Ilboudo Francis, natif de Saponé dans le Bazèga a quitté le Burkina pour tenter l’aventure gabonaise en 2005. Enseignant de formation, il connaitra un parcours chaotique avant de finalement pouvoir s’installer comme enseignant dans une école privée de la capitale gabonaise. A la faveur de son séjour au Burkina Faso pour les présentes vacances scolaires, nous l’avons rencontré afin de décortiquer avec lui la problématique de l’immigration vers le Gabon en particulier.

Kaceto.net : Qu’est-ce qui vous a décidé à aller à l’aventure ?

Ilboudo Francis : J’étais enseignant avant de partir mais le salaire était très bas. On touchait à l’époque 20.400FCFA par mois pendant un an pour le SND et ensuite on percevait 70.000FCFA de salaire. C’était très difficile de vivre avec ça surtout si on doit prendre un prêt pour s’acheter un moyen de déplacement et répondre aux sollicitations de la famille. Donc je suis parti pour un mieux-être.

Comment s’est passé l’aventure du Burkina jusqu’au Gabon ?

Ça n’a pas été facile. Je suis parti par la route en traversant le Benin, le Nigeria et le Cameroun avant d’arriver au Gabon. Entre temps je n’avais plus d’argent pour continuer, alors je me suis fait embauché comme vendeur dans une boutique pendant pratiquement un mois et quand j’ai eu l’argent j’ai continué jusqu’à Oyem, la grande ville du nord du Gabon. J’y ai trouvé beaucoup de compatriotes qui étaient dans la culture de la tomate. Je me suis aussi essayé à cela, afin d’avoir de l’argent pour continuer la route mais je n’étais vraiment pas doué pour cultiver la tomate. J’ai néanmoins pu continuer jusqu’à Libreville, la capitale gabonaise.

Qu’est ce qui s’est passé une fois que vous avez atteint votre destination ?

J’ai eu beaucoup de chance. Je suis allé dès le lendemain postuler dans une école privée, vu que j’étais déjà enseignant au Burkina. On m’a informé qu’il y aurait un test de recrutement pour un enseignant. J’ai été le seul retenu sur 9 candidats et depuis lors, je suis enseignant.

Comment se passe votre vie au Gabon ?

Ça se passe bien. La directrice de mon école m’apprécie très bien et mes élèves aussi. Dans mon école à part la maternelle qui est tenue par des Gabonais, toutes les autres classes sont tenues par des étrangers. C’est un choix délibéré de la fondatrice qui estime que les étrangers qui sont surtout des Burkinabè et des Ivoiriens, sont sérieux. Quand il y a grève dans le public par exemple, nous venons enseigner alors que nos collègues Gabonais même ceux qui tiennent des classes d’examen ne le font pas.

Vous qui vivez au Gabon ; comment appréciez-vous les évènements politiques qui s’y déroulent en ce moment ?

Vous savez, il y a beaucoup d’immixtion d’étrangers dans la vie politique gabonaise et je n’aimerais pas en rajouter alors je vais m’abstenir.

Mais est-ce que vous êtes accepté par les gabonais ?

C’est compliqué. Le Gabon compte seulement un million 800 mille habitants avec la moitié qui vit dans la capitale Libreville. Les Gabonais se sentent donc envahi par les étrangers. Par exemple quand le Gabon joue un match de football contre un pays africain et perd, les étrangers ont chaud. Ils s’en prennent à tous les étrangers sans exception. C’est une situation vraiment déplorable.

Est-ce à dire que vous regrettez votre aventure ?

Non pas du tout. C’est vrai que c’est parfois dur. Le loyer est cher, le transport et la nourriture aussi mais malgré tout on est mieux loti qu’un enseignant au Burkina Faso. Je ne regrette donc pas mais si c’était à refaire j’allais faire les choses autrement et aller avec tous mes papiers en règle. C’est seulement en 2014 que j’ai pu sortir du Gabon parce que j’avais enfin tous mes papiers en règle ; si je sortais avant d’avoir ces papiers je n’aurai pas pu y retourner parce que j’allais être fiché.

Quels sont les papiers qu’il faut pour émigrer en règle au Gabon ?

Il faut la carte de séjour qui coûte 500.000F et ensuite 150.000F chaque deux ans. Avec cette carte on est libre de ses mouvements. Mais avant d’y aller il faut bien évidemment le visa mais surtout une autorisation d’entrée délivrée par l’ambassade du Gabon. Une fois arrivé il faut se rendre au consulat du Burkina devenu maintenant une ambassade sans ambassadeur pour l’instant, pour entrer en possession de sa carte consulaire. Sans ces papiers tout devient compliqué. Moi par exemple j’ai déboursé près de 800.000F pour la carte de séjour parce que je suis entré illégalement.

Comment trouvez-vous le Burkina après tant d’années à l’étranger ?

Je trouve que le Burkina a beaucoup changé. La circulation est beaucoup plus dense avec beaucoup plus d’engins qu’il y a 10 ans ; surtout le prix du loyer a triplé et celui du poulet aussi. Mais quand on est à l’extérieur on suit l’actualité nationale. J’ai donc suivi toutes les péripéties que le pays a connues avec le départ de Blaise Compaoré, la cacophonie pour la désignation d’un président et la transition qui a suivi. Tout cela faisait l’objet de grands débats surtout au sein des communautés ivoiriennes et burkinabè.

Que conseillez-vous à ceux qui veulent tenter l’aventure Gabonaise ?

Je leur dirai de surtout apprendre un métier avant d’aller à l’aventure. Ici beaucoup de Burkinabè sont jardiniers ou vigiles. Ce n’est vraiment pas bon pour l’image du Burkina Faso. Il y a aussi des Burkinabè qui sont au Gabon depuis 30 ou 40 ans et qui ne peuvent plus rentrer parce qu’ils n’ont pas d’économies et n’ont pas non plus construit de maison au Burkina Faso. Le billet d’avion coûte 300.000F ; donc avec une femme et plusieurs enfants, ça peut revenir cher, rien que pour retourner au pays. Donc il faut aller à l’aventure en ayant au moins une formation que l’on peut faire valoir et également savoir préparer son retour. Moi je compte bien entendu revenir définitivement et je m’y prépare chaque jour.

Propos recueillis par Wendkouni Nazé
Kaceto.net