L’intégration sous-régionale ouest-africaine est en marche. La libre circulation des biens et des personnes dans l’espace Uemoa est une réalité depuis bien longtemps, en dépit des rackets dont sont victimes les usagers de la route par les forces de sécurité. Dans le secteur de l’éducation où les diplômes de chaque pays sont déjà reconnus dans les autres pays membres, l’intégration devrait opérer un grand bond en 2020. A cette date, tous les élèves des huit pays devront passer le même Baccalauréat, avec les mêmes épreuves, les mêmes critères de correction, de notation et de mention. D’ici là, beaucoup de choses restent à faire pour que tous les pays soient au rendez-vous.
Pourquoi s’est-on engagé vers l’harmonisation du Bac et comment le processus est-il conduit ? Eléments de réponse avec Ambroise Cologo, directeur de recherche en Education formelle au ministère de l’Education nationale et de l’alphabétisation.

En 2020, entrera en vigueur le baccalauréat unique dans l’espace Uemoa. Quelle est la finalité de cette réforme ?

L’idée est née lors d’une rencontre à Abidjan de ceux qui ont en charge l’organisation du Bac dans les pays membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine. Au cours d’une discussion en divers, un des ministres a expliqué les difficultés qu’il rencontrait dans l’organisation du Bac à cause des fraudes et le coût qui monte chaque année. Chose extraordinaire, le sujet a plus intéressé les participants que l’ordre du jour qui les avait réunis ; c’était une préoccupation partagée par tous. Ils ont alors décidé de recruter un consultant pour se pencher sur la question, et c’est ainsi que l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’ouest (Uemoa) a fait appel à un Belge, Xavier Roegiers, expert en évaluation, lequel a mené une étude sur le sujet et a rendu compte des résultats en 2013.
En gros, il estime que le Bac comporte des insuffisances, ce qu’il a appelé des réussites abusives et des échecs abusifs. Il a constaté que beaucoup d’élèves réussissent tout simplement parce qu’ils ont de la mémoire, ont mémorisé un certain nombre de choses et que par chance, l’examen a porté sur les quelques éléments qu’ils ont mémorisés. Par contre, ceux qui ont fait le tour de la question, maitrisent le contenu, mais ont malheureusement eu quelques difficultés le jour de l’examen, échouent. Il a par ailleurs constaté que des élèves s’inscrivent parfois au Burkina, au Mali ou au Niger la même année, sachant que les examens ne se passent pas au même moment. En cas d’échec au Burkina, hop, ils vont au Mali ou au Niger où ils réussissent avec parfois la mention. Nait alors une injustice. Nous sommes deux candidats à la bourse. J’échoue au Burkina, je vais au Mali où je réussis et reviens avec une mention bien, alors que mon camarade a réussi au Burkina avec mention passable. De toute évidence, j’ai plus de chance d’obtenir la bourse que mon camarade puisque le Bac est valable dans les pays membres de l’Uemoa et ouvre aux mêmes droits. La situation est identique en Afrique centrale où des élèves quittent le Cameroun pour aller composer dans un autre pays membre de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac).
Cette situation d’injustice a poussé les dirigeants à opérer un changement en allant vers une harmonisation du Bac où on passera désormais l’examen au même moment. Dans cette optique, les chefs d’Etat ont pris rapidement des mesures pour harmoniser les dates de l’examen et depuis au moins cinq ans, le Bac se déroule entre le 18 et le 21 juin de chaque année dans tous les pays membres de l’Uemoa. Il n’est plus possible de le passer dans deux pays. Par ailleurs, les élèves peuvent s’inscrire à l’université au même coût que les nationaux, mais c’est dommage que cette mesure ne soit pas appliquée dans tous les pays.
Nous sommes actuellement en train de plancher sur l’harmonisation même de l’examen et cela représente un gros travail. On a réuni un groupe d’experts de cinq personnes dans chaque pays comprenant le responsable de l’office du Bac, deux universitaires et deux de l’enseignement secondaire. On a collecté des épreuves (Maths, SVT et Français) données dans tous les pays membres de l’Uemoa, qui ont été ensuite décortiquées. Résultat, on a abouti au constat selon lequel, toutes les épreuves ne se valent pas quant aux difficultés rencontrées par les élèves : il y a des épreuves qui sont plus faciles que d’autres selon les pays ! Au vu de ce résultat, aller directement au BAC unique risque de créer des problèmes dans certains pays qui vont se retrouver avec 10 ou 15% d’admis. Pour un Etat, ce n’est pas bon ! Nous avons donc opté d’aller d’abord vers l’harmonisation des programmes car, si c’est le même enseignement qui est donné partout, on peut alors évoluer vers le même Bac.

Mais le contenu en Maths, Français et SVT est déjà le même dans tous les pays….

C’est exact, seulement, selon les pays, on peut choisir de donner une épreuve plus ou moins difficile et les méthodes de corrections ne sont pas les mêmes. En Côte d’Ivoire, il y a des centres d’examen où les épreuves sont rassemblées et où chaque correcteur prend un lot. C’est seulement au bout d’un certain temps qu’on délibère et c’est à un tour. Au Burkina, les corrections commencent immédiatement dès le début des examens et les concertations commencent suivant un calendrier qui peut être court ou long. Plus c’est court, moins c’est cher pour l’Etat ! Vous voyez bien qu’on n’est pas dans les mêmes conditions selon que les copies sont centralisées, qu’on délibère au bout d’un mois à un tour, ou comme chez nous au Burkina où les corrections commencent toute suite et où on délibère pour le premier tour au bout de neuf ou dix jours avant d’attaquer le second tour. La pression sur les correcteurs n’est pas la même selon les pays !

Le contenu des épreuves sera donc revu dans les années à venir ?

Oui, il y a une charte qui a été adoptée le 21 octobre à Ouaga. Mais avant, une conférence des ministres en charge de l’éducation s’est tenue en mars 2015 à Abidjan, au cours de laquelle ils se sont engagés vers une harmonisation des épreuves.
A partir de là, on a commencé à élaborer une charte qui est un document destiné à encadrer tout le processus et un des rôles des comités d’experts mis en place dans chaque pays est d’encadrer la formation pédagogique des enseignants et des élèves dans la perspective du Bac unique. Ce qui va changer, c’est que la mémorisation ne suffira plus pour décrocher le diplôme ; on va demander aux élèves de prouver ce qu’ils disent. Ce sera une évaluation des compétences des apprenants et non simplement un exercice pour tester la mémoire. Les élèves auront par exemple deux ou trois documents qui disent la même chose et on leur demandera d’en faire une synthèse. Le candidat doit pouvoir comprendre chaque document et dire la part de ce qu’il a compris, ce qui est différent de la mémorisation.

Qu’est-ce qui va changer dans la dénomination des séries ?

Depuis 2013, les équipes travaillent sur la question, mais rien n’est encore arrêté, les discussions continuent. Au Sénégal, on parle de série S, de Bac E, alors qu’au Burkina, nous avons gardé les anciennes appellations A, C et D. Or, l’objectif est d’aboutir au BAC scientifique ou littéraire dans l’espace Uemoa

Quid du format des épreuves ?

Si on prend le Français, on se rend compte qu’on demande la même chose partout dans l’espace Uemoa : dissertation, compréhension de texte et commentaire. Mais, il faut qu’on se mette d’accord sur le nombre de mots à contracter. Au Burkina, on est autour de 650 mots alors qu’ailleurs, c’est 400 mots. Vous voyez bien qu’on ne met pas les candidats dans les mêmes dispositions sachant qu’ils ont le même temps pour composer.

Il est aussi question des épreuves orales. De quoi s’agit-il exactement ?

Oui, chez nous, il y avait ce qu’on appelait « l’anticipé », c’est-à-dire une épreuve de français composée en classe de première. Nous l’avons abandonnée alors que la Côte d’Ivoire l’a conservée. C’est un texte qu’on donne à l’élève, qu’il prépare puis on lui pose des questions dessus et les notes comptaient pour le Bac. Nous avons aussi supprimé l’épreuve orale au brevet parce que des parents soudoyaient les professeurs. Mais franchement, à quoi sert une langue si on ne peut pas communiquer et si on ne la maitrise pas ? De ce point de vue, il nous faut débattre à nouveau du sujet dans notre pays.

Comment déterminer l’échelle des mentions ?

Sur ce point également, il faut qu’on s’accorde pour savoir quelle mention donner à celui qui a entre 10 et 11 ; puis de 11 à 12,13, 14, etc., de façon à avoir les mêmes
mentions : très bien, bien, médiocre, etc. Pour la mention médiocre par exemple, il y a matière à débat, car médiocre, c’est 10,00, mais certains mettent passable, alors que ça doit être au-dessus de 10 !
Quand les étudiants demandent des bourses, nos élèves sont pénalisés parce qu’ils ont de mauvaises moyennes, et la raison est simple : nos correcteurs sont sévères et ça, je le dis à haute voix. Et quand on envoie nos élèves à des compétitions internationales, ils se retrouvent avec des camarades qui ont 15, 16, 17 de moyenne, quand eux, ont tout au plus 14 ! Du coup, ils sont moins nombreux, mais quand les cours commencent, ils se placent toujours devant les autres, et ça, c’est un constat fait dans toutes les universités. Nos étudiants ne sont pas à la traine, mais les notes sont sévères au point que certains sont brimés.
Sur le nombre de tours aux examens, une étude a été faite par l’Office central des examens et concours du secondaire (O.C.E.CO.S) et on s’est rendu compte que les élèves qui vont au second tour au brevet avec une certaine moyenne, ils ont beau reprendre l’examen, ils ne réussissent pas puisqu’ils ne composent que les Maths et le Français. Dans un système bien pensé, on peut même supprimer le second et permettre aux élèves qui ont 7 de moyenne de passer en relevant simplement leurs moyennes.
Mais si on aujourd’hui, quelqu’un ose dire qu’il faut supprimer le second tour, il risque de se faire manger. Pour l’instant, il est difficile de trancher sur cette question

Comment gère-t-on les fraudes selon les pays et quelles sanctions inflige-t-on
aux fautifs ?

C’est aussi un point en débat car selon que c’est un élève, un examinateur ou un encadreur pédagogique, les sanctions varient d’un pays à l’autre. Au Burkina, l’élève fautif est rayé de l’examen, et en fonction de la nature de la fraude, il peut être suspendu cinq ans, voire aller en prison. Il y a beaucoup d’enseignants qui vont en prison après les examens et souvent, ce sont des gens qui sont dans le privé. Ils trompent les élèves en prenant de l’argent contre les épreuves et quand ces derniers échouent et qu’ils ont le courage de porter plainte, la prison est inévitable. Le problème, c’est qu’il est difficile de détecter les fraudes à l’avance parce que le faux commence plus loin, dans la confection de la carte nationale d’identité. On prend l’acte de naissance du vrai candidat pour faire la CNIB et si on ne connait pas physiquement le fautif, c’est difficile de le prendre.

Quel est le chronogramme adopté devant conduire au Bac unique Uemoa en 2020 ?

Nous sommes au stade de formation des enseignants et des élèves et sur ces points, le Burkina est en retard comparativement aux autres pays. Avec le Bac unique Uemoa, le type d’évaluation va changer et il faut se préparer à cela. Malheureusement, avec les crises que nous connaissons, on ne s’en sort pas, mais il faut quand même s’y préparer en travaillant sur ce qu’on appelle les situations complexes. On demande à l’élève de rassembler un certain nombre de connaissances pour prouver ce qu’il a compris et je n’ai pas de doute que les bons s’en tireront toujours. Tout dépend de la manière de dispenser l’enseignement, sachant que dicter un cours n’est pas ce qu’il y a de meilleur à faire.

Quelle est l’innovation majeure qu’entraine l’introduction de l’Approche par compétences (APC) ?

Le Bénin a été le premier pays ayant adopté l’approche par compétences, mais il s’est fourvoyé et patauge actuellement. Ce n’est pas de sa faute car la vision a changé et presque tous les pays vont vers l’APC d’autant que le Bac harmonisé nous y conduit. Le Sénégal est complètement engagé de même que la Côte d’Ivoire, pendant que le Burkina est à l’arrêt, mais obligé de s’y lancer en raison de l’intégration.
L’avantage de l’APC, c’est qu’après avoir enseigné trois ou quatre notions, on s’arrête pour faire le point et proposer aux élèves un travail qui va leur demander de réfléchir sur les points enseignés et comprendre que les notions ne sont pas isolées, mais se complètent. Si on fait de la grammaire, c’est que ça doit aider à améliorer la langue ; si on fait du vocabulaire, c’est pour améliorer la production. Donc, les différents éléments doivent s’intégrer pour donner un sens à l’apprentissage en tenant compte des changements intervenus dans notre quotidien. Par exemple, dans les vieux manuels de Maths, il est question de coq qu’on vent à 75 F. Or, aujourd’hui, même un œuf coûte 100 F ! L’enseignement ne doit pas se déconnecter du réel et cela va donner du plaisir à l’élève d’apprendre parce que ça lui parle et rend l’enseignement plus intéressant. Pour l’échéance de 2020, on doit bien préparer les élèves afin qu’ils ne soient pas des cobayes qu’on aura sacrifiés parce qu’en amont, on n’aura pas pensé les choses en profondeur.

Avec la crise que le système scolaire a connue, le calendrier a été réaménagé. Le Burkina ne peut plus respecter les dates communautaires…

C’est vrai, le Bac commence cette année le 2 juillet au lieu du 18 juin conformément au calendrier qui a été réaménagé. Pour cela, l’Etat burkinabè va demander l’autorisation spéciale à l’UEMOA car on ne peut plus faire comme on veut.
Mais je voudrais rassurer ceux qui s’inquièteraient : l’année sera bien validée car les cours étaient assurés, seulement les devoirs étaient suspendus. Avec l’accord signé dans la nuit du 27 au 28 janvier, tout est en train de rentrer dans l’ordre.

Interview réalisée par Joachim Vokouma et Kadiata Dicko
Kaceto.net