Pour comprendre l’importance de l’imagination dans notre vie d’humain, il faut avoir en idée ce que nous sommes. Que sommes-nous dans l’univers des choses et des êtres ? Nous ne sommes que de minuscules roseaux, comme a pu le dire Blaise Pascal. Antérieurement à Pascal le philosophe chrétien, le mythe grec de la création a lui aussi dit, que l’homme est l’être le plus démuni de tous, sans ailes, sans crocs, sans griffes, sans masse corpusculaire extraordinaire, sans aucune aptitude physique particulière. Le mythe précise cependant que le dieu Prométhée a volé, pour nous, la lumière de l’esprit. Depuis cette faute généreuse de Prométhée, que celui-ci paya lourdement d’ailleurs, nous sommes devenus des dieux sur terre, capables de connaissance et d’inventions techniques. La réalité n’est pas bien loin de ce que dit le mythe. En effet, l’homme est le dernier à apparaître sur terre. C’est lui qui est au sommet de la longue chaîne de l’évolution du vivant, sans être, du point de vue des aptitudes physiques, le plus parfait de tous. Mais, ce que l’homme n’a pas eu en aptitudes physiques, a été largement compensé par le surgissement de l’intelligence et la conscience en lui. L’homme n’est qu’un roseau, « mais, c’est un roseau pensant » précise Pascal. De là, découle tout ce que nous sommes, au-delà de la matière et de l’animalité.
Nos publications antérieures ont largement évoqué différents aspects de cette spécificité de l’humain. Nous sommes conscience de nous-même et du monde. Nous sommes conscience du présent, mémoire du passé et lumière précoce du futur. Le dernier aspect correspond justement à l’imagination qui, vue de près, nous donne tout pouvoir sur les deux paradigmes inexorables de l’univers, que sont l’espace et le temps. L’imagination, avons-nous dit, nous permet d’échapper à l’enfermement dans l’ici-là et le maintenant. À ce titre, elle est anticipatrice et créatrice de réalités nouvelles.
Le progrès est donc fille de l’imagination !
Bien sûr, l’imagination peut se donner des allures rétrogrades. Dans ce cas, l’esprit, dominé par la mémoire ou par une sorte d’inconscient freudien, s’échappe vers le passé plus ou moins lointain. Je peux ainsi passer mon temps à rêver de ma belle enfance perdue, de mes années collège, de mes amitiés perdues. Je peux consacrer ma vie à rêver d’une Afrique des pères qui n’est plus. Je peux aller me promener dans l’histoire et dans préhistoire. Mais, pour l’essentiel, l’imagination est plutôt exploratrice de choses nouvelles.
Elle est d’abord anticipatrice. L’humain, tout en étant dans le présent, est capable de se projeter et de projeter les choses dans le futur. Il a conscience du devenir, et il peut imaginer les étapes plus moins lointaines du temps qui coule. Ainsi je suis, mais je sais aussi que je serai. Je peux alors imaginer ce que je serai, ne serait-ce qu’avec les schèmes que je désire avoir moi-même dans le futur. Quand j’ai vingt ans, je vis avec des gens qui en ont cinquante. Je peux m’imaginer dans leur peau, ressemblant à eux, lorsque j’aurai le même âge qu’eux. Mais, je peux aussi m’imaginer autrement ; je peux imaginer que ma vie sera meilleure ; dans ce meilleur je suis libre de mettre tout ce que je veux. Mon imagination entrevoit le monde et la vie que je désire avoir demain. Cette capacité d’anticipation de notre conscience a forcément joué un rôle moteur dans le progrès de l’humanité.

Tout en étant dans une saison de chasse, nos ancêtres primitifs imaginaient déjà les contours de la saison suivante. De cette façon, en tirant les leçons du passé et du présent, ils étaient en mesure de prendre des dispositions, en termes de perfectionnement des armes et des stratégies, pour les saisons à venir. Vivre en humain, c’est d’abord rêver d’une autre réalité que celle qu’on a ; c’est anticiper sur ce qui sera et qui n’est pas encore. Les inventions techniques, les découvertes des explorateurs, les explications scientifiques nouvelles, tout cela n’a pu se faire que parce que l’homme est capable d’imaginer, de penser à autre chose, qui n’est pas ce qui lui est donné dans le présent. C’est dans cette optique que les grands rêveurs sont aussi des innovateurs, des bâtisseurs de choses nouvelles. Imaginer, c’est oser inventer l’avenir.
Il découle de ce qui précède que l’imagination est aussi créatrice. Bien sûr, aucune création humaine n’est en totale rupture avec son temps et son contexte. Comme dirait le philosophe Hegel, l’imagination est fille de son temps. On ne crée qu’en s’inspirant de ce qui existe déjà ou de qui a déjà existé. L’œuvre humaine n’est pas identique à celle de Dieu ; elle n’est pas faite ex nihilo, à partir de rien ! Dans le monde humain, de rien, rien ne vient. Mais, à partir de quelque chose, tout est possible, pour peu qu’on ait de l’imagination.
Au bilan, on peut retenir que l’imagination fait de l’homme le digne représentant du divin dans l’univers. C’est elle qui nous permet de continuer l’œuvre divine de création. C’est elle qui trace l’horizon de la vie. C’est elle qui nourrit, dans nos cœurs, l’espoir et l’espérance. C’est elle qui accouche du génie esthétique créateur. C’est elle qui devance et éclaire l’esprit savant de l’homme. C’est elle qui guide nos pas explorateurs. C’est elle qui oriente nos mains inventrices. De l’imagination, les hommes n’en ont pas toujours malheureusement. En effet, la grande partie des humains se contente de conserver et d’imiter ce qui existe déjà, de restaurer ce qui fut, de projeter, in extenso, le présent dans le futur. Il existe, cependant, cette minorité, toujours en avance sur l’époque, toujours pensant à l’ailleurs, au nulle part, au jamais vu, au jamais essayé. C’est en elle que l’imagination se fait créatrice et inventrice. C’est elle qui imagine la forme nouvelle, le style novateur, la symphonie inédite, le personnage romanesque original, la société idéale, la technologie révolutionnaire. Cette catégorie d’humains, héritant de l’esprit prophétique et visionnaire des temps anciens, refuse la résignation face au réel et au statu quo cruel. Elle rêve toujours d’un monde meilleur, de nouvelles façons de penser, d’être et de faire. C’est grâce à elle que le monde, dans les domaines de l’esthétique et de l’éthique, du scientifique et du technologique, du social et du politique, a périodiquement changé de base. Sous cet angle, le progrès est nécessairement fille d’Imagination. Il est fatalement l’œuvre des rêveurs. Excellente commémoration de l’indépendance, à tous les Burkinabé de droit et de cœur. Ensemble, imaginons un avenir meilleur !

Zassi Goro ; Professeur de Lettres et de philosophie

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