Pour s’assembler, faut-il se ressembler ? Cette question, que nous nous posons fréquemment, interpelle aussi bien les individus que les communautés contemporaines, faites de diversités religieuse, politique, culturelle et sociale. Cependant, nous occultons, ici, dans le premier volet de cette réflexion, la dimension communautaire du problème au profit de sa dimension interpersonnelle. Sous cet angle, il est moins complexe sans être simple. Il revient à se poser la question suivante : « pour vivre en couple, amicalement ou conjugalement, est-il indispensable de se ressembler ? »
Chacun individu, à un moment ou à un autre de sa vie, développe ce besoin de s’associer à un autre, plus ou moins durablement. Sur quelles bases faut-il alors faire ce choix cornélien de l’autre, si on admet qu’il s’agit, à la fois, d’une option de cœur et de raison ? Devons-nous mettre en avant la ressemblance et le partage d’une identité commune, ou au contraire la dissemblance et la différence ? Le choix de l’autre qui nous ressemble, qui a les mêmes valeurs que nous, nous parait être la tendance la plus spontanée de l’humain ; ce que confirme cet adage bien connu qui dit : « ceux qui se ressemblent s’assemblent ». Malheureusement, vu de près, c’est ce choix aussi qui conduit au racisme, à la ségrégation ethnique, à l’intolérance religieuse et au fanatisme idéologique. « Spontanée » ne signifie d’ailleurs pas « naturel ». Une bonne analyse montrerait aisément que c’est le contexte socioculturel et l’éducation reçue qui nous conditionnent pour prioriser le semblable par rapport au dissemblable. On ne naît pas avec des affinités ; on les acquiert, souvent très précocement, comme l’a établi la Psychanalyse de Sigmund Freud. De ce point de vue, nos goûts, nos inclinations et nos répulsions sont les résultantes de processus socioéducatifs conscients ou de mécanismes psychiques inconscients. Au bout du compte nous nous retrouvons en train de privilégier les personnes de notre famille, de notre ethnie, de notre race, de notre culture, de notre religion, de notre parti politique. Plus subtilement, cette tendance nous traînera vers un type d’humain bien précis. Pour Freud, c’est l’image du père qui attire le genre féminin et c’est l’image de la mère que recherche inconsciemment le genre masculin. Cette lecture des affinités, faite avec le prisme du complexe d’œdipe, n’est pas l’objet de notre propos. La perspective freudienne n’est qu’une possibilité, parmi tant d’autres, de compréhension des relations humaines. Que nous soyons en quête de l’alter ego, de notre moitié perdue à la suite du péché de l’androgyne primitif, ou que nous soyons obsédés par l’objet de nos désirs sauvages refoulés, on peut admettre, dans tous les cas, que l’attrait pour l’autre est une sorte d’attrait égoïste et narcissique pour soi-même.
De toute façon, l’humain est une réalité fondamentalement ambivalence, sinon obscure. En effet, à l’opposé de notre attrait pour le semblable, nous portons en nous une tendance qui recherche, chez l’autre, le dissemblable, la différence et l’altérité. De ce point de vue, ce que nous recherchons chez l’autre, c’est ce qu’il est et que nous ne sommes pas, c’est ce qu’il a et que nous n’avons pas. « Les contraires s’attirent », exactement comme dans le magnétisme et dans une sorte de soif de se découvrir et de se posséder.
Les contraires s’attirent, mais les contraires peuvent-ils demeurer durablement ensemble ? Si oui, à quelles conditions, ceux qui s’assemblent, malgré la différence, finissent ils par se ressembler ? « Finir par se ressemble n’est-il pas aussi la fin de cette attirance mystique et ce désir de conquérir le différent ? Si nous parvenons à répondre à ces questions, nous éviterions certainement, les divorces, les unions qui finissent en lambeaux, les conflits avec les personnes que nous aimons. Mais il nous semble inutile de conceptualiser des choses qui relèvent de l’existence concrète. Objectivement, on ne pense pas la vie avant de la vivre ; on vit la vie avant de la penser. Les échecs sont alors le chemin douloureux et indispensable de l’apprentissage de l’âme qui cherche sa voie dans le monde. L’essentiel est de pouvoir se relever après la chute, de pouvoir survivre aux désillusions.

Zassi Goro ; professeur de Lettres et de philosophie
Kaceto.net