Les actes récurrents de violence dont fait preuve une partie des élèves et étudiants burkinabé donnent une image peu pacifique de toute notre jeunesse. Si nous voulons pacifier notre société, nous devons avoir le courage d’exhumer les vraies causes de ces irruptions d’incivilités et de désordres. Elles sont nombreuses, mais celles liées à la psychologie collective sont à l’évidence les plus génératrices de violence. C’est ce que Denis Dambré s’attache à démontrer dans les lignes qui suivent

Jetons tout d’abord un regard sur quelques faits médiatisés ces dernières années qui montrent que la violence est devenue le mode d’expression privilégié de notre jeunesse.
Le 16 mai 2016, un groupe d’élèves du lycée départemental de Gounghin à 25 kilomètres de Koupéla s’en prenait violemment au personnel de l’établissement pour réclamer l’organisation d’examens blancs. Dans leur hargne revendicative, ils livraient aux flammes la moto d’un de leurs professeurs ainsi que celles du censeur et du conseiller principal d’éducation.
Contraints de se réfugier dans le bâtiment, les professeurs ont cru vivre les derniers instants de leur vie, car une pluie de cailloux pleuvaient sur les portes et les fenêtres. La rage des élèves était si incontrôlable qu’on les aurait cru saisis d’une soudaine folie collective sous l’effet du groupe. Car, comme disait Marin Luther King, « les groupes n’ont pas autant de moralité que les individus ». Les limites morales que chacun se fixe en temps ordinaire sont vite franchies dès lors qu’il se retrouve pris dans le tourbillon d’un groupe désireux d’en découdre.
Plus récemment, les affrontements qui ont éclaté ce mois de décembre 2017 entre étudiants dans l’enceinte de l’université Ouaga1 Pr Joseph Ki-Zerbo illustrent encore le climat de violence dans lequel baigne notre jeunesse. Alors que l’université est par essence le lieu du dialogue, des échanges verbaux et de l’argumentation, force est de constater qu’un groupe d’étudiants, dont des représentants de l’association nationale des étudiants burkinabé (ANEB), a préféré là aussi vaincre plutôt que convaincre. Autrement dit, ils ont préféré le langage des coups de poing et des coups de bâton à celui des arguments rationnels.
Mais d’où vient toute cette violence de notre jeunesse ? Inutile de chercher loin ! Elle vient de nous-mêmes, leurs parents et leurs aînés. C’est une violence apprise, donc transmise par le monde des adultes. Elle témoigne de l’incapacité des éducateurs que nous sommes – qu’on soit parent, enseignant ou adulte de l’entourage – à transmettre aux jeunes générations les valeurs de tolérance, de respect, de dialogue pacifique, de protection d’autrui et des biens de la collectivité. Oui, la violence des jeunes est un reflet décuplé de la violence que les adultes leur témoignent. Et le moins qu’on puisse dire est que nos jeunes en prennent plein la figure dès leur plus tendre enfance !
En effet, au Burkina Faso comme dans d’autres pays africains, les incohérences éducatives des adultes crèvent les yeux. Nous passons le plus clair de notre temps à nous inquiéter de la montée de la violence chez nos jeunes alors que nous sommes, nous-mêmes, prompts à exercer des violences de toutes sortes contre eux.
Voici quelques exemples :
Au lieu d’expliquer à nos enfants ou à nos élèves les méfaits de la violence afin de les amener à réfléchir sur ce qui fonde l’équilibre d’une société, nous les battons pour leur apprendre à ne pas se battre, nous les insultons pour leur apprendre à ne pas insulter, nous les humilions pour leur apprendre le respect, nous refusons le dialogue pacifique avec eux, car nous estimons à tort qu’un enfant n’a pas son mot à dire ; et j’en passe. Toutes ces brimades contre les enfants laissent en eux des séquelles psychologiques lourdes qui, avec l’âge, se transforment en une violence irrépressible.
Or, on connaît aujourd’hui les conséquences néfastes des violences éducatives sur les enfants. Les psychologues et les psychiatres les ont tant et si bien décrites, démontrées et expliquées qu’il existe des chartes internationales les bannissant.
Le Burkina Faso est d’ailleurs, depuis le 26 janvier 1990, signataire de la convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) qu’il a même ratifiée dès le 31 août de la même année. Ce qui donne de nous une image respectable dans les instances internationales.
Mais avons-nous pour autant banni au quotidien les violences contre les enfants pour asseoir les fondements d’une société plus pacifique ? Combien de parents continuent de soumettre leurs enfants à des sévices corporels et psychologiques au prétexte de les éduquer ? Combien d’enseignants, malgré l’interdiction inscrite dans la loi, continuent de faire subir aux enfants des violences physiques ou psychiques insupportables ? Et après, nous nous étonnons de la violence de nos jeunes ?
La psychologue et philosophe suisse Alice Miller et, plus récemment, la psychiatre française Catherine Guéguen pointent à juste titre dans leurs ouvrages un paradoxe qui donne à réfléchir : quand un adulte se fait frapper, on qualifie cela d’agression et son auteur peut même être poursuivi en justice. En revanche, quand un parent bat son enfant, on qualifie cela de mesure éducative. Comme si l’enfant était une mini-personne dotée de mini-droits. Si nous voulons une société pacifique, commençons par montrer à nos enfants que nous appliquons nous-mêmes le principe de non-violence que nous voulons qu’ils respectent. Car ils nous prennent pour des modèles à suivre et reproduisent la violence que nous montrons.

Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas fixer des limites aux enfants ! Dans les pays occidentaux qui ont banni la violence, les parents savent bien fixer des limites à leurs enfants, mais par l’explication patiente et le dialogue pacifique.
Car l’exemplarité est une vertu tout comme la non-exemplarité est un vice en matière d’éducation.
Un enfant battu, insulté, humilié, brimé dans sa chair et sa tête, est un enfant qui règlera ses comptes avec les moyens que ses parents et éducateurs lui ont enseignés, à savoir la violence. Ne nous étonnons donc pas des accès de colère de notre jeunesse. Ils ne sont que le reflet de ce qu’ils ont enduré et refoulé.
Pour inverser la logique et construire une société non-violente, il est grand temps d’en prendre conscience pour éduquer nos jeunes par un dialogue pacifique et responsabilisant.
Mais nos incohérences ne s’arrêtent pas là. Nous offrons en permanence aussi à notre jeunesse le spectacle navrant d’un dialogue impossible entre adultes où bomber le torse et bander les muscles passent pour les seuls moyens de s’affirmer pour obtenir gain de cause. Et ce, souvent au détriment de l’intérêt général.
Par exemple, sous prétexte de revendication de meilleures conditions de travail pour eux-mêmes et de meilleures conditions d’apprentissage pour leurs élèves (ce qui est légitime !), beaucoup d’enseignants n’hésitent pas à livrer nos enfants à la rue pendant des semaines, voire des mois, quitte à provoquer parfois une année blanche (ce qui est, pour le moins, contraire à l’intérêt de nos enfants !). Mais c’est leur façon de bomber le torse et de bander les muscles vis-à-vis des dirigeants. Et certains vont même jusqu’à contraindre des collègues qui ne veulent pas faire grève à déserter les salles de classe.
C’est une bonne nouvelle que l’association des parents des élèves et des étudiants burkinabé commence enfin à se faire entendre grâce à l’action de son bureau renouvelé et de son talentueux président, Hector Ardent Ouédraogo. Car il est grand temps que chacun comprenne que la facture d’une année blanche finit toujours par être tendue aux parents. Au lieu de payer trois années d’études (scolarité, fournitures, habillement, nourriture, logement, moyen de déplacement…) pour que leur enfant obtienne la licence et entre dans la vie active, ils en paieront peut-être quatre ou cinq. Grand merci aux grèves incessantes !
Mais les pouvoirs publics ne manquent pas non plus d’incohérence lors des mouvements de grève. En effet, la question du paiement des salaires des grévistes mérite d’être posée. Car, si la grève est un droit à défendre, son exercice se fait en connaissance des règles et des conséquences. Dans quel pays démocratique au monde voit-on des grévistes continuer à toucher tranquillement leur salaire à la fin du mois alors qu’ils n’ont pas effectué leur travail ?
On m’objectera que les fonctionnaires chargés de la remontée au ministère des noms des grévistes sont souvent, eux aussi, en grève. Mais comment font les autres pays ? Une procédure de remontée doit être prévue à cet effet ! Et les parents d’élèves doivent aussi manifester leur mécontentement de voir les enfants livrés à eux-mêmes pendant des semaines alors qu’ils se sont parfois endettés pour payer la scolarité. En continuant à verser l’intégralité des salaires des fonctionnaires grévistes, les pouvoirs publics ne font qu’alimenter le puits sans fond des grèves au détriment de l’intérêt général.
Pour finir, souvenons-nous qu’en quatre ans de révolution, Thomas Sankara est devenu un héros national dont nous sommes tous fiers au « pays des hommes intègres » – expression que nous tenons d’ailleurs de son rêve brisé – comme à l’étranger. Mais était-il du style à faire preuve de la faiblesse que montre l’Etat burkinabé en ce moment ?
Assurément, non ! Il est sans doute allé loin en son temps en renvoyant des enseignants grévistes pour recruter des jeunes qui n’attendaient qu’une place dans la fonction publique. Mais il a surtout voulu montrer par ce geste que, dans un pays où l’immense majorité trime au champ, les revendications des moins mal lotis doivent respecter des règles et se départir des relents d’égoïsme corporatiste.
En conclusion, les adultes burkinabé sont violents envers les jeunes et dans le dialogue social. Comment, dans ce contexte, les jeunes ne seraient-ils pas violents ? Si nous voulons qu’ils soient respectueux de règles qui fondent l’équilibre d’une société démocratique, commençons nous-mêmes par leur donner l’exemple.

Denis Dambré ; Proviseur de collège