Agressions physiques et verbales, violences de toutes sortes, non respect des règles de la circulation routière, incivisme dans les établissements scolaires, rackets sur les axes routiers par les forces de sécurité, discourtoisie dans les lieux publics, etc.
Le constat est implacable : la société burkinabè est à la dérive. Est-il encore possible d’espérer un retournement de la situation ? Si oui, comment ? Eléments de réponse avec notre chroniqueur, Boubacar Ouédraogo, inspecteur de l’Enseignement du Premier degré et chercheur en innovation pédagogique

Au Burkina Faso, l’actualité des faits est de plus en plus rythmée par des actes d’incivisme et par des conflits qui prennent souvent des formes incendiaires et dramatiques. Cette situation contribue à gangrener la vie nationale et la cohésion sociale, à entacher l’image du pays et à compromettre sérieusement les efforts de développement. Nonobstant les directives et les mesures prises aux niveaux national et international, les efforts consentis par les pouvoirs publics et les Organisations de la Société Civile (OSC), les phénomènes de l’incivisme et des conflits sociaux selon les milieux demeurent toujours préoccupants.

Cette persistance s’explique essentiellement par le fait que les solutions ne résistent pas au temps car elles sont ponctuelles et se prennent dans l’urgence sans toutes les garanties de sa pérennisation. Pourtant, aucune action de promotion du civisme et du vivre ensemble ne peut être porteuse de fruit et pérenne que si elle ne s’enracine dans un projet éducatif efficace et efficient.
Ainsi, l’approche « philosophie pour enfants et adolescents », en tant que méthode d’éveil à la pensée critique et une initiation à la réflexion des enfants et adolescents pratiquée avec succès dans les systèmes éducatifs américains et européens, nous semble pertinente. L’idée centrale de cette approche est de créer les conditions permettant aux enfants et aux adolescents de penser par eux-mêmes en vue de leur formation civique à travers le dialogue. C’est pourquoi en 1999, à la suite d’un colloque international organisé sur le sujet, l’UNESCO a produit un rapport recommandant l’introduction généralisée de la pratique de la philosophie pour enfants.
C’est dans cette optique que Lipman soutient que : « si l’on souhaite que les élèves deviennent plus responsables grâce à des jugements plus adéquats, si l’on veut qu’ils arrivent à penser par eux-mêmes, alors il faut que les valeurs préconisées par le système éducatif soient intériorisées . » Marie France DANIEL nous avertit d’ailleurs que : « la pensée, si elle n’est pas stimulée de façon systématique, ne s’affine ni ne se complexifie par le seul fait de la maturation. »
Nous pouvons donc affirmer que l’approche de la philosophie pour enfants apparaît comme un moyen de lutte contre la violence à l’école primaire, la violence civile, et reste un puissant outil de formation à partir des éléments de la culture des citoyens conscients et responsables du bien être de leur pays.

Pour la pratique au Burkina Faso, le conte a été choisi comme étant un substrat pédagogique. Le choix du conte comme paradigme éducatif se justifie par le fait qu’il permet aux enfants de construire la réflexion critique à partir de notre culture. Ainsi, à travers l’écoute et la narration du conte, les enfants sont exposés à des situations dans lesquelles les causes ont toujours des conséquences. Cette compréhension profonde de la structure cause/conséquence favorise le développement du sens de la responsabilité. Il leur permet également de réfléchir avant d’agir. Quand un enfant apprend à s’interroger, à faire des expériences, à tirer des leçons de ses erreurs et qu’on le laisse jouer librement, il a plus de chance de soutenir ses performances scolaires ultérieures mieux que le fait de l’immerger dans un bain de leçons à l’école.
Au regard de l’incivisme de pus en plus grandissant dans notre pays et du dénouement souvent violent de certaines manifestions sociopolitiques, la mise en œuvre de la pratique de la philosophie pour enfants est urgentissime.
L’intérêt pour la philosophie pour enfants a été affirmé lors de la réunion d’experts organisée par la Division Philosophie et Éthique de l’UNESCO, les 26 et 27 mars 1998 :
« Au-delà de toute participation d’ordre médiatique à une nouvelle vogue, l’intérêt de la philosophie pour les enfants rentre dans les préoccupations fondamentales de l’UNESCO. En vue de la promotion d’une Culture de la Paix, de la lutte contre la violence, d’une éducation visant l’éradication de la pauvreté et le développement durable, le fait que les enfants acquièrent très jeunes l’esprit critique, l’autonomie à la réflexion et le jugement par eux-mêmes, les assure contre la manipulation de tous ordres et les prépare à prendre en main leur propre destin. »

Les experts réunis par l’UNESCO affirment vouloir contribuer à promouvoir un programme d’enseignement de la philosophie pour les enfants. Les participants à la réunion ont adopté les recommandations suivantes : « Nous reconnaissons et attestons l’importance de la philosophie pour la démocratie. La manière dont la philosophie devrait être intégrée dans l’enseignement dépend des différentes cultures, des différents systèmes éducatifs et des choix pédagogiques personnels . »
Disons pour terminer que le Burkina Faso a besoin d’une formation capable d’ amener ses fils à briser les chaines de la victimisation et être de citoyens responsables du devenir harmonieux de leur pays.

Boubacar Ouédraogo
Inspecteur de l’Enseignement du Premier Degré
En service Direction Générale de la Recherche en Education et de l’Innovation Pédagogique (DGREIP) Ouagadougou.