Suite au constat des publications précédentes, nous annonçons ici, un peu à la manière d’Albert Camus, que notre humanité future sera faite de tolérance ou ne sera pas. Il n’y a pas d’autres choix, que de « vivre ensemble comme des frères ou de périr ensemble comme des bêtes », comme le proclamait l’emblématique voix de Luther King d’Amérique. Dès lors, la question est là, crucialement posée à chacun de nous : allons-nous périr, ou au contraire, serons-nous capables de cette tolérance facteur de paix perpétuelle, qui faisait déjà l’objet des rêves du philosophe Emmanuel Kant, au siècle des Lumières ?

De la tolérance

La tolérance n’est pas issue d’un réflexe spontané, encore moins inné. L’homme est d’abord un loup pour l’homme, un animal féroce à l’égard de ce qui est différent de lui. Dans l’ordre de la nature, la tendance au rejet de l’autre n’est d’ailleurs pas un mal absolu. Elle entraîne la disparition de certaines espèces de vivants, mais c’est elle aussi qui permet aux plus aptes de se préserver et de proliférer. A l’échelle de la civilisation, la réaction primitive de tout humain, face à la différence, c’est encore l’hostilité et le rejet de l’autre. Parce que l’autre est étranger et étrange, parce qu’il est différent et qu’il a d’autres référents, il constitue, à priori, une menace pour l’identité et l’existence de moi qui le rencontre. Ma première réaction consistera alors à le nier, à le mépriser, à le rejeter. Dans ce monde, comme le philosophe Hegel en a fait le constat, une conscience ne se pose qu’en s’imposant. C’est bien ce principe du mépris de l’autre qui a régi les rencontres des peuples et des civilisations tout au long de l’histoire. L’autre, que l’on rencontre ou qui vient vers soi, a toujours été le barbare, le cafre, le mécréant, le gourounga, le kado, l’homme de la brousse, le boyorodian, l’envahisseur.
Notre civilisation est donc née avec l’intolérance comme principe. Mais, sa survie exige, justement, une remise en cause des réflexes de son enfance barbare. Elle ne peut continuer avec ce principe de la lutte pour l’élimination de l’autre, parce que les moyens de destruction ont atteint ce paroxysme qui met en danger toutes les parties en présence. La négation de l’autre, ne peut déboucher alors que sur d’horribles situations dont l’histoire nous fournit une pléthore d’exemples. Les guerres de tribus et de clans, les croisades meurtrières des chevaliers chrétiens, les djihads islamistes d’un certain temps, l’inquisition moyenâgeuse, les massacres colonialistes, les purges révolutionnaires et sanguinaires, les barbaries nationalistes qui produisirent l’holocauste en Europe et des génocides un peu partout dans le monde, le terrorisme religieux de notre temps, sont autant d’exemples qui nous incitent à promouvoir le respect de la différence et la tolérance des valeurs d’autrui. Par l’éducation en famille, à l’école formelle, dans les médias, il y a urgence à généraliser une vision pacifiée des relations humaines, une conscience aiguë de l’acceptation des autres dans leurs différences.
Le principe de la tolérance n’est pas au-dessus de nos capacités humaines. Il n’implique pas de s’effacer au profit de l’autre. Il ne nous oblige même pas à aimer l’autre. La tolérance veut dire tout simplement l’acceptation de l’autre dans un espace communément partagé. On peut la figurer de la manière caricaturale suivante : « Je suis moi et tu es toi ; tu n’es pas comme moi, mais toi aussi tu mérites une place dans ce monde, où tu vivras avec tes valeurs, souvent en concurrence avec moi, mais jamais pour me nier ».
Au bilan, il apparait, évidemment, que la tolérance exige un grain d’altruisme, un effort de philanthropie, une conscience humaniste du monde, un sens de l’humilité et une ouverture d’esprit vers ce qui n’est pas soi et pour soi. La tolérance exclut le puritanisme arrogant, l’intégrisme désuet, les nationalismes de temps révolus, les racismes injustifiables. La tolérance nous impose de renoncer à toute politique d’aliénation et de négation des autres, à toute intention de conversion d’autrui par la force, à toute velléité d’assimilation des identités des autres. Elle nous oblige à relativiser nos propres valeurs, à les considérer comme des éléments parmi tant de magnifiques choses que l’humanité a pu inventer au cours des millénaires écoulés. C’est d’ailleurs en cela que la tolérance est au-dessus de toutes les valeurs ; elle est la plus haute valeur de civilisation. Si, pour une raison ou pour une autre, nous sommes incapables de nous aimer les uns les autres, comme l’a recommandé Jésus de Nazareth, il nous reste, au moins, cette possibilité de nous tolérer les uns les autres.

Zassi Goro ; Professeur de Lettres et de philosophie
Kaceto.net