Sous ajustement structurel suite à une grave crise économique mondiale pendant plus de vingt ans, entre 1988 et 2009, programme ayant laissé des souvenirs amers, le Cameroun vient de conclure un accord d’aide pour le redressement économique avec le Fonds monétaire international (FMI), qui soulève des critiques peu favorables au sein de l’opinion nationale.

Au terme de plusieurs mois de discussions depuis le début de l’année avec le pouvoir de Yaoundé, le Conseil d’administration du FMI a approuvé lundi un accord permettant le déblocage au cours des trois prochaines années d’un montant de 666,2 millions de dollars en vue du financement d’un programme de réformes économiques et financières au Cameroun.

Par cet accord, l’institution financière basée à Washington s’engage à apporter son assistance au pays d’Afrique centrale dans ses efforts visant à atténuer les effets du double choc lié à la chute continue des cours du pétrole, son principal produit d’exportation, et à la crise sécuritaire due à Boko Haram, la secte islamiste nigériane qui mène des attaques sur son sol depuis 2014.

Pour Mitsuhiro Furusawa, directeur général adjoint, cette aide du FMI est surtout justifiée par le fait que, "après avoir montré une résilience en raison de sa plus grande diversification, l’économie camerounaise est maintenant confrontée à une décélération de sa croissance, à une baisse des recettes fiscales et à une dette publique en pleine croissance".

ASSAINISSEMENT BUDGETAIRE

La facilité élargie de crédit (FEC) approuvée lundi entend aider à "réaliser un travail soutenu et équilibré d’assainissement budgétaire fondé sur une augmentation des recettes non pétrolières, une hiérarchisation des projets d’investissement public qui se révèlent porteurs en termes de croissance et une rationalisation des dépenses courantes, tout en protégeant les dépenses sociales".

D’une population estimée à plus de 22 millions d’habitants dont environ 39% vivent sous le seuil de pauvreté, selon les estimations officielles, le Cameroun est la plus grande économie de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC, composée en outre du Congo-Brazzaville, du Gabon, de la Guinée équatoriale, de la République centrafricaine et du Tchad).

En plus du pétrole, qui représente près de 40% des recettes budgétaires selon les mêmes estimations, la force de son économie est par ailleurs faite de l’exportation à l’état brut d’un grand nombre de produits agricoles comme le cacao, le café, la banane, le coton, le caoutchouc ou encore le poivre, auxquels s’ajoutent le bois, des produits forestiers non ligneux.

Des produits d’élevage comme la viande de bœuf sont aussi d’un apport certain au PIB (produit intérieur brut) camerounais qui, à cause évidemment de son faible poids manufacturier, se caractérise par une balance de paiements historiquement déficitaire.

Au cours des deux années précédentes, le Cameroun a réalisé une croissance annuelle de 5,9% du PIB, selon les estimations officielles. Cependant, fin mai il accumulait une dette de l’ordre de 5.383 milliards de francs CFA (environ 8,7 milliards de dollars américains), soit 28,2% du PIB.

Cette dette devrait s’élever à 30% du PIB après la mobilisation d’un montant de 1.700 milliards (2,8 milliards de dollars) de prêts concessionnels et non concessionnels autorisée par le chef de l’Etat, Paul Biya, pour l’année en cours.

Ce montant représente une hausse de 700 milliards de francs (1,1 milliard de dollars) par rapport aux prévisions initiales annoncées dans le cadre du budget de l’Etat pour 2017, chiffré à 4.373,8 milliards (8,7 milliards de dollars).

L’accord triennal (2017-2019) conclu avec le FMI est la matérialisation d’une des principales conclusions d’un sommet extraordinaire de la CEMAC tenu en décembre 2016 à Yaoundé, qui s’était résolu à faire appel à l’aide de l’institution financière internationale pour aider à enrayer la crise économique à laquelle les pays de cette organisation régionale sont confrontés.

L’annonce de l’approbation de cet accord par le Conseil d’administration du FMI communiqué via son site Internet fait la Une de la presse camerounaise mercredi, avec une appréciation diversement partagée.

Alors que Cameroon Tribune, le quotidien gouvernemental, se réjouit que "le FMI accorde plus de 390 milliards", les principaux titres de la presse privée s’alarment et dénoncent cette nouvelle évolution du pays dans ses relations parfois connues pour être tumultueuses avec une institution décriée pour lui avoir imposé un train de mesures d’austérité draconiennes à la fin des années 1980.

ETAU DU FMI

"Le Cameroun dans l’étau du FMI", alerte le bi-hebdomadaire Repères, un commentaire semblable à ceux exprimés par les quotidiens Mutations et Le Jour qui soulignent respectivement à grand trait à leur tour que "le Cameroun à nouveau sous le diktat du FMI" et "le FMI est de retour".

Ces commentaires sont le témoignage d’un état d’esprit général fait de peur de l’opinion publique qui découle des programmes d’ajustement structurel que le FMI et la Banque mondiale avaient conclus avec un grand nombre de pays africains à la faveur de la crise économique mondiale survenue il y a une trentaine d’années et qui avaient plongé les Camerounais dans le désarroi.

En cause, les importantes réductions d’effectifs de la fonction publique suivies du gel des recrutements pendant plus de vingt ans et le lot de privatisations de sociétés d’Etat auxquels le Cameroun avait été soumis par les deux institutions en échange de leurs financements, en guise de conditionnalités l’ayant en outre contraint de renoncer à financer ses secteurs sociaux et productifs.

De nombreuses voix se sont également élevées de la part d’analystes économiques pour remettre en cause cet accord. Dans une tribune publiée dans plusieurs journaux, l’ingénieur financier camerounais Tomas Babissakana note que le pays d’Afrique centrale souffre d’un problème critique, celui de la transformation structurelle de son économie ou encore la modernisation de son système productif.

"Le modèle budgétaire inadapté de l’Etat est également un problème de transformation structurelle de l’économie qui découle du taux très élevé de criminalité économique (niveau très élevé de contrebande, de corruption et de détournement de fonds publics) associée à la mauvaise gestion des affaires publiques", observe encore l’ingénieur financier, qui déplore un niveau "anormalement bas" des recettes publiques en rapport avec le PIB.

"Pour chacun des deux problèmes critiques de transformation structurelle de l’économie, conclut-il, le FMI nous semble mal placé pour assister et accompagner efficience l’Etat du Cameroun. Par contre et dans une moindre mesure, la Banque mondiale et la Banque africaine de développement pourraient probablement y apporter une contribution."

L’économiste Bernard Ouendji estime lui aussi que "ce programme adresse une crise des finances publiques, qu’il n’est pas capable de résoudre, et n’apporte aucune solution au problème de compétitivité des entreprises. Vu que les prêts du FMI sont des prêts à court terme, dans trois ans, le Cameroun se retrouvera sommé de rembourser un prêt budgétaire qui n’aura eu aucun rendement sur la production".

Avant le Cameroun, le Tchad et la République centrafricaine étaient déjà liés par des accords similaires avec le FMI. Le Gabon, le Congo et la Guinée équatoriale pourraient leur emboîter le pas dans les jours à venir. La perspective de l’issue des discussions entreprises par ces trois autres pays est déclarée imminente.

Agence Xinhua