’ADF/RDA ? C’est l’ironie du sort ! Je pense qu’il a fait de mauvais calculs.

Interview réalisée par Joachim Vokouma
Kaceto.net