Suite de la réflexion sur l’éthique et l’homme. Sommes-nous naturellement des êtres moraux, ou c’est seulement et seulement l’éthique qui révèle notre humanité ?

Nos publications antérieures, interrompues lundi dernier par une attaque, sans éthique, d’un vicieux plasmodium contre notre personne, ont permis d’établir deux choses : La première est que la nature, elle et ses cycles ou rythmes, ignore totalement l’éthique. Rien, quel que soit l’échelle que l’on prenne, ne se produit dans l’univers et qui vise le mal ou le bien de qui que ce soit. Toutes les intentions morales que nous prêtons aux phénomènes géologiques, physico-chimiques et bios systémiques, relèvent purement et simplement de l’anthropomorphisme, cette attitude qui consiste à croire que les éléments de l’univers agissent, comme nous humains, avec conscience et motivation précise. Le deuxième constat est que l’histoire, loin d’être fondamentalement différente de la nature, est bien le prolongement des processus amoraux de la matière et de la chaine des vivants. L’histoire, comme la nature, est dénuée de toute finalité morale. Dans ces conditions-là, quelle peut bien être la source d’inspiration des valeurs morales, qui constituent, de nos jours, un référent indiscutable des actions individuelles et collectives de notre humanité ?
Toute tentative de réponse à cette question se doit d’envisager deux hypothèses. On peut, d’abord, suivre la piste qui prend racine dans l’idée que la morale est exclusivement un fait humain au sommet de l’évolution du vivant. Le sentiment du bien et du mal n’apparait que chez l’homme et n’a rien d’équivalent chez les autres vivants, y compris nos frères hominidés qui sont très proches. Comme le proclamèrent les philosophes du siècle des Lumières, l’homme est porteur de la raison. L’homme est conscience de lui-même, conscience du monde et de l’autre. Il mesure l’impact de son action par rapport à son ego, mais aussi par rapport à son alter ego. Dans ce processus, il comprend que ce qui lui fait mal, fait mal aussi à autrui. L’homme se sent ainsi responsable de ces traces dans le monde et son intérieur reste perméable au feedback que lui renvoient les moyens et les cibles de ses actes posés. Bien sûr, beaucoup d’autres vivants supérieurs sont en mesure de reconnaitre leur semblable. Mais seul l’homme a la mémoire durable de son passé ; lui seul se souvient de ce qu’il fit et de ce qu’il fut. Lui seul est en mesure de dire :
« voilà les conséquences de mes actes du passé ». On voit, ici, les racines du sentiment de la culpabilité, de la responsabilité, de la satisfaction morale, du remord et du regret. La conséquence de tout cela, est que, l’homme va introduire, dans le réel, une dichotomie manichéenne qui sépare le monde en mal et en bien, et qui installe l’éthique comme échelle de valeurs. À partir de là, ce qui arrive au monde n’est plus amorale, mais immoral ou morale, bien ou mal. Tout naturellement, les contenus concrets du bien et du mal sont restés flottants, au gré des époques, des civilisations et des classes sociales dominantes. La tendance à l’universalisation des références éthiques ne s’est alors accélérée, qu’après les conflits mondiaux du XXe siècle, qui ont étalé, en grandeur nature et à l’échelle planétaire, les atrocités dont l’humain pouvait être la cause directe sur son semblable.
La deuxième hypothèse qu’il faut envisager, lorsqu’il est question d’une origine de l’éthique au cœur de notre civilisation d’homme, c’est la piste théologique et religieuse. Elle se définit en antagonisme avec la conception d’une source naturelle de la moralité chez l’homme. Nous n’insistons pas ici sur la teneur de cette contradiction qui a traversé les millénaires jusqu’à nous aujourd’hui. De toute façon, les deux hypothèses ont un point en commun : l’homme connait le bien et le mal parce qu’il est conscience. Mais pour la deuxième hypothèse, la conscience humaine est dérivée d’un esprit supra sensible, d’une conscience qui transcende le monde humain. C’est cette conscience qui fonde la nôtre, qui éclaire la nôtre et qui est garante suprême des bonnes valeurs de l’éthique. Le contenu exotique de cette vision est simplifiable ainsi : Dieu, le suprême, est l’éducateur du genre humain, pour reprendre cette terminologie du romantique allemand Lessing. C’est lui qui nous créa avec la lumière pour distinguer le bien du mal. C’est lui, à l’image du Dieu de Moïse, qui nous révéla ses commandements, afin de policer notre conduite sur la terre. C’est lui qui nous montre le chemin, qui fait se succéder, dans l’histoire, les prophètes, les sages et les messies. C’est lui qui édifie l’humanité. Notre histoire n’est que le cours de notre transfiguration spirituelle. L’histoire, peut-on dire, est le processus de conversion de l’humain au bien duquel il est sorti à la suite de quelque déchéance primitive.
Au bilan, nous pouvons retenir, tout simplement, que l’éthique est une fondamentale dimension de notre civilisation d’homme. Nous sommes passés, en moins de sept millénaires, de la barbarie à civilisation, de la pierre taillée à l’outil automatique, de la primitivité à l’ère de la conquête de l’espace. Mais, notre technique, nos sciences, notre puissance matérielle, tout cela vaudrait à peine mieux que ce qu’il y a déjà dans la nature, si elles ne reposaient pas sur un socle moral. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », disait l’humaniste Rabelais. Le savoir, le savoir- faire, l’avoir et le pouvoir par le mal et contre le bien, ne sont que sceau du mal et ne peuvent que multiplier les maux de l’humanité ! C’est donc toute édifiée par son histoire, surchargée de massacres humains, d’esclavagismes, de colonialismes, de négations de la dignité de l’homme, d’holocaustes, de shoah, de génocides, de révolutions sanguinaires, de régimes politiques tortionnaires, de guerres meurtrières, d’assassinat crapuleux, d’exploitations éhontées des peuples, de pratiques machiavéliques et terroristes, que l’humanité s’est résolument décidée à donner une dimension éthique à toutes les sphères de sa civilisation. Tout naturellement, il faut mettre cela à l’actif des grands éclairés de notre passé, qui, depuis les illuminés d’Égypte, en passant par Abraham, Moïse, Socrate, Bouddha, Jésus, Mahomet, jusqu’aux humanistes de la Renaissance et des trois derniers siècles de notre histoire, ont consacré leur vie à l’éducation de l’homme et au progrès du bien sur la terre, avec ou sans l’oripeau de Dieu.

Zassi Goro ; Professeur de Lettres et de philosophie
Kaceto.net