Au regard de l’actualité nationale du Faso qui sera, pendant une semaine, focalisée sur la Semaine Nationale de la Culture à Sya, la capitale de Guimbi Ouattara – aujourd’hui Bobo-Dioulasso-, nous nous permettons de reporter la publication du prologue de notre réflexion sur le devenir historique. En lieu et place, nous vous proposons en deux articles, ce lundi et le suivant, une modeste contribution au débat sur les cultures en générale et en particulier sur celles du continent africain, mises en péril par les faits de la mondialisation-globalisation.

Tout le monde aime à le dire, la culture est le socle de toute société ; elle est l’âme de tout peuple qui prétend à l’affirmation de soi dans le présent et à la pérennité dans le devenir. Mais alors, de quoi parle-t-on exactement ? Et où se situe encore la culture de ces peuples, médiatiquement encerclés, économiquement dominés et confinés dans les marges d’un monde devenu un réel village planétaire ? Est-il encore possible à ces peuples de cultiver leur identité nationale dans cet espace-monde où, des recoins les plus isolés de la terre, les consciences vivent au rythme des productions des grands pôles médiatiques d’Amérique et d’ailleurs ? L’Afrique culturelle est-elle encore possible, en ces temps où l’Africain lui-même s’auto-définit en rapport avec l’Européen, l’Américain, l’Arabo-musulman ? Cette Afrique des pères a-t-elle-même encore un sens, dès lors que l’humanité aspire, de plus en plus, à l’homogénéité culturelle, à l’universalité des valeurs scientifiques et technologiques, éthiques et esthétiques, économiques et politiques ?

Que recouvre, avant tout, ce terme de culture ?

Au sens le plus général, on doit dire que la culture est tout ce que l’homme a pu ajouter à la nature, par ses actions intelligentes de transformation du réel, d’invention et de création. Elle contient donc un vaste ensemble cumulé par les peuples à travers les millénaires. Expression dynamique et diverse de notre humanité, la culture est ce qui fait que l’homme est l’homme et non un simple cousin biologique du singe. De ce sens générique du mot, on peut tirer un second sens qui l’appréhende en apport avec son mode de survie dans le temps. Il faut préciser alors que la culture, tout étant la conséquence du génie humain, n’est pas héréditaire. Comme a pu le constater le biologiste français, Jean Rostand, « de tout ce que l’homme a inventé tout au long des millénaires, rien ne sait déposer dans ces gènes ; chaque génération doit tout réapprendre ». Prise sous cet angle, la culture est un leg, un patrimoine que chaque génération d’hommes reçoit par l’éducation, pour en faire le fondement et l’outil de son existence, avant de la transmettre à d’autres, après y avoir inscrit ses propres apports, en termes d’innovations dans la continuité ou de changements totalement révolutionnaires. On voit bien que notre approche n’oppose pas la culture à l’économie, à l’industrie, à l’agriculture ou à toute autre chose, en marge de laquelle, il y aurait une sorte de superstructure culturelle superflue. La culture c’est tout, c’est un tout, en dehors duquel il n’y a que la nature sauvage et brute. L’homme est un être de culture ou il n’est pas.

Dès lors, toutes les œuvres humaines, qu’elles soient de nature matérielle ou de dimension spirituelle, sont à inscrire au magnifique patrimoine de notre aventure dans l’univers. Ce patrimoine culturel comprend des éléments essentiels observables sous tous les cieux et à toutes les époques. Toute entité culturelle laisse voir d’abord une conception du cosmos, des savoirs, des croyances, pour éclairer et guider la conscience qui s’ouvre au monde et qui s’interroge sur les choses, la provenance et le sens des choses. Ce rôle primordial de la culture est généralement assuré par différentes formes de récit, parmi lesquels on peut ici citer : les mythes, les eschatologies, les contes et légendes, les proverbes, les maximes, les épopées, les discours rationnelles, etc… L’existence d’un peuple, c’est ainsi et avant tout, ses pensées, sa philosophie et son mental exprimé par les contours d’une langue, d’un code plus ou moins exotérique.

De cette base spirituelle, il se déduit toujours un savoir-être, un comportement, des normes pour la vie concrète. Tout peuple pense et vit ses pensées ; tout peuple a des idées, en fonction desquelles il organise sa vie, ses façons de faire, face à la naissance, au mariage, à la sexualité et à la reproduction, à la mort et aux morts. Là est la particularité de l’humain sur l’animalité pure. En effet, chez l’homme, tout comportement redonnant est acquis et repose sur une vision du monde. Nos façons de rire, de pleurer, d’aimer, de haïr, de danser, de manger ou de nous désaltérer, de nous vêtir, de dormir, de prier, de diriger, de travailler ou de nous recréer, tout cela renvoie à un socle idéologique plus ou moins cohérent. Le savoir, les croyances et le savoir-vivre sont donc indispensables pour l’identification d’un peuple parmi les autres ; ils constituent son être et son âme. Cependant, ils ne peuvent assurer sa survie matérielle dans la pérennité. C’est pour cette raison que toute culture comporte nécessairement un troisième volet aussi essentiel que les deux autres.
Ce troisième pied de la culture est constitué par l’ensemble des savoir-faire techniques et artistiques d’un peuple. Il s’agit du génie d’un peuple, manifesté sous forme de stratégies inventées, de créativité esthétique mise en œuvre et de solutions technologiques trouvées pour résoudre les problèmes posés par le milieu de vie. Les savoir-faire d’un peuple sont suscités par ses besoins, mais aussi et surtout par sa vision du monde.

En bilan transitoire, on pourrait dire, à propos de tout peuple : « Telle pensée, telle croyance, telle manière de vivre, telle façon de faire et d’agir sur le monde ». La culture n’est donc pas un assemblage d’éléments hétéroclites. Elle constitue une unité homogène, dynamique et vivante. Ainsi, l’esthétique et les savoir-faire d’un peuple reflètent nécessairement son éthique, ses valeurs religieuses et philosophiques, ses aspirations politiques. On comprend alors toute la difficulté à revendiquer une identité culturelle africaine dans ce contexte contemporain où des savoirs, des croyances et des savoir-faire exogènes sont venus se superposer à l’être du négro-africain. Comment peut-on en effet avoir une tête européenne, américaine ou un cœur d’Arabie et aspirer en même temps à un savoir-vivre africain ? Est-il vraiment encore possible que l’Afrique noire revendique une identité, en dehors des représentations folkloriques, des scènes de théâtre et des musées du passé révolu ? En excluant, d’office, la perspective d’un retour catastrophique à des valeurs définitivement scellées par le temps et l’évolution du monde, le deuxième volet de notre publication tentera de prospecter l’horizon d’une significative présence culturelle africaine sur l’impitoyable scène du village planétaire.

Zassi Goro ; Professeur de Lettres et de philosophie
Kaceto.net