Pour être heureux, faut-il avoir beaucoup d’argent ou le bonheur est-il quelque chose de non monnayable ? Question aussi vielle que le monde à laquelle l’auteur du texte ci-contre tente d’y répondre. Instructif !

Dans C’était bien, l’écrivain et académicien français Jean d’Ormesson écrit en substance que, contrairement à ce que s’imaginent les pauvres, l’argent ne fait pas le bonheur des riches ; mais, contrairement à ce que soutiennent les riches, il ferait bien celui des pauvres.
Je trouve cette pensée admirable. Elle souligne le miroir aux alouettes que représente la fortune. Car, s’il en faut un minimum pour vivre décemment, il n’en demeure pas moins qu’elle ne suffit pas à combler une vie humaine. Bien souvent, elle accroît même l’avidité, c’est-à-dire la volonté déraisonnable d’en amasser toujours davantage pour creuser l’écart avec ceux qui n’en ont pas ; ou alors l’envie insatiable de se hisser à hauteur de ceux qui en ont plus que soi.
Raison pour laquelle les résultats des enquêtes internationales sur la concentration croissante des richesses du monde dans les mains d’une toute petite minorité sont de plus en plus consternants. L’ONG Oxfam montre régulièrement dans ses rapports que 1% de la population mondiale accapare la moitié des richesses de la planète. Elle révélait en 2014 que les 85 personnes les plus riches du monde possèdent un patrimoine équivalant au cumul des biens des 3,5 milliards de personnes les plus pauvres.
Quand les humains se rendront-ils enfin compte que l’accumulation des biens matériels n’a jamais conduit une personne au bonheur ? Elle procure tout au plus une succession de plaisirs aussi durables qu’un feu de paille. D’ailleurs, de nombreuses études montrent depuis les années 1970 que la courbe du taux de personnes s’estimant très heureuses reste stable – voire diminue – lorsque le revenu brut par habitant augmente dans un pays.
En 2013, le philosophe et sociologue Christophe Lenoir soulignait dans un essai intitulé Du bonheur, la similitude des indices de satisfaction des habitants de pays pourtant différents au plan économique. Il écrit : « On pourrait imaginer que les gens sont plus heureux dans les pays riches que dans les pays pauvres ou dits en voie de développement. Or, il n’en est rien : le taux de satisfaction est sensiblement le même aux Etats-Unis ou en Suède qu’au Mexique ou au Ghana, alors que le revenu par habitant de ces pays diverge sur une échelle de un à dix. »
A l’opposé, les personnes qui s’estiment heureuses sont souvent celles qui réussissent à s’abstraire de la course incessante à l’accroissement des biens matériels pour envisager leur bonheur comme inséparable de celui des autres. Ce sont des personnes qui refusent tout simplement d’être asservies par l’argent. Ainsi, elles ne passent pas leur temps à craindre la diminution de leurs biens, ni à nourrir des jalousies inutiles devant la fortune des autres. Car elles connaissent la fugacité des plaisirs attachés à la richesse et la profondeur bien plus grande des satisfactions liée à une vie relationnelle réussie.
En somme, un minimum de fortune est indispensable pour que l’individu ne passe pas tout son temps à lutter pour sa survie – ce qui l’empêcherait de réaliser d’autres aspirations non moins importantes. Mais il est illusoire de croire que le combat incessant pour l’accroissement des biens matériels conduit au bonheur. Car il mène plutôt à l’asservissement de soi vis-à-vis de l’argent. De même, il éloigne l’individu des autres. Le philosophe stoïcien Sénèque disait : « Tu ne seras jamais heureux tant que tu seras torturé par un plus heureux ». Ainsi, le meilleur chemin vers le bonheur est de vouloir aussi le bonheur des autres.

Denis Dambré
Kaceto.net