La semaine dernière, on a appris qu’une force de sécurité islamique avait été créée à Pouytenga, une information qui suscite moult commentaires sur les radios et les réseaux sociaux. Dans la tribune ci-contre, Sayouba Traoré met en garde contre ce qui pourrait mettre à mal le vivre ensemble

L’actualité nationale au Burkina Faso parle de sécurité islamique. Ce matin, je souhaiterais dire un mot à ce sujet. Car tout croyant cherche ce qui est juste et cherche à défendre ce qui est juste. Nous cherchons d’abord parce que nous sommes simplement des hommes et que nous ne sommes pas sûrs de nos choix. Ce qui peut nous sembler juste au premier regard peut cacher autre chose. C’est même parce que nous sommes conscients de ces limites de l’esprit humain que nous recherchons des conseillers et des guides.
On voit bien que le sujet est délicat. Tout simplement parce que la question touche à nos croyances. Si délicate que la plume hésite à aborder le sujet. Les plus avisés diront qu’écrire sur de pareilles questions, c’est se chercher soi-même des problèmes. Or nous croyons que, dans la société des enfants de Dieu, cela ne devrait pas fonctionner ainsi. Un frère ne devrait pas craindre de parler à un frère.
Si la question est donc délicate, il nous faut beaucoup réfléchir. Réfléchir et se comporter comme des fils de Dieu. Car le Créateur nous a dotés d’un cerveau. Pour obéir donc à la volonté du Créateur, utilisons les capacités de ce cerveau qu’il nous a donnsé pour penser le monde. Pour être juste, disons d’abord que la vie comporte des barrières. De bonnes barrières et des mauvaises barrières. Une des bonnes barrières dit que chacun des hommes doit s’occuper de son domaine de compétence. Parce que si tout le monde devient spécialiste en tout, c’est la paralysie qui nous attend au bout du chemin. Pour dire qu’il revient au guide spirituel de s’occuper des choses de la religion. C’est bien pourquoi il y a des lieux dédiés pour cela : mosquée, église, temple, etc... Et il revient à l’Etat, c’est-à-dire au gouvernement et ses démembrements, de s’occuper des choses de la vie publique. Et parmi les choses de la vie publique, il y a la sécurité des hommes et des institutions. Là également, il y a des endroits dédiés : caserne militaire, brigade de gendarmerie, commissariat de police, etc.
Imaginons un peu une ville du Burkina Faso dans laquelle les frères et sœurs catholiques auraient leur sécurité catholique. Les frères et sœurs protestants leur sécurité protestante. Les frères et sœurs musulmans leur sécurité islamique. Les frères et sœurs animistes leur sécurité animiste. Les frères et sœurs non-croyants leur sécurité athée. Les frères et sœurs libres penseurs leur sécurité libre pensée.
Je vous le demande en âme et conscience et je demande à chacun de nous de poser la question en âme et conscience. En cas de conflit, même un léger conflit, suivant quelle loi régler le problème ? Autre questionnement. Si chacun doit régler ses problèmes suivant une législation spécifique, qu’est-ce qui fait alors que nous vivons ensemble ?

Je ne vous demande pas de me suivre moi simple humain pétri de défauts multiples, mais de penser l’affaire dans le secret de votre coeur. Soyez honnête avec vous mêmes et reconnaissez que même dans le cadre d’une famille, une telle organisation ne peut pas fonctionner. Portez cela au niveau de la nation et vous apercevrez le grave danger qui nous guette.
On me dira que, comme tout regroupement d’hommes, une mosquée a besoin de service d’ordre. Et je conviendrais humblement que c’est juste. Toutefois, cela devrait rester à l’intérieur de ce regroupement de croyants. Mosquée, Eglise, Temple ou autre, ce service d’ordre religieux doit s’occuper de ce qui se passe dans le lieu de prière et n’a nullement vocation à déborder dans une société dans laquelle tout le monde ne partage pas cette croyance. Je suis né et j’ai grandi dans un univers musulman. Mes grands parents allaient à La Mecque à pied. Mon père bâtissait des mosquées. C’est dans cette foi que j’ai été élevé. Par conséquent, je ne souhaiterais pas qu’une sécurité catholique vienne me dire ce que je dois faire de ma vie. A mon tour, si mon cœur cherche réellement la vérité, je devrais comprendre et accepter qu’un catholique ne veuille pas être régenté par une sécurité islamique.
Il se trouve que musulmans, catholiques, protestants, animistes, libres penseurs, athées, tous ensemble nous devons vivre dans la même société, dans les mêmes villes, dans le même pays. Vivre ensemble, et en bonne entente. C’est-à-dire vivre comme frères et soeurs dans ce pays que nos ancêtres nous ont légué. Jusque là, nous avons su le faire sans heurts majeurs. Parce que nous savions que c’est à l’Etat de s’occuper de la sécurité des hommes et des institutions.
Et ce matin, je vous supplie humblement. Ne commençons pas une chose dont nous ne pouvons pas mesurer aujourd’hui les graves dangers que cela va entraîner sur nos têtes ! Un homme normal ne va pas chercher lui-même ses propres problèmes. Et là, notre responsabilité est plus grande. Car nous allons chercher des problèmes pour nous-mêmes et des problèmes pour tous nos frères et soeurs. Plus grave, nous savons bien que ce sont des problèmes que nos descendants devront gérer après notre mort.
Pour terminer, cette question : qu’est-ce qu’il y a qui serait difficile à comprendre dans tout ce que je viens de dire ? A moins que toute cette agitation cache autre chose...

Sayouba Traoré
Ecrivain - Journaliste
Kaceto.net