Qu’ont-ils de commun les discours des présidents Nicolas Sarkozy le 26 juillet 2007 à Dakar et Emmanuel Macron le 28 novembre à Ouagadougou ? Que disent-ils et que ne disent-ils pas ? De quoi et de qui parlent-ils ? Quels messages ont-ils voulu envoyer aux jeunes africains ?
Notre chroniqueur "Autour des mots" décrypte les discours des présidents Nicolas Sarkozy à Dakar en juillet 2007 et Emmanuel Macron à Ouagadougou le 28 novembre 2017.
Décryptage serré de notre chroniqueur "Autour des mots" sur deux discours, l’un étant plus polémique que l’autre

Le 26 juillet 2007, le président de la République française, Nicolas Sarkozy a prononcé une allocution à l’Université Cheikh-Anta-Diop de Dakar (Sénégal) devant des étudiants, des enseignants et des personnalités politiques. Ce fut un discours mémorable puisque dix ans après on en parle toujours en France, en Afrique et dans le monde.
Le 28 novembre 2017, Emmanuel Macron, actuel président de la République française, a choisi Ouagadougou et l’Université Ouaga 1 Joseph Ki-Zerbo (du nom d’un des plus grands historiens de l’Afrique) pour s’adresser, à travers des étudiants burkinabè et étrangers triés sur le volet, aux jeunes africains. C’était un discours très attendu. Ce fut un discours inédit dans sa forme : jamais avant le président Macron, un président français n’avait osé parler devant quelques 800 étudiants africains et répondre à des questions qui, a priori, n’étaient pas filtrées.
Partant de ces deux discours de référence, procédons respectivement à l’étude de « comment ils sont dits » (énonciation) versus l’étude de « ce qui y est dit » (contenu des énoncés).

Comment ces discours sont dits ?

D’abord, il apparaît à l’analyse que les deux discours, sarkozien et macronien, sont amenés sur un style argumentatif. Par un usage significatif de
« connecteurs » de cause (parce que, donc, alors, car, en effet…), de but (pour que, afin de…), de disjonction (ou ceci, ou cela…), d’opposition (mais, néanmoins, au lieu de, non seulement, même si…) et de comparaison (comme, comme si, autant que…), les deux illustres locuteurs discutent, comparent, critiquent… et visent à convaincre leur auditoire. Mais faisons un pas de plus.
1. Sur la base du tableau 1 que peut-on dire ?

Le discours de Nicolas Sarkozy de Dakar 2007 est fortement marqué par la dramatisation, la mise en tension : utilisation massive de modalisations de négation (ne… pas, ne plus, jamais, non, nullement…) et d’intensité (tout, toutes, tous, trop, plus de…, etc.), agrémentée d’usage significatif d’adjectifs subjectifs (puissant, fort, grand, merveilleux, dangereux, sacré, douloureux, etc.). Il faut savoir que la modalisation négative n’est pas une formule neutre. En général, quand on fait une déclaration négative on répond – pour la nier, la réfuter ou la désapprouver – à une assertion effectivement exprimée par un interlocuteur, précédemment exprimée par un tiers (une autorité, la doxa, l’imaginaire, un média, etc.) ou hypothétique. Il va sans dire que la négation se présente comme une sorte de « jugement sur un jugement », un « jugement anti-orienté », d’où son potentiel polémique.
Par contraste, le discours de Macron de Ouagadougou 2017 se présente plus apaisé et plus objectif en intention : usage nettement plus massif d’adjectifs objectifs (plein, entier, historique, contemporain, commun, publique, privé, nouveau, concret, complet, etc.) et d’adjectifs numériques. Par ailleurs, ce discours se veut ancré dans le réel. En effet, l’usage plus significatif de modalisations de temps (aujourd’hui, demain, parfois, souvent, d’abord, en même temps, dans le même temps etc.) et de lieu (ici, partout, partout où, où, vers, de part et d’autre, au bout de, au sein de, etc.) permet de situer l’action, de lui conférer une traçabilité dans le temps et dans l’espace.

2. Sur la base du Tableau 2 que peut-on dire ?

Les discours politiques sont pour l’essentiel « programmatiques ». En général, ils constatent un état des choses (« diagnostic ») et proposent un plan pour sa transformation. Ils se veulent des « projets d’action » et font, par conséquent, appel aux registres volitif, cognitif et à ce que l’on appelle la logique modale (nécessité et possibilité). En d’autres termes, on peut dire que l’énonciateur politique déclare un « vouloir faire », « un savoir faire », un « devoir faire » et un « pouvoir faire ». Le tableau 2 ci-après présente une quantification de la participation de ces quatre catégories de modalisateurs verbaux de compétence (Greimas, 1976) articulées aux pronoms personnels « Je », « Nous », « Vous » et « Ils/Elles » selon leur manifestation dans les deux discours.

De ce tableau 2 on peut retenir les singularités :
  La parole sarkozienne à Dakar 2007 manifeste une centration sur le « vouloir » de la personne allocutive (le « vous » : « vous > vouloir »). Schématiquement, c’est : « Je suis là pour vous dire à vous, jeunes africains, ce que vous voulez et/ou ne voulez pas ». C’est dire qu’ici la personne allocutive (les jeunes africains en l’occurrence) n’est pas seulement la personne à qui parle le président Sarkozy, mais aussi la personne « à qui Sarkozy parle d’elle » et « de qui il est parlé ». Pour dire les choses autrement, à travers ce mode d’énonciation, le président Sarkozy s’est voulu en « meilleur » interprète du
« vouloir et/ou non vouloir » des jeunes africains… On connaît la suite de l’histoire.

 Quant à la parole macronienne de Ouagadougou 2017, elle frappe par la prégnance du sujet volitif du « Je veux » (et/ou « ne veux pas »). Par ailleurs, on l’aura remarqué, ce sujet de l’engagement volontariste (« je veux et/ou ne veux pas ») a recours à la « prescription projectuelle inclusive » du « nous devons » (et/ou « ne devons pas ») et à la « capacité inclusive » du « nous pouvons » (et/ou « ne pouvons pas »). Mais, ainsi que le rappelle Jean Caron (1983, p.93) ; « Parler c’est une certaine façon d’agir. Mais c’est une action en commun. L’énonciation s’adresse à quelqu’un, et ne prend véritablement son sens que si le partenaire est en mesure de le reconnaître. » Partant, pour que le « nous » macronien d’identification et de totalisation politique (éthique et capacitaire) produise pleinement son effet, il faut que la jeunesse africaine s’y reconnaisse…
Que disent ces discours en termes de contenu ?
Le tableau 3 ci-après présente la configuration des principales références sémantiques qui structurent le discours de Dakar 2007 du président Sarkozy et celui de Ouagadougou 2017 du président Macron. Relevons les singularités signifiantes.

 Les deux discours sont adressés à la jeunesse africaine. Il est donc normal que les références « Afrique, Africains » soient en tête. Toutefois, les références « Afrique, Africains » et « jeunes » sont nettement plus appuyées dans le discours du président Sarkozy à Dakar 2007. Ce n’est pas sans lien avec la centration sur la personne allocutive évoquée précédemment. A l’opposé, la référence à la France l’est davantage dans le discours du président Macron à Ouagadougou 2017.

  Cela étant, relevons pour Sarkozy Dakar 2007, les accents singuliers sur les références suivantes :
1. La catégorie sémantique « Passé, avenir » : il y est en effet question d’histoire, de passé, de mythes, de mythologies, de légendes, du « temps des magiciens, des sorciers et des chamanes », des ancêtres, des aïeux, de l’esclavage et de la colonisation. Mais aussi d’avenir, de destin et de destinée, de renaissance. Cependant, il est à noter que la référence au passé occupe 63,22% de cette catégorie quand celle relative à l’avenir ne concerne que 36,78%.
2. La catégorie sémantique « sentiments ». Ici, distinguons les sentiments négatifs des sentiments positifs. Pour les négatifs on trouve : souffrance, humiliation, pleurs, malheurs, pitié, repentance, angoisse, haine, crainte, amertume, honte, drame, orgueil, nostalgie, méfiance. Pour les positifs, on peut citer : amis, amitié, amour, espérance, confiance, respect, rire, estime de soi, bonheur, joie, dignité. Mais là encore, il faut souligner que les sentiments négatifs représentent 71,19% de la catégorie contre seulement 28,81% pour les sentiments positifs. Tout cela conforte la dramatisation du discours sarkozien de Dakar 2007. On a tous en tête cette tristement célèbre phrase : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. »
3. Troisième catégorie sémantique importante, celle qui regroupe les
« références psycho-socio-anthropologiques » : « les esprits, l’âme, la conscience, la civilisation, l’imaginaire, l’imagination, la pensée, la raison… ».
4. Enfin, on notera une remarquable tirade sarkozienne sur ce qu’est la
« réalité de l’Afrique » : « La réalité de l’Afrique, c’est une démographie forte pour une croissance économique trop faible » (Tiens donc ! Macron n’a rien inventé sur ce sujet) ; « La réalité de l’Afrique, c’est encore trop de famine, trop de misère » ; « La réalité de l’Afrique, c’est la rareté qui suscite la violence » ; « La réalité de l’Afrique, c’est le développement qui ne va pas assez vite, c’est l’agriculture qui ne produit pas assez, c’est le manque de routes, c’est le manque d’écoles » ; « La réalité de l’Afrique, c’est un grand gaspillage d’énergie, de courage, de talents, d’intelligence » ; « La réalité de l’Afrique, c’est celle d’un grand continent qui a tout pour réussir et qui ne réussit pas parce qu’il n’arrive pas à se libérer de ses mythes ». Je vous ai prévenu ! Heureusement, Sarkozy ajoute aussitôt : « La Renaissance dont l’Afrique a besoin, vous seuls, jeunes d’Afrique, vous pouvez l’accomplir, parce que vous seuls en avez la force. » (Ah, quand même…) « Cette Renaissance, je suis venu vous la proposer… » (Bon, il était temps… Manque de pot, à notre grand malheur, le président Sarkozy sera emporté par une autre tirade mémorable, la tirade en « Moi président de la République… » d’un certain François Hollande… mais ça c’est une autre histoire.)

 Contrastant nettement avec ces références sarkoziennes centrées sur l’homme africain ou l’homme noir, son passé plus que son avenir, son drame, sa psychologie, ses représentations, son imaginaire, ses mythes, etc., le président Macron a mis en avant des thématiques qui s’inscrivent dans une logique programmatique de combat socio-économico-politique classique : « l’économie, la finance et le développement durable » en tête de ses préoccupations, ensuite les problématiques « d’instabilité socio-politique et sécuritaire » (ISPS), les questions « d’éducation et de formation », « l’art, la culture, le sport » (on aura retenu sa volonté de restituer temporairement ou définitivement le patrimoine africain à l’Afrique, ou son insistance sur l’économie du sport…), le
« partenariat et la coopération », « la langue française et la francophonie » (cette langue française que nous avons en partage… « la langue de vos poètes, de vos cinéastes, de vos artistes… » dit Macron), « l’aide, le soutien, la présence (« à vos côtés ») » et bien sûr l’attention aux questions relatives aux « femmes, aux filles, aux enfants, à la maîtrise démographique de façon générale » (prise de position pour la liberté et l’émancipation socio-économico-politiques des femmes et des filles, contre les mariages forcés et précoces, les maternités subies…).
On pourrait aller plus encore en détail dans l’analyse de ces deux discours présidentiels de référence de Dakar 2007 et de Ouagadougou 2017. Mais, j’espère avoir livré ici quelques clés de lecture pour aller plus loin.

Ousmane SAWADOGO, Expert en Text Mining et Web Content Mining, Kaceto.net

Références citées :
GREIMAS A. -J., 1976, « Pour une théorie des modalités », Langages, n°43, pp. 90-107.
CARON Jean, 1983 : Les régulations du discours, P.U.F., Paris.