Passage à tabac, menaces téléphoniques, harcèlement des familles restées au pays : à Paris, des opposants déclarés au régime de Brazzaville vivent dans la crainte permanente de représailles, aiguisée par la révélation d’un projet d’assassinat contre l’un des leurs.

L’affaire, encore obscure, rappelle des pages sombres des relations entre la France et l’Afrique : deux anciens agents de la DGSE, les renseignements extérieurs français, sont soupçonnés d’avoir projeté d’assassiner le général Ferdinand Mbaou, un farouche opposant au président congolais Denis Sassou Nguesso, réfugié en France depuis près de 20 ans.
Ils ont été inculpés le 12 septembre à Lyon pour "association de malfaiteurs" et "détention d’explosifs". Un troisième homme a été placé sous le statut de témoin assisté. "En colère mais pas surpris", c’est "par la presse" que l’ancien chef de la garde présidentielle du président Pascal Lissouba (1992-1997) a appris la nouvelle. Une enquête a été ouverte, un juge d’instruction nommé mais "personne ne m’a dit quoi que ce soit, ni la justice, ni les autorités françaises", s’émeut le général Mbaou, qui dit n’avoir jamais reçu aucune protection policière malgré ses demandes et de récentes menaces. Interrogé, le ministère français de l’Intérieur n’a pas donné suite.
"Dans le collimateur de Brazzaville" en raison de ses réseaux dans l’armée, selon un opposant, l’officier avait réchappé par "miracle" à une tentative d’assassinat en novembre 2015 à la sortie de son domicile de Bessancourt, au nord de la capitale française. "J’ai reçu une balle dans le dos. Les médecins n’ont pas pu l’extraire parce qu’elle est à un endroit délicat, près du cœur. Elle est toujours là", confie à l’AFP cet homme de 62 ans aux tempes grisonnantes.
"Tous les opposants qui accusent le Congo pour des faits qui ont lieu en France le font à tort", a réagi de son côté une source gouvernementale à Brazzaville. "M. Mbaou a vécu librement au Congo entre 2009 et 2012, pour quelle raison on prendrait le risque d’attenter à sa vie en France ?", a-t-elle ajouté, omettant de préciser que l’officier avait été incarcéré à deux reprises à Brazzaville, entre juillet 2009 et janvier 2010, ainsi que début 2012. Il est ensuite rentré en France.
Dans le petit cercle des opposants congolais réfugiés en France, ancienne puissance coloniale, cette affaire a accru l’angoisse de ceux qui militent sans relâche contre le régime "dictatorial" de Brazzaville.
"Les menaces, je les vis au quotidien", rapporte Roland-Lévy Nitou, en France depuis 1993. "Ils m’ont dit au téléphone : +un jour on t’aura+. Au Congo, mes parents ont été menacés à plusieurs reprises, ils ont dû déménager et vivent terrés dans leur propre pays".

Ce Congolais de 42 ans, qui travaille dans la logistique, dirige l’Amicale des Indignés du 242 (l’indicatif téléphonique de la République du Congo).
Depuis trois ans, avec une douzaine d’autres militants, il filme et expose sur internet les luxueuses propriétés détenues en France par M. Sassou Nguesso, ses proches ou ses ministres, "qui pillent le Congo Brazzaville", accuse-t-il. Une centaine d’appartements et de villas découverts à ce jour - dont certains visés par la tentaculaire procédure judiciaire dite "des biens mal acquis" en France.

Le 23 septembre, la vidéo d’une spectaculaire villa sur les hauteurs de Nice a été visionnée plus de 7.000 fois sur Youtube.
Cette publicité exaspère les autorités congolaises, selon M. Nitou, dans un pays riche en pétrole mais où près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté.
Main courante et certificat médical à l’appui, il raconte avoir été roué de coups en plein Paris le 29 mai par un partisan du régime, alors qu’il se rendait à une manifestation contre la visite en France de M. Sassou Nguesso. La vidéo de l’agression, tournée selon lui par des membres de la garde présidentielle, peut encore être vue sur les réseaux sociaux.
L’agresseur a été immédiatement interpellé, mais "ma plainte n’avance pas, ça montre qu’il y a un problème", juge ce militant qui "ne se déplace plus jamais seul" et affirme que "la France protège Sassou Nguesso".
Le feu vert du président François Hollande à l’organisation fin 2015 d’un référendum controversé permettant au président congolais de briguer un nouveau mandat a été "un coup de couteau dans le dos", tacle un autre membre des "Indignés", Judicaël Bikoula.
L’opposant congolais Paulin Makaya, emprisonné à Brazzaville depuis fin 2015, sur une photo postée le 20 août 2014. (Facebook/Paulin Makaya)
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L’opposant Paulin Makaya toujours en prison au Congo
Au pouvoir depuis 1979 - à l’exception d’une parenthèse de cinq années qu’il a refermée par un coup d’Etat - Denis Sassou Nguesso, 74 ans, a été réélu dans la foulée en 2016 lors d’un scrutin dénoncé par l’opposition.
"Après l’élection, il y a eu une chape de plomb : toute contestation a été complètement annihilée", souligne Antoine Glaser, spécialiste de l’Afrique
Principal adversaire de M. Sassou Nguesso, le général Jean-Marie Michel Mokoko, est incarcéré depuis mi-2016. Il a été condamné en mai à 20 ans de prison. Et des dizaines d’autres opposants - tel André Okombi Salissa, autre candidat à la présidentielle - croupissent en prison, selon un récent rapport d’Amnesty international. L’un d’eux, Paulin Makaya, a été libéré mi-septembre après trois ans d’emprisonnement, mais reste empêché de quitter le pays.

"On ne peut pas concevoir que la France puisse soutenir des personnes telles que M. Sassou Nguesso qui veut éliminer ses opposants", épingle Raphaël Goma, un Franco-Congolais de 59 ans, qui préside le Conseil de la diaspora congolaise pour la restauration de la démocratie (Codicord).

Interrogé, le ministère des Affaires étrangères n’a pas commenté.

"A vouloir protéger un dictateur, la France court le danger de voir son image ternie", avertit Roland-Lévy Nitou, en dénonçant la mort en juillet de 13 jeunes "torturés et exécutés" dans un commissariat de Brazzaville.
Mardi soir, le général Mbaou a appris par son avocat que sa plainte pour tentative d’assassinat en novembre 2015 avait été classée sans suite... en mars dernier.

VOA Avec AFP