J’ai vu la fille du soldat
Cracher en secret sur le fusil

J’ai vu le vent bouder la cime des arbres
J’ai vu le sable refuser de donner la poussière
J’ai vu la chanson hésiter au seuil de l’oreille
J’ai vu la sueur s’énerver sur la peau des danseuses
J’ai vu la peur fouetter les clameurs

J’ai vu la vieille femme voûtée
Détourner le regard sur le cortège

J’ai vu la terreur briller sur les baïonnettes
J’ai vu les baudriers ensanglanter l’espérance
J’ai vu les banquets saluer les impossibles digestions
J’ai vu les inutiles discours
J’ai vu les applaudissements fébriles

J’ai vu la ride amère au creux de la bouche
Avaler hâtivement la course des larmes

J’ai vu se déployer le phrasé cynique
J’ai vu défiler les ravages des lois illégitimes
J’ai vu le triomphe des légalités douteuses
J’ai vu trébucher les courages habillés d’apathie
J’ai vu dans les yeux les indignations silencieuses

J’ai vu l’étalon reculer d’un sabot
Son cou rejetant la caresse indue

J’ai vu les rages renoncer à naître
J’ai vu la raison se tromper de cause
J’ai vu la liberté agoniser au petit matin
J’ai vu la dignité céder devant les appétits féroces
J’ai vu la joie rigide claquer des dents

J’ai vu l’orphelin vite aigri
Suspendre ses jeux sur le passage de la troupe

Et je n’ai pas osé soupirer
Et je n’ai rien tenté
Et je n’ai rien dit
Et je n’ai rien fait
Et j’ai crié, trépigné, applaudi
Et j’ai crié
Et j’ai acclamé
Et j’ai applaudi

Sayouba TRAORE
Journaliste ; Ecrivain
Kaceto.net