On peut retenir, de notre réflexion précédente sur ce même sujet (,http://kaceto.net/spip.php?article1929) que la philosophie est nécessaire dans un pays aux ressources limitées comme le Burkina Faso. Dans l’histoire de l’humanité, la technique a été l’œuvre de l’homo faber ; la science elle, peut être attribuée à l’homo sapiens ; par excellence, la philosophie est une invention de l’homo sapiens-sapiens, qui marque le paroxysme des progrès de l’homme dans le devenir. Toute société, qui veut honorablement figurer parmi les nations civilisées, doit donc percevoir la philosophie comme une urgence. Cependant, la philosophie, de son côté, se doit de mériter la confiance des peuples et des décideurs. Elle se doit de rentabiliser les ressources consenties pour son développement. Quelles sont alors les exigences qu’elle doit s’efforcer de mettre en œuvre pour mériter cette place de choix qu’elle revendique ?
Pour que la philosophie soit utilement inscrite dans les besoins prioritaires, elle doit répondre à certaines conditions
Le commun des mortels et les décideurs se méfient du philosophe qui marche à contre courant des préoccupations générales. En effet, pourquoi investir les maigres ressources dans l’activité d’un homme qui rit quand tous les autres pleurent ? Un homme qui se promène dans la nature, avec en tête, des idées lunatiques, et à la bouche des poèmes inutiles, peut-il servir l’intérêt commun ? Les philosophes des pays pauvres doivent prendre en compte ces critiques de l’opinion. En conséquence, ils ne doivent pas restés isolés des réalités de leur temps et de leur société. Le philosophe, le vrai, doit redescendre dans la caverne pour libérer ses semblables comme le recommandait Platon le grec. Il doit, comme Socrate, faire la critique de la mal gouvernance sociale et politique. Il doit dénoncer le tyran, démasquer le démagogue. Il doit, comme le philosophe éclairé du siècle de Voltaire, sensibiliser le peuple et répandre les Lumières dans la société. Comme le disent les marxistes, le philosophe doit être à l’avant-garde de la lutte des classes opprimées, des peuples enchainés. Il doit travailler, pour justifier les dépenses consenties par le peuple, à la prise de conscience des citoyens et des générations nouvelles.
En outre, la philosophie ne peut être utile à un peuple que si elle épouse les aspirations de ce peuple. Cela veut dire que le philosophe doit être fils de son temps ; qu’il doit porter la conscience de son milieu et être le regard critique du peuple sur lui-même. Sa pensée doit être un produit endogène qui propose des solutions aux préoccupations nationales. Il ne servirait, par exemple, à rien, d’aller imposer la théorie platonicienne des idées à Dorossiamansso, dans la province du Houet, chez les Bobo de Bobo-Dioulasso, où la préoccupation majeure est plutôt l’avenir des traditions face à la modernité. En fait, le philosophe doit être à l’écoute de sa société ; il doit se faire comprendre dans son milieu ; il doit savoir « qu’on ne pense pas la même chose dans un palais que dans une chaumière », comme le disait Feuerbach. C’est à ce prix, qu’il peut se débarrasser des préjugés négatifs que les peuples nourrissent à son égard, et qu’il pourra rentabiliser l’investissement social fait à son profit.

On peut retenir, ici et de notre réflexion, que la philosophie fait l’objet de réticence dans les pays où les ressources à investir sont limitées. Pour les acteurs du développement de ces pays, les priorités doivent aller aux secteurs productifs, qui ont un rendement matériel. Science et technique qui accompagnent ces secteurs, sont donc à favoriser par rapport à un domaine spéculatif comme celui de la philosophie. Mais, une société ne vit pas que de pain. Aucun peuple ne peut subsister dans le temps sans un savoir-être qui repose sur une pensée philosophique cohérente et en mesure de donner sens au monde et à la vie des hommes. La philosophie est donc nécessaire dans les pays pauvres, parce qu’elle est, elle-même la plus grande richesse. Toutefois, c’est à la condition que le philosophe, par son engagement et son implication dans les débats sur le développement, travaille à mériter l’investissement consenti à son profit. Une philosophie purement spéculative et isolée des problèmes de son temps et de son milieu ne sert effectivement à rien dans pays pauvre.

Zassi Goro ; Professeur de Lettres et philosophie, écrivain.
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