Maître Paul Kéré analyse l’arrêt de la cour de la Cedeao
Saisi par les conseils du Général Djibril Bassolé, la Cour de la Cedeao vient de vider son délibéré en deux points dont il convient d’en faire l’exégèse : En premier lieu, concernant l’intervention des avocats étrangers, bien évidemment et comme il fallait s’y attendre, au nom du principe de la « liberté de choix de l’avocat » par tous justiciables, la Cour d’Abuja a « remonté les bretelles » de l’Etat burkinabè sur l’exclusion des avocats étrangers dans la défense du Général Bassolé. Pouvait-il en être autrement, d’autant plus que les droits de la défense font partie intégrante, non seulement de notre ordonnancement juridique, mais encore, ces droits de la défense constituent le support de l’ossature principale du respect des libertés individuelles et collectives

C’est à s’interroger légitimement comment des instances judiciaires burkinabè aient pu exposer, à moindre frais, à la « vindicte internationale » légale une telle humiliation judiciaire sous régionale, d’autant plus qu’à longueur de procédures, des avocats passent des frontières du monde pour accomplir leurs missions habituelles de défense de leurs clients. J’opine que la procédure devant le Tribunal militaire n’est pas différente des autres procédures d’autant plus que lorsque des civils y sont impliqués, ils sont jugés selon les règles du code de procédure pénale classique.
Il ne reste donc plus qu’au législateur burkinabè, au nom du principe de la supra légalité des institutions communautaires de la Cedeao, à faire voter par l’Assemblée nationale du Burkina Faso, un texte législatif pour modifier le Code de justice militaire qui interdit l’intervention des avocats étrangers dans les procédures pendantes devant sa juridiction afin de se conformer aux institutions communautaires. C’est de cette manière que se passe l’ordonnancement. De ce point de vue, la messe est définitivement dite et bien dite. La jurisprudence de la Cour d’Abuja permet aux avocats étrangers d’intervenir dans toutes les procédures dans notre pays, y compris devant les juridictions militaires. Il y va d’ailleurs du respect de ses engagements internationaux par notre pays.
En second lieu, s’agissant des interceptions téléphoniques dites de « sécurité » par les uns et « sauvages » par les autres, et au demeurant contestées par le Général Bassolé, la Cour d’Abuja a clairement indiqué, qu’à ce stade de la procédure en cours au Burkina Faso, elle ne peut statuer sur la prétention du Général, d’autant que la Cour de cassation burkinabè ne s’est pas encore prononcée sur lesdites écoutes querellées. En effet, et c’est un principe fondamental de la procédure devant la Cour de Justice d’Abuja, pour qu’une prétention puisse recevoir examen, il faut que toutes les voies de recours juridictionnels internes soit épuisées. Il en est de même devant la Cour européenne des droits de l’homme et du citoyen.
Or, compte tenu de ce que la Cour de cassation burkinabè ne s’est pas encore prononcée sur la validité et la légalité de ces écoutes, il va de soi que la Cour d’Abuja ne pouvait, en l’état, se prononcer sur la légalité de ces écoutes, faute d’épuisement des voies de recours internes.
Mais foi de juriste avisé, il est clair que si la Cour de Cassation burkinabè devait le cas échéant, valider ces écoutes téléphoniques « non authentifiées » et « non authentifiables », donc illégales et surtout « sauvages » la Cour d’Abuja ne manquera certainement pas d’infliger une nouvelle « correction judiciaire » à l’Etat Burkinabè. C’est d’un ridicule affligeant et saisissant que de voir que certaines décisions judiciaires burkinabè n’honorent pas notre pays. En effet, il est constant que ces écoutes dont l’authenticité est plus que douteuse sont illégales et ne peuvent servir aucunement de base à une quelconque poursuite à l’égard du Général Bassolé ou à n’importe quel citoyen ordinaire pour la simple raison que même si elles ont été diligentées par des autorités légales (encore que la transition n’a jamais été une autorité légale et légitime mais un régime exceptionnel) elles n’ont jamais été ordonnées par un juge dans le cadre d’une procédure judiciaire civile ou militaire. C’est là que le bât blesse. Il est surprenant de lire sur le forum des internautes la réaction de certains citoyens lambda qui ne comprennent pas ces atteintes évidentes aux libertés individuelles en l’absence d’une loi qui règlement ces écoutes, même de sécurité. En effet, l’intimité de la vie privée de chaque citoyen est également garantie par notre Constitution et personne, y compris l’Etat ne peut s’ingérer impunément dans l’intimité de la vie privé de chaque burkinabè. Les exigences de l’Etat de droit sont à ce prix et c’est aussi simple que ça.
D’ailleurs, le citoyen lambda burkinabè se demande comment le Juge judiciaire de premier rang a pu ordonner la nullité d’un mandat d’arrêt qui visait le président de l’Assemblée nationale ivoirienne, Guillaume Soro dont on sait que ce sont ces mêmes écoutes « sauvages » qui fondaient les poursuites à son égard sans pour autant annuler ou invalider l’inculpation du Général Djibril Bassolé qui repose sur ces prétendues interceptions téléphoniques.
C’est pourquoi, sur ce plan également, le législateur burkinabè a tout intérêt à voter une loi pour réglementer les écoutes téléphoniques au Burkina Faso à l’instar des autres législations.
Sans une armature juridique solide en l’état, toutes écoutes téléphoniques opérées au Burkina Faso sans l’intervention d’un juge judiciaire ou militaire ne peuvent nullement, le cas échéant, servir de base juridique légale à une quelconque poursuite pénale à l’encontre d’aucun citoyen. Il n’est pas exigé une unanimité sur cette opinion, mais en tout cas, c’est le point de vue du droit et, en tout état de cause, la Cour d’Abuja ne manquera certainement pas d’infliger, une fois de plus, un supplice et une « branlée » judiciaire à notre pays si ces écoutes « non authentiques » et « non authentifiables », donc illégales et « sauvages » venaient à être validées par la Haute juridiction civile burkinabè.
D’où, préventivement et pour montrer la fierté de l’institution judiciaire burkinabè, la nécessité de légiférer, à l’instar des démocraties civilisées et modernes sur le domaine des écoutes téléphoniques dans notre pays. Encore faut-il en avoir la volonté et surtout la capacité politique et intellectuelle de le faire comme il en est d’ailleurs en matière de politique de développement économique où les attentes des uns et des autres sont plus que pressantes.

Paul KERE
Docteur en Droit de l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Avocat au Barreau de Nancy et du Burkina Faso
Enseignant de Droit.