Le monde contemporain est par excellence un monde de séduction. En effet, par l’image et le son télédiffusés, par la publicité médiatisée, par le marketing de proximité, l’homme moderne est quotidiennement séduit par les professionnels de la communication. Dans tous les domaines de la vie, la séduction laisse voir, paradoxalement, son efficacité, alors même qu’elle a été dénoncée, aux premières heures de la pensée rationnelle, par Socrate, le Grec, et ses disciples, qui voyaient en elle une arme de tromperie et de démagogie, dont usaient les sophistes et rhétoriciens d’Athènes. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la rhétorique séductrice du sophiste Protagoras a, au fil de l’histoire, battu en brèche l’antipathique dialectique des académiciens de Platon. A l’arrivée, le monde contemporain, dans tous ses compartiments, est un monde de séduction, où l’illusion artistique, la beauté des mots poétiques ou des images synthétiques, la magnificence des emballages esthétiques, ont chassé de la cité la rigueur et la fadeur de la raison et de son discours logique. Alors, quel est le profil du vainqueur de cette confrontation historique ? Qu’est-ce que la séduction, et qu’elles en sont les manifestations concrètes dans nos vies et dans nos médias ? Le premier volet de notre réflexion fournit, ici, sous l’angle philosophique, des essais de réponses à ces questions. Les publications prochaines se chargeront alors de faire l’analyse critique du phénomène de la séduction.

Dans les relations entre les personnes, la séduction est une opération qui vise à attirer autrui, à capter son attention à mon profit. La séduction manifeste ma présence à autrui ; elle met en exergue mes qualités qui sont susceptibles de plaire à l’autre. Par exemple, une cité peut chercher à séduire ses visiteurs et ses étrangers ; alors, elle se fera occasionnellement ou régulièrement propre, aménagera des espaces de loisir et mettra au maximum en valeur ses sites touristiques. Elle formera aussi des guides accueillants, polyglottes, souriants et serviables. Il s’agit pour elle d’apprivoiser les cœurs des visiteurs en se faisant belle à travers toutes ses vitrines publiques, tous ses porte-valeurs et porte-paroles. Définie de cette façon, la séduction est un recours permanent dans les relations interpersonnelles. Dans la vie, nul ne veut montrer son mauvais coté aux autres ; nul ne cherche à camoufler ses atouts qui le rehaussent au regard d’autrui. Dans ces conditions, on peut jouer sur tous les bords : le laid, du point de vue des apparences physiques, mettra en valeur ses qualités morales, sa fortune, son pouvoir ; le matériellement pauvre aura tout intérêt à mettre l’accent sur ses qualités physiques ou son être morale. Poko, cette jeune fille paysanne, qui n’a pas le niveau de culture des autres filles, qui n’est pas issue d’une famille aisée, qui n’est pas non plus exceptionnelle belle dans ses apparences physiques, devra trouver ses armes de la séduction ailleurs ; elle pourrait montrer, à la manière de nos traditions rurales, qu’elle est accueillante, respectueuse, bonne ménagère et naturelle dans sa façon d’être.
Au-delà de la communication interpersonnelle et du marketing commercial, on voit tous les jours la séduction à l’œuvre dans le paysage politique et dans les médias. Tel se présentera comme le candidat des jeunes, des femmes, des masses laborieuses, des intérêts nationaux, des traditions ; tel autre brandira l’étendard des valeurs de progrès, de liberté, de solidarité, de toute autre valeur semblable ou antagonique. Chacun, dans son registre, s’efforcera alors de séduire son publique cible, à travers des apparitions publiques, des discours enflammés, des images fortes, des symboles adressés à tous les sens. Dans ce jeu-là, en l’espace d’une campagne électorale, il s’agit plus de charmer, d’enthousiasmer, d’arracher des applaudissements populaires, de mobiliser l’opinion pour soi, d’influencer, pour l’immédiat, des voix, plutôt que de convaincre et d’obtenir des adhésions durables à une cause. La séduction politique est aussi vielle que la démocratie, que l’époque des plèbes d’Athènes et des tribuns de Rome ; les médias n’ont fait qu’amplifier la chose, en lui prêtant les supports de rêve, que sont les canaux de télédiffusion.

En bilan provisoire, on peut retenir que la séduction se nourrit du monde des sens ; elle exploite tout ce qui plait au goût, au toucher, à l’ouïe, à l’odorat et à la vue. Il s’agit de recourir à l’un ou à l’autre de ces cinq sens ; et dans beaucoup de cas, c’est alternativement ou simultanément aux cinq sens. Ce sont eux qui sont les portes de l’âme d’autrui ; c’est par ces entrées que l’on peut passer pour atteindre les cœurs des autres et susciter en eux le désir, la tentation et les sentiments. De toute évidence, les relations humaines ne supportent pas la répulsion et l’indifférence. Si je veux vivre en symbiose avec autrui, je dois faire en sorte qu’il ne veuille pas s’éloigner de moi ; qu’il ait envie de me voir, de m’écouter, de me choisir prioritairement par rapport à un autre de même valeur utilitaire. Vue avec distance, on peut alors bien se demander si la séduction n’est pas un jeu de manipulation de l’autre. Mais, d’un autre point de vue, la séduction ne constitue-t-elle pas la magnificence-même de l’être ensemble ? Les prochaines publications se chargeront de distinguer la mauvaise séduction de la bonne.

Zassi Goro ; professeur de Lettres et de philosophie