Après la série d’articles sur le rêve, notre chroniqueur entame cette semaine une réflexion sur la loi. A la fois abstraite et concrète, la loi régente la vie en société en corrigeant les inégalités naturelles. Mais à quoi renvoie t-elle exactement ? Explications.

Nous entamons ici, après la série de publications sur le rêve, une réflexion sur les lois, ou du moins, sur la notion de loi. Notre regard, nonobstant ce que laisse croire la thématique de « lois et vies », n’ira pas dans un sens de spécialiste de droit. Nous éviterons, également, un encrage exclusif dans la philosophie politique qui joue avec le mot loi, depuis les pères grecs et latins, jusqu’à nos contemporains, en passant par Montesquieu et ses pairs du siècle des Lumières. Notre démarche méthodologique à l’égard des questions essentielles de la condition humaine et de notre situation dans l’espace-temps, consiste à considérer que l’histoire est un processus de prise de conscience de l’homme et de clarification conception, allant du mythique au rationnel. Sous cet angle, la notion de loi, qui, de nos jours, semble avoir un contenu évident pour le sens commun, n’a pas toujours désigné, sans équivoque, la même réalité. Les lois, pour ainsi dire, sont passées des ténèbres aux lumières, du mythique au rationnel. Ce processus est naturellement le premier enjeu de notre réflexion qui, autant que possible, balayera tous les champs où l’on parle de lois. Nous situant donc au-delà du seul terrain de la cité et du vivre ensemble, avec à la fois un regard épistémologique propre aux sciences et ce souci socio-politique inévitable, nous explorerons certaines questions que notre existence dans ce monde de lois rencontre inéluctablement. Mais, avant toute chose, à quoi peut-on penser, quand on parle de lois ?
Le mot loi est loin d’être un de ces mots passe-partout, mais on le rencontre partout et on l’entend presque quotidiennement. En effet, à tout bout de champ, on peut ouïr une des expressions suivantes : « la loi, c’est la loi », « nul n’est au-dessus de la loi », « c’est la loi de la vie », « c’est la loi de Dieu », « c’est la loi des ancêtres », « c’est la loi du fort », etc... Derrière ces usages divers, on retrouve une constance de sens. La loi, c’est la règle prescrite, la volonté exprimée par qui de droit pour régenter les choses, la norme selon laquelle quelque chose se fait ou doit se faire. Plus abstraitement, on peut dire que la loi c’est le principe qui régit, de manière permanente, un processus non conscient, ou qui encadre une action consciente. Nous reviendrons, plus loin dans la réflexion, sur les caractéristiques de la loi. Pour l’instant, il nous semble primordial de déterminer, à partir de l’unité de sens que le mot laisse entendre, les divers champs où il est question de lois.

Les lois de la nature

Le terme nature est entendu ici comme la réalité qui nous englobe et à laquelle nous appartenons nous-mêmes. Elle comprend, comme on nous l’a enseigné depuis les classes de l’école primaire, l’état solide, l’état liquide et l’état gazeux. Bien évidemment, il faut joindre à tout cela, l’état vivant qui, lui, est une sorte de rencontre harmonieuse et miraculeuse des trois autres états. Une vision exacte de la nature doit également prendre en compte les dimensions microscopiques et celles macroscopiques du réel. En tout état de cause, le premier souci de l’homme primitif au monde fut certainement de connaître les normes selon lesquelles, les phénomènes de la nature se produisent. On verra, ailleurs, qu’il n’a pas d’emblée eu conscience des lois intrinsèques au monde. C’est au bout d’un long parcours, qui va de l’âge des mythes, à l’ère de la raison éclairant l’humanité, que nous savons, aujourd’hui, que la nature, dans ses ordres physique, chimique, biologique, voire spirituel, obéit strictement à des lois constances. Rien, dans la nature, ne se produit capricieusement. Exception faite du miracle qui, lui, relève de la foi et du surnaturel, tous les processus du réel ne se déroulent que selon des lois.

Les lois sociales

Nous n’entendons pas, par lois sociales, les règles selon lesquelles les phénomènes et les événements de la vie sociale, dans l’espace et dans l’historicité, se produisent. Il ne s’agit donc pas des lois que les sciences de l’homme ont pu mettre en évidence, après le tournant du XIXe siècle et la volonté affichée d’étudier « les faits sociaux comme des choses ». Nous entendons par lois sociales, l’ensemble des règles écrites ou orales, dont les hommes ont pu se doter pour régenter leur vie. Naturellement, elles sont, soit d’ordre moral, soit d’ordre politique et juridique. Certaines époques de l’histoire montrent cependant que les mêmes lois, adossées au religieux et au sacré, ont régenté la vie, dans une confusion totale des ordres. Pour l’instant, le plus important c’est de savoir que le monde de l’esprit n’est pas laissé au désordre, mais qu’il n’a pu naître et n’a pu se pérenniser, dans l’histoire, que par le concours de lois, œuvres des bâtisseurs de notre civilisation d’homme.
En bilan transitoire, on peut retenir que le monde ne subsiste que par des lois. Des dimensions les plus microscopiques du réel, à la vie morale et sociale, en passant par la nature physique macroscopique et l’univers biologique, rien, même lorsque hasard, chaos et désordre sont apparents, ne se produit capricieusement et arbitrairement, sans principes, sans normes directrices. Nos vies sont faites de lois, issues de lois, régentées par des lois. Nous ne pouvons vivre en feintant les lois, autant que nous prenons conscience des caractéristiques qui constituent leur unité, malgré la diversité de leur champ d’expression. Par rapport à nos vies, qu’est-ce qu’il y a donc de commun entre les lois de la nature et celles du monde humain ? L’étape prochaine de notre réflexion prendra certainement en charge cette question.

Zassi Goro ; Professeur de Lettres et de philosophie
Kaceto.net