Docteur en philosophie morale et politique, prêtre de l’Archidiocèse de Koupéla et enseignant de philosophie au Grand séminaire de Kossoghin, Pascal Kolesnoré décrypte le rôle de l’Eglise catholique dans le processus démocratique au Burkina.

Le 31 octobre 2014, au deuxième jour de l’insurrection populaire, alors qu’on déplore déjà des morts, que plusieurs villes sont livrées aux pillages de biens publics et privés, le président Blaise Compaoré apparait sur les écrans d’une télévision privée, les traits tirés, et annonce qu’il démissionne de son poste. « Au regard de la situation socio-politique fortement dégradée et caractérisée par la persistance des troubles à l’ordre public, de pillages de biens publics et privés, de menaces de division de notre armée nationale, et dans le souci de préserver les acquis démocratiques ainsi que la paix sociale dans notre pays, j’ai décidé de mettre en œuvre l’article 43 de la constitution. Je déclare la vacance du pouvoir en vue de permettre la mise en place immédiate d’une transition devant aboutir à des élections libres et transparentes dans un délai maximal de 90 jours », déclare t-il.
Rapidement relayée par les médias et les réseaux sociaux, la nouvelle suscite des scènes de joie et de victoire dans les rues de plusieurs villes du pays. C’est fait, les opposants au projet de modification de l’article 37 de la constitution qui aurait permis à Blaise Compaoré de se représenter à la présidentielle de 2015 ont obtenu plus que ce qu’ils espéraient. La veille, ils avaient pu empêcher le vote de la loi en incendiant l’assemblée nationale, et voilà maintenant que le président Compaoré rend le tablier avant la fin de son mandat constitutionnel. Une alliance certes, conjoncturelle, mais objective de forces politiques disparates et d’organisations de la société civile, ont eu raison de celui qui voulait rester encore au pouvoir, 28 ans après l’avoir conquis lors d’un coup d’Etat sanglant. Une victoire collective qui n’a pas empêché que naisse, dans les jours suivants, une sorte de compétition entre des organisations de la société civile et les partis politiques pour s’attribuer la paternité de la chute du régime de Blaise Compaoré. Ce sont d’ailleurs les premières qui, à la Place de la nation, rebaptisée Place de la révolution, ont désigné le premier président de la Transition, le Lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida. Au cours d’un meeting qu’il a animé le 21 novembre 2014 à Dédougou, Salif Diallo, affirme que son parti, dont il était alors 1er vice-président, a payé le plus lourd tribut lors de l’insurrection populaire. « Sur les 22 morts enregistrés, le MPP compte 17 militants dont 3 brulés vifs à Ouahigouya », avait-il dit. Des propos qui ont suscité l’indignation générale et fraichement accueillis par Zéphirin Diabré, déjà chef de file de l’opposition.
Pendant que la mise en place des organes de la Transition donne lieu à une féroce bataille pour le partage des postes entre anciens alliés, d’autres forces sociales, qui ont aussi joué un rôle crucial dans la chute de Blaise Compaoré, sont retournées à leurs occupations. C’est le cas de l’église catholique, dont l’engagement de ses représentants aux côtés des forces hostiles au projet présidentiel a plus qu’agacé les tenants du régime déchu.

A ceux qui en douteraient encore, on leur conseille la lecture du livre de Pascal Kolesnoré, prêtre de l’Archidiocèse de Koupéla, intitulé, « De la démocrature à la démocratie au Burkina ; rôle de l’église et défis* ». L’auteur, qui est également enseignant de philosophie au Grand séminaire de Kossohgin, décrypte le positionnement, pas toujours constant et lisible, du clergé burkinabè dans l’opposition à la modification de l’article 37 de la constitution.
Reprenant à son compte les analyses de nombreux auteurs sur les régimes politiques africains, Pascal Kolesnoré considère que la quatrième république « avait tous les apparats d’un régime démocratique. […] Les institutions de l’Etat de droit fonctionnaient correctement ; les élections étaient tenues à intervalles réguliers, la liberté d’expression assez garantie » écrit-il. Mais depuis Descartes, on sait que apparences sont trompeuses. En réalité, « sous le couvert démocratique » poursuit-il, le régime « avait au fond, une teneur autoritaire, voire dictatoriale », et la volonté de du président Compaoré et ses partisans de faire sauter le verrou limitant le nombre de mandats présidentiels n’en est qu’un des éléments révélateurs. Dans le combat contre cette « démocrature », la position de l’église catholique a souvent été d’une ambiguïté troublante. L’auteur rappelle ainsi que soucieuse de préserver la paix sociale, l’église a siégé dans le Collège des sages en 1999 et pis, a participé, sans obtenir de garanties, à la Journée nationale du pardon le 30 mars 2001, une cérémonie pourtant boudée par les familles de victimes, l’opposition et une partie de la société civile.
Lors des débats du Conseil consultatif sur les réformes politiques (CCRP) organisés en 2011 au lendemain des mutineries, l’église y a envoyé ses délégués sans conditions, alors que tout le monde voyait bien la manœuvre du pouvoir, qui était d’aboutir à la création du sénat et la révision de l’article 37. L’auteur s’étonne également que l’église ait accepté de participer à l’initiative de l’ancien président Jean-Baptiste Ouédraogo de s’autosaisir comme médiateur, pendant que de nombreux Burkinabè doutaient de ses intentions réelles et le caractère libre de son initiative.
Pour Pascal Kolesnoré, docteur en philosophie morale et politique, « cette proximité de l’église avec le pouvoir en place était perçue comme un soutien à un régime qui avait mis fin à la révolution, laquelle par son caractère anticlérical, avait eu des rapports très difficile avec les dirigeants de la Révolution démocratique et populaire » (RDP). Mais après une période d’hésitation, l’église catholique s’est finalement affichée très clairement contre la modification de la constitution. D’après l’auteur, ce positionnement a été rendu possible grâce à deux facteurs essentiels : premièrement, le rajeunissement de l’épiscopat avec entre autres, l’arrivée de Mgr Philippe Ouédraogo au siège métropolitain de Ouaga, et de Mgr Thomas Kaboré à la tête de la Commission épiscopale Justice et paix. Ce dernier avait activement apporté son soutien au Mouvement des femmes en noir dans leur lutte pour la vérité et la justice dans l’affaire Norbert Zongo. Deuxièmement, la constitution d’un shadow group réunissant des laïcs politiquement bien outillés, qui ont prodigué des conseils éclairés à la hiérarchie catholique. On comprend un peu mieux la Lettre pastorale publiée le 15 juillet 2013, dont la teneur n’a rien à envier aux tracts des groupuscules d’extrême gauche. Le texte qui a été photocopié et distribué dans tous les coins du Burkina, pointe en effet les « infections sociales comme l’impunité, la corruption qui engendrent des frustrations et aboutissent à des révoltes ; la polarisation de la richesse au niveau d’un groupe qui partage les pouvoirs politiques et financiers » et dénonce « les mimétismes démocratiques ou des despotismes juridiques, des majorités fictives, les clanismes et les clientélismes, l’antidémocratisme dû à des ambitions égoïstes ». On croirait lire un tract du Parti communiste révolutionnaire voltaïque (PCRV), nuitamment jeté aux principaux carrefours de Ouagadougou !
Ce sermon, on s’en doute bien, n’a pas plu en haut lieu. Et comme en 2011 quand les évêques avaient été convoqués après qu’ils aient publié « Sauvegarder et consolider la paix sociale » où ils dénonçaient déjà « la corruption, le mensonge, même une certaine gabegie », cette fois-ci, le pouvoir durcit le ton. Il menace de révéler des scandales au sein de l’institution catholique tout en essayant d’infiltrer l’épiscopat. On apprend ainsi qu’après le vote de la loi sur le sénat, un gendarme en civil a tenté à plusieurs reprises « d’arracher au Secrétaire général de la conférence épiscopale, l’abbé Mathias Kam, le nom du délégué catholique devant siéger au sénat ». En vain, l’église s’étant entre-temps ravisée en « déclinant l’offre de sièges qui lui est faite » après avoir dans un premier temps, approuvé du bout des lèvres la création de cette deuxième chambre.
A la différence de la cacophonie qui a caractérisé les positions de la communauté musulmane et des protestants, les représentants de l’église catholique sont restés soudés face au pouvoir, et c’est dans la collégialité qu’ils ont pris toutes les décisions quand il le fallait. D’ailleurs, révèle l’auteur, les partisans de Blaise Compoaré comptent l’église parmi ses tombeurs et « durant le coup d’Etat de septembre 2015, des éléments de l’ex RSP ont fait ramper dans la boue un prêtre qui allait visiter un malade à l’hôpital Blaise Compaoré » et « brisé le casque d’un autre qui revenait d’un office ».
Selon les derniers chiffres disponibles qui datent de 2006, le Burkina compte 60,5% de musulmans, 23,2% pour les chrétiens dont 19% de catholiques et 4,2% de protestants, 15,3% d’animistes et 0,6% d’autres croyances. Mais, note Pascal Kolesnoré, « force est de constater que l’église jouit d’une influence inversement proportionnelle à son poids démographique », et de toute évidence, sa crédibilité sort renforcée de la crise qui s’est dénouée en octobre 2014. Pour preuve, c’est un délégué de l’église, Ignace Sandwidi qui a présidé le collège de 23 membres chargés de désigner le président de la Transition. Mieux, le nom de Mgr Paul Ouédraogo a été proposé pour être président de la Transition, offre qu’il a déclinée.
Lecteur assidu d’Emmanuel Kant et Hegel, le Père Kolesnoré élargit sa réflexion sur le rapport entre foi et engagement politique, et note que le croyant est souvent tenté par l’attitude de « la belle âme » décrite par Hegel, c’est-à-dire, « celle d’une conscience passive qui vit dans l’angoisse de souiller sa pureté par l’action ».
Il consacre également de belles pages sur les rapports pour le moins conflictuels entre croyants et révolutionnaires qui jalonnent l’histoire contemporaine. Et pour cause, « l’anthropologie marxiste, écrit-il, est fondamentalement matérialiste et athée et affirme la primauté de la matière, de l’économique sur les autres aspects de la vie humaine ». Une affirmation fort discutable. Non, mon père, comme l’avait si bien souligné Roger Garaudy, la base théorique du socialisme marxiste n’est pas l’athéisme, mais l’humanisme militant. Le combat permanent pour assurer l’épanouissement de l’homme et contre tout ce qui le mutile, l’opprime et l’humilie. Ce n’est donc pas une négation de Dieu, mais l’affirmation de l’homme. Dans cette optique, il est arrivé que chrétiens et marxistes se retrouvent pour mener des combats communs, à l’image du combat contre la modification de la constitution et du coup d’Etat de septembre 2015. Après le scrutin couplé présidentiel législatif de novembre 2015 et les municipales de mai 2016, seule une veille citoyenne collective pourra prémunir le Burkina contre une remise en cause des acquis démocratiques post-insurrectionnels. « De la démocrature à la démocratie au Burkina », un livre à lire et à conserver dans sa bibliothèque !

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Joachim Vokouma
Kaceto.net
• Pascal Kolesnoré ; De la démocrature à la démocratie au Burkina. Rôle de l’Eglise et défis ; édition l’Harmattan, Paris, 2016 ; 145 pages ; 15 euros.