Hier 25 juin, la Coordination syndicale des agenst du ministère de l’Economie et des finances (CS-MEF) a suspendu son mot d’ordre de grève au cours d’une AG tenue à la bourse du travail. Il a fallu toutefois convaincre la base de la pertinence de cette décision, acceptée du bout des lèvres par certains

Comme tous les jours depuis qu’u’ils sont en grève, les militants de la Coordination syndicale des agents du ministère de l’Economie et ds fiances se sont installés sous des bâches montées dans la cour pour certains, et dans les couloirs de la bourse du travail pour d’autres. Ils commentent l’actualité en général et celle de leur mouvement en particulier.
Vers midi, les délégués de la coordination disparaissent pour une concertation quelque part dans la ville. "Ils seront de retour avant 14 heures, heure à laquelle est prévue une assemblée générale, mais je ne peux pas vous dire où ils sont partis", explique, sourire au coin de la lèvre, une militante. En attendant, la sono diffuse de la musique.
Aux environs 14 heures, les membres de la Coordination commencent à arriver, dont Mathias Kadiogo, le président du mois, le premier. A l’aide du haut-parleur, un des animateurs annonce le début de l’AG ; les journalistes sont priés de se retirer. "C’est entre nous ; après, vous pourrez les interviewer". On sort donc de la cour pour se mettre sous un arbre du côté des Pompiers. L’usage du mégaphone par les orateurs enlève à l’AG son caractère "privé". Tout est audible.
Comme dans un meeting de campagne électorale, les chauffeurs de salle entrent en scène. Les slogans fusent. "Vous êtes-là ? Ouii !" Est-ce que vous avez peur ? Nonn ! Les travailleurs peureux, à bas ! les hiboux, à bas ! Les caïmans édentés, à bas ! etc.
Puis, les choses sérieuses commencent : le premier à prendre la parole propose l’ordre du jour de l’AG : point de la lutte et les perspectives. "Quelqu’un a t-il une objection à faire ?", demande t-il. Silence. L’ordre du jour est adopté.
S’en suit un rappel historique de la lutte, les rencontres et autres pourparlers déjà eus avec le gouvernement. Il rappelle le contenu de la plateforme : rupture du contrat avec COTECNA, relogement des agents dans leur bâtiment entre-temps cédé au ministère de l’Education nationale ; instauration du check-off pour les cotisation syndicales, dotation des agents en carburant, abandon des réformes non consensuelles entreprises par le ministère, statut sécurisant des agents, etc.
Sur tous ces points, l’orateur rappelle qu’il n’y a pas d’accord signé, contrairement à ce que dit le ministre de la Communication, Remis Dandjinou, mais seulement des avancées enregistrées. Il met en cause la bonne foi du gouvernement qui ne veut pas discuter sincèrement, les dernières rencontres remontant d’ailleurs au 18 mai.
Il passe la parole au président du mois, le PDM, pour les initiés, en l’occurrence, Mathias Kadiogo. Ce dernier prend le temps de raconter les dernières rencontres informelles que les membres de la coordination ont eues durant le week-end, les contenus des deux interviews du président, évoque les perspectives de la lutte et propose, au nom de la coordination, la suspension du mot d’ordre de grève.
Murmures de désapprobation dans l’assistance. Manifestement, l’idée déplaît à beaucoup de militants. Mais c’est à l’AG d’en décider. Une liste est ouverte pour ceux qui souhaitent s’exprimer. Douze personnes sont inscrites. Les discours s’enchaînent ensuite et à l’exception d’un orateur, tous, vont dans le même sens : il faut suspendre la grève. A croire que la réunion de concertation évoquée plus haut a servi à préparer les arguments. Faut-il suspendre le mot d’ordre de grève jusqu’à vendredi comme l’a proposé le PDM, ou pas ? Un orateur propose de ne pas fixer de délai, histoire de ne pas se mettre la pression pour rien. "Il faut laisser comme ça ; là, le gouvernement sait que la grève peut repartir à tout moment". C’est cette proposition qui est validée. Mais on s’attend à un vote soit par acclamation, soit à main levée. Rien. La question est ainsi réglée. La cour de la bourse du travail se vide.
Que s’est-il passé durant le week-end pour que la CS-MEF prenne les militants à contre-courant ?

Depuis mi-mai, on le sait, le dialogue est rompu entre le gouvernement et les syndicats membres de la coordination, lesquels ont boycotté la conférence sur la rémunération des agents de l’Etat. Le médiateur du Faso, qui a joué les bons offices n’a pas réussi à rapprocher les positions. Entre-temps, le gouvernement a autorisé la ministre de l’Economie à recruter des volontaires et des retraités pour assurer la continuité du service public. Mais la mesure tarde à se mettre en place. Face au blocage et à l’aggravation continue de la situation économique, des intermédiaires entrent en jeu. Comme lors de la grève des enseignants fin 2017, le recours aux autorités religieuses et coutumières est proposé aux protagonistes. Idée acceptée par les deux parties.
Samedi matin, le président Kaboré est sur Savane FM pour une interview en langue mooré. Sur la la grève, il dit que les agents du MEF doivent lever leur mot d’ordre de grève et revenir à la table des négociations. Les syndicalistes l’écoutent, puis se rendent peu après chez le Mogho Naaba, le chef des Mossés, où étaient arrivés quelque temps avant, le cardinal, le président de la communauté musulmane et le président de la communauté protestante. Les syndicalistes sont invités à exposer leurs préoccupations. Ils s’exécutent pendant un bon moment, rappelant dans les détails le point des discussions avec le gouvernement et la rupture depuis de le 18 mai.
Les sages écoutent, puis à la fin, les remercient. Ils décident d’entendre le gouvernement. Ce sera dimanche matin. C’est le premier ministre en personne, Paul Kaba Thiéba qui vient pour le grand oral devant ceux qui incarnent la tempérance dans notre pays. Après son départ, les sages rappellent les syndicalistes et les invitent à revenir à nouveau chez le Mogho Naaba. Qu’a dit le premier ministre pour que les sages décident de rappeler les syndicalistes ? Les mûrs de la cour du chef des Mossés étant très étanches, rien n’a fuité. Mais, il est fort probable que le premier ministre ait tenu un discours d’ouverture et ait montré sa disposition à discuter des points qui posent problème. Le président est bien entendu tenu au courant des consultations.
Lors de son interview sur les trois chaines de télévision, il est à nouveau interrogé sur la grève. Il reprend les arguments développés samedi matin, mais s’abstient cette fois-ci d’y voir des arrières-pensées politiques. Au contraire, il n’enjoint plus, mais demande, à trois reprises aux syndicats de lever leur mot d’ordre de grève.
Les syndicalistes ont le sentiment d’avoir gagné symboliquement le bras de fer. Hier, la tonalité conciliante du président a été rappelée par les orateurs pour convaincre de suspendre la grève.

Devant les journalistes, le président du mois, Mathias Kadiogo a longuement justifié la suspension de la grève. "C’est un signe de respect aux autorités religieuses et coutumières qui nous ont saisis au cours du week-end pour nous demander d’entendre le cri de coeur des utilisateurs des services financiers et du gouvernement par rapport aux souffrances que la population vit à travers notre action de grève", dit-il. En cas de non satisfaction de la plateforme revendicative, "on réunira les travailleurs et on avisera. Mais nous ne signerons un accord avec le gouvernement que si des réponses sont apportées à l’essentiel de nos préoccupations", prévient-il.
Les avancées sur certains points ne signifient pas qu’il faut baisser la garde d’autant que les points de désaccord constituent la vraie pomme de discorde entre les deux parties. Mathias Kadiogo le dit d’ailleurs sans ambiguïté : "Si vous perdez cinq pintades et deux chevaux et qu’on vous aide à retrouver les cinq pintades, est-ce pour autant que vous êtes satisfaits", interroge t-il, avant de préciser que "les deux chevaux, c’est le statut sécurisant et les réformes non consensuelles". Sur la recommandation de la conférence sur les rémunérations de limiter à 25% le montant des revenus annuels, il botte en touche : "pour le moment, cette préoccupation ne fait pas partie de notre plateforme et lorsque le moment d’en discuter viendra, on avisera". Devant les journalistes, il a annoncé que le syndicat pourrait ester en justice contre le relèvement de certains responsables de leur poste, dont le nombre reste pour l’instant inconnu.
Désormais, une nouvelle occasion de dialogue s’offre aux deux parties. A chacune de quitter les postures maximalistes pour aboutir à la signature de la paix des braves.
Dans l’intérêt de tous.

Joachim Vokouma
Kaceto.net