Dans ce premier texte, notre chroniqueur propose une réflexion sur la notion d’éthique.
Est-elle naturelle ou est-elle le propre de l’espèce humaine ?

Ouvrir une réflexion sur l’éthique, exige une orientation arbitrairement fixée, parce que ce thème est susceptible de se dérouler dans tous les sens. L’éthique est d’abord et avant tout, un département de la philosophie. Là, et depuis l’antiquité, elle est à la fois « la science de la morale » et « l’art pratique de diriger la vie pour tendre vers la sagesse et le bonheur ». On se souvient des titres célèbres d’ouvrage dans ce domaine : L’Éthique à Nicomaque d’Aristote ; l’Éthique de Spinoza ; Les fondements de l’éthique chez Kant ; Généalogie de la morale et d’autres ouvrages de Nietzsche. On peut aussi se souvenir des grands courants de la pensée morale : le stoïcisme ; l’épicurisme ; le scepticisme ; le machiavélisme, l’utilitarisme, l’humaniste socialiste, pour ne citer que ceux-là. Par ailleurs, tous les grands textes religieux de l’humanité peuvent être considérés comme des doctrines éthiques. Dans le présent débat ouvert, nous éviterons surtout d’aller nous promener dans cette historiographie sur l’éthique, qui est le domaine des spécialistes et d’où nous ne sortirons certainement jamais. Nous nous contenterons ici de considérer que l’éthique est une dimension fondamentale de la civilité, que l’histoire a forgée ou que les dieux ont révélée, ou que les sages ont inventée pour policer l’humanité. Nous montrerons, dans cette première publication, que la nature, de bout en bout, ignore totalement l’éthique et que celle-ci n’a pu germer que sur le terrain fertile de la conscience humaine, en relation, peut-être, avec une conscience cosmique ou divine. Nous entendons alors par éthique, le contenu le plus général du mot, qui veut qu’elle soit quête et pratique du bien, même si la notion de bien, elle-même ne va pas de soi. .
La nature ignore l’éthique
La nature est comprise ici au sens le plus vague. En ce sens, la nature, c’est l’univers et ses lois, tel qu’il englobe les trois états du monde physique et la matière vivante, qu’elle soit végétale ou animale, microscopique ou macroscopique, qu’elle soit à l’étape aérobie ou anaérobique. Cette nature ignore toute moralité. En dépit de tout ce que les croyances anthropomorphiques, animistes, vitalistes ou spiritualistes ont pu lui prêter comme intentionnalité, la nature ignore le bien et le mal. Elle n’œuvre à produire aucune valeur d’ordre éthique. Elle n’est, ni contre personne ni pour personne. Elle évolue froidement, selon des lois constantes qui relèvent du hasard ou de la nécessité ou peut être de la providence divine. Contrairement à ce que nous pensons très souvent, les astres n’apparaissent, ni pour notre bien, ni pour notre mal. Contrairement à ce que nous croyons, il ne pleut, ni pour arroser nos champs, que la nature n’a d’ailleurs pas prévus, ni pour inonder nos cases. Le loup ne dévore pas l’agneau par méchanceté ! Les prédateurs carnivores, les vipères venimeuses, les moustiques, les virus pathogènes ou les virulentes bactéries, ne s’en prennent pas à nous parce qu’ils ne nous aiment pas ! La nature est, d’un bout à l’autre de l’univers, amorale ; elle travaille, si l’on peut dire ainsi, au-delà, ou en deçà, de toute considération éthique. L’univers est bariolé de lois, mais elle ne comporte aucune loi morale.
Notre conscience est le temple de l’éthique sur terre
L’animal humain, en dehors de la perspective religieuse, n’échappe pas au principe général du monde vivant. Hors de toute civilisation, l’homme n’est qu’une somme d’instincts, comme on peut l’entrevoir, dans l’ordre phylogénétique, chez nos ancêtres primitifs, et dans l’ordre ontogénétique, chez le tout nouveau-né de l’humain. L’éthique n’est pas dans nos gènes, et toute notre physiologie est dénuée de toute intention éthique. C’est ailleurs donc qu’il faut trouver les racines de la moralité dans notre civilisation. Dans ce sens, tout concourt à dire qu’au commencement de la morale, il y a cette conscience, incrustée en l’humain par le divin ou ayant émergé de l’humain par le fait de l’évolution biologique. À la suite d’un de ces faits ou des deux à la fois, l’homme est devenu lumière, science et conscience, rationalité et intentionnalité. Au bout du compte, il est la pensée qui se pense et qui pense l’univers. Il est le roseau fragile, qui est pourtant l’unique substance capable de réflexion dans le système des choses. Plus que matière, nous sommes esprit ; esprit qui constitue l’intuition de ce qui FUT, de ce EST et de ce qui SERA. Sans nous, l’univers ne saurait point qu’il est ; il n’aurait aucune science et aucune conscience d’elle-même.
En bilan prospective, on peut présager que de cette conscience-lumière de l’homme, surgiront les valeurs éthiques, comme l’imaginent les évolutionnistes, ou que c’est elle qui en a reçu la révélation, comme le pense l’allemand Lessing, dans son ouvrage « l’Évolution du genre humain ». Dans tous les cas, révélé ou produit par l’évolution, le souci du bien n’a pas d’emblée conquis la place qu’il mérite dans l’histoire des hommes. Au contraire, comme cela apparaitra dans notre publication prochaine, l’Histoire est un grand théâtre d’immoralités, une succession infernale d’événements qui peut laisser croire que notre civilisation est née sous le sceau du mal et qu’elle a encore beaucoup de peine à trouver le boulevard de l’éthique sur terre.

Zassi Goro ; Professeur de Lettres et de philosophie
Kaceto.net