Le communiqué du compte rendu du conseil des ministres des mercredi est toujours un moment fort attendu, notamment en sa partie consacrée à l’annonce des nominations aux postes-clés de l’administration publique. Mais, question osée me dira-t-on, ces nominations sont-elles à l’image des réalités ethniques du pays ?

Une étude de Bernard Charles, la seule que je connaisse, datant de 1996 et portant sur la politique de nomination des cadres burkinabè couvrant la période allant de 1958 à 1987 (source indiquée en bas de page), avait mis en évidence une répartition des postes d’encadrement relativement proportionnelle au poids des différents groupes ethniques composant la population burkinabè (six groupes retenus dans cette étude : Mossé (pluriel de « moaga » : 50%), Mandé (21%), Voltaïque (12%), Gourounsi (6%), Peulh (6%) et Gourmantché (5%). L’étude avait également montré qu’au fil du temps, cet équilibre était resté de mise malgré les changements intervenus à la tête de l’Etat burkinabè durant la période considérée.
En analysant les nominations annoncées dans les comptes rendus des conseils des ministres du Burkina Faso couvrant ces dix dernières années, j’ai été à mon tour tenté de poser cette question toute simple : la « main invisible de l’équité » (Adam Smith n’a qu’à se tenir tranquille là où il est) dans les nominations des hauts fonctionnaires et diplomates nationaux opère-t-elle toujours dans le secret des décisions prises par nos autorités de la dernière décennie (2008-2017) ?
Pour apporter quelques éléments de réponse à cette question, j’ai analysé la répartition des nominations en fonction de la consonance des noms des personnes nommées : pour faire simple et court, je distingue les noms à « consonance moaga » (ouédraogo, sawadogo, kaboré, etc. Ils constituent le groupe majoritaire au Burkina Faso : un peu plus de 50% de la population burkinabè selon les statistiques) et les noms à « consonance autre » (Traoré, Ouattara, Diallo, etc.).
Mais soyons précis. L’étude des consonnances des noms, si elle permet d’approcher
le « réel perçu » en matière de nomination, elle comporte évidement des biais de perception. Par exemple, eu égard à certains mécanismes socio-historiques (mariages, migrations, etc.), derrière des « Traoré » ou des « Diallo » peuvent « se cacher » des « Ouédraogo » ou des « Sawadogo » d’origine et inversément.
Partant de ces principes méthodologiques, l’analyse a porté sur 132 noms (45 noms à « consonance moaga » et 87 noms à « consonnance autre ») couvrant les différentes ethnies composant le Burkina Faso (le pays compte une soixantaine d’ethnies qu’on peut regrouper en six principaux groupes ci-dessus cités). Au total ce sont 10075 occurrences de noms, sur une décennie (2008-2017) de comptes rendus de conseils des ministres, qui ont été pris en compte et répartis entre les deux grandes catégories sémantiques de noms ici retenues (il faut savoir que l’étude de Bernard Charles a porté sur 8500 nominations à des postes de responsabilités administratives sur une période beaucoup plus longue, de 1958 à 1987, presque trois décennies). Qu’en est-il des résultats ?
Le graphique ci-après présente la configuration des noms à « consonance moaga » versus ceux à « consonnance autre » dans les comptes rendus des conseils des ministres du Burkina Faso au cours de la décennie 2008-2017. Ce graphique appelle quelques observations et commentaires :

1. D’une manière générale, on observe que les nominations, telles quelles sont actées dans les comptes rendus des conseils des ministres, ont connu nettement des sommets en 2015 et en 2016, puis ont évolué à la baisse en 2017. Rappelons que 2014-2015 correspond à la période du gouvernement transitoire post-insurrectionnel du tandem Kafando (président)-Zida (premier ministre). 2016 correspond à la première année du tandem gouvernemental Kaboré (président)-Thiéba (premier ministre), tandem installé suite aux élections démocratiques post-transition de novembre 2015. Cette donne confirme une règle universelle : au Burkina Faso, comme dans tout Etat moderne, les changements politiques ont des répercussions au sein des appareils de l’Etat. Les années charnières occasionnent bien souvent du mouvement significatif dans les grandes administrations de l’Etat.
2. L’évolution des données relatives à l’évocation des noms à « consonnance moaga » versus ceux à « consonnance autre » sur la décennie 2008-2017 semble donner une image d’une représentation « ethnique » relativement stable et assez semblable à celle de la population burkinabè (Il n’est point besoin de démontrer que les deux courbes du graphique sont corrélées de façon quasi-parfaite et surtout positive. Par ailleurs, les écarts observés ne sont pas significatifs et sont restés globalement stables tout au long de la décennie 2008-2017). Tout se passe donc comme si la « main invisible de l’équité » dans les nominations des hauts cadres de l’administration publique opère toujours dans le secret des décisions prises par nos autorités. Il faut s’en réjouir, même s’il convient tout de suite de tempérer cet enthousiasme, du moins rester vigilant :
  Ainsi que l’avait noté Bernard Charles dans son article (voir source en bas de page) « au plan théorique, rien ne permet d’affirmer que la représentation devrait être identique à celle de la population car d’autres facteurs entrent en jeu dans la nomination des cadres de l’Etat, tels la formation, la compétence des individus, l’affiliation politique, etc. »
  L’étude ici présentée n’interroge pas dans le détail la représentation de chaque groupe ethnique de la catégorie « noms à consonnance autres » (Mandé, Voltaïque, Gourounsi, Peulh et Gourmantché) ;
  Par ailleurs, elle n’interroge ni la durée au poste, ni le type de postes attribués selon le profil ethnique des heureux appelés.
  Enfin, il ne faut pas oublier qu’une harmonie sociale affichée peut toujours contenir de sourdes tensions.
Mais, cerise sur le gâteau, trop bien servi surtout aux hommes (le hic !), il convient surtout de noter que le microcosme politico-administratif des heureux appelés à des hautes fonctions publiques et diplomatiques fait très peu de places aux … femmes, voyons ! Le graphique ci-après se passe de commentaires.

Source citée : Bernard Charles « Cadres et ethnies après l’Indépendance (1958 – 1987) : ruptures et continuités », in Y. G. Madiéga et O. Nao (dir.), Burkina Faso, cent ans d’histoire, 1895-1995, tome 1, Editions Karthala, 2003.
Le top 15 des « noms à consonance moaga » dans les comptes rendus des conseils des ministres du Burkina Faso sur la décennie 2008-2017 : Respectivement : 1) Ouédraogo, 2) Sawadogo, 3) kaboré, 4) Yaméogo, 5) Zongo, 6) Ilboudo, 7) Compaoré, 8) Zoungrana, 9) Nikièma, 10) Tapsoba, 11) Tiendrebéogo, 12) Nana, 13) Kafando, 14) Sankara et 15) Bounkoungou.
Le top 15 des « noms à consonnance autre » dans les comptes rendus des conseils des ministres du Burkina Faso sur la décennie 2008-2017 : 1) Traoré, 2) Ouattara), 3) Sanou, 4) Coulibaly, 6) Sanon, 7) Diallo, 8) Hien, 9) Barry, 10) Toé, 11) Zerbo, 12) Drabo, 13) Milogo, 14) Koné et 15) Somda.
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Ousmane SAWADOGO, Expert en Text Mining et Web Content Mining
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