C’est un retrait de plus dans la longue liste des désengagements américains. Washington a annoncé, mardi 19 juin, qu’il claquait la porte du Conseil des droits de l’homme (CDH), un organe onusien basé à Genève, alors que son mandat y courait en principe jusqu’en 2019.

Ce départ fait suite à la sortie d’un accord de libre-échange transpacifique, à celle de l’accord de Paris sur le climat, ainsi qu’à celle de l’accord sur le nucléaire iranien. Il vient par ailleurs s’ajouter au retrait de l’Unesco, effectif depuis décembre 2017, et ne fait que confirmer la politique unilatéraliste et volontiers isolationniste d’une administration Trump défiante à l’égard des organisations internationales.

L’annonce a été faite par l’ambassadrice américaine aux Nations unies (ONU), Nikki Haley, au côté du secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, au département d’Etat. Les deux ministres n’ont pas eu de mots assez durs contre cette institution qualifiée d’« hypocrite », d’« égoïste » et accusée d’être « une source d’embarras » pour les Etats-Unis, alors que ces derniers sont actuellement critiqués pour leur politique migratoire.

« Un cloaque de partis pris politiques »

Ce retrait de Washington ne prend pourtant personne par surprise. Depuis son arrivée à la tête de la mission américaine à l’ONU, en janvier 2017, Nikki Haley n’avait eu de cesse d’agiter la menace d’un départ. Faute d’obtenir une réforme en profondeur du CDH – elle souhaitait pouvoir exclure les membres ayant commis de graves violations des droits humains –, l’ambassadrice est donc passée à l’acte.

« Pendant trop longtemps, le CDH a protégé les auteurs de violations des droits de l’homme et il a été un cloaque de partis pris politiques », a-t-elle fustigé en s’en prenant particulièrement à la République démocratique du Congo (RDC), qui y siège, tout comme au Venezuela, à la Chine, à l’Egypte ou à l’Iran.

Mais si elle a assuré que ce retrait « ne signifiait en rien un désengagement des Américains en faveur des droits de l’homme », dont elle s’est fait le héraut, elle s’est bien gardée de mentionner l’Arabie saoudite ou les Emirats arabes unis, qui conduisent une offensive militaire depuis trois ans au Yémen plongeant le pays dans une crise humanitaire dramatique.

Le CDH est certes « imparfait », s’est émue l’ancienne diplomate américaine Suzanne Nossel. « Aucun instrument multilatéral ne peut être pur ou presque parfait (…). Ses défauts sont les défauts des Etats membres qui sacrifient parfois les droits humains au profit d’objectifs politiques ou économiques », a-t-elle assuré, déplorant la décision de Washington.

Un biais supposé contre Israël

Les organisations de défense des droits humains ont régulièrement dénoncé une instance contestable dès lors qu’elle accueillait des Etats qualifiés d’autoritaires en son sein, tout en lui reconnaissant le bénéfice de l’ouverture d’enquêtes sur des violations des droits en Syrie, au Yémen, au Burundi, en Birmanie et au Soudan du Sud, ainsi que sa capacité à aborder des sujets-clés comme la migration, le contre-terrorisme et la protection des femmes, des personnes LGBT, des personnes handicapées.

Suzanne Nossel avait été chargée, sous l’administration démocrate de Barack Obama, en 2009, de défendre la candidature des Etats-Unis à un siège au sein de l’institution créée en 2006 pour promouvoir les droits humains dans le monde. Auparavant, l’administration républicaine de George W. Bush et l’actuel conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, John Bolton, qui était alors ambassadeur à l’ONU mais déjà un fervent opposant au multilatéralisme, avaient refusé d’y siéger.

Pour les diplomates, Washington fait surtout payer au CDH son biais supposé contre Israël, évoqué à chacune des réunions de l’organe onusien. « Cinq résolutions ont été votées contre [l’Etat hébreu]. C’est plus que toutes les résolutions confondues contre la Corée du Nord, l’Iran et la Syrie », a fait valoir Nikki Haley.

Le 18 mai, le CDH s’était ainsi prononcé en faveur d’une enquête sur les violences commises par Israël contre des manifestants palestiniens à Gaza. Cette décision avait suscité l’ire de la représentante américaine qui avait immédiatement dénoncé « un nouveau jour de honte pour les droits de l’homme ». En 2012, une enquête précédente portant sur la colonisation israélienne des territoires palestiniens conquis militairement en 1967 avait provoqué la colère de l’Etat hébreu et son boycottage de l’examen périodique de la situation des droits humains en Israël.

Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a sans surprise salué dans la nuit une « décision courageuse contre l’hypocrisie et les mensonges de ce soi-disant Conseil des droits de l’homme de l’ONU ». Depuis des années, poursuit le communiqué, cette instance aurait démontré qu’elle était « biaisée, hostile, anti-israélienne ».

Désengagement

Cette réaction renforce l’impression d’alignement de Washington sur les positions du gouvernement israélien, après le transfert controversé en mai de l’ambassade des Etats-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem, reconnaissant cette dernière comme capitale de l’Etat hébreu.

Ce transfert a entraîné la rupture des relations entre Washington et la partie palestinienne, alors que le gendre et conseiller de Donald Trump, Jared Kushner, doit pourtant présenter prochainement un projet de plan de paix. Les critiques palestiniennes ont entraîné en janvier une baisse drastique des fonds alloués par les Etats-Unis à l’agence de l’ONU chargée des réfugiés palestiniens.

Ce désengagement « n’est pas un bon signal alors que les droits de l’homme sont massivement mis à l’épreuve », a estimé François Delattre, le représentant français à l’ONU, qui rappelle que « ce sont deux grandes personnalités française et américaine, René Cassin et Eleanor Roosevelt, qui ont écrit ensemble la Déclaration des droits de l’homme dont nous célébrons cette année le soixante-dixième anniversaire ».

Lemonde.fr