Du 9 au 11 octobre 2018 s’est tenu dans la salle N°4 de l’hôtel Royal Beach, près de l’échangeur de l’Est de Ouagadougou, un « Atelier sur les cliniques juridiques et l’enseignement clinique du droit », organisé par le Centre d’information et de formation en matière de droits humains en Afrique (CIFDHA), en collaboration avec CINOP Global, une agence indépendante hollandaise de recherche et de consultance spécialisée dans la formation continue, l’enseignement professionnelle, la formation des adultes et le développement des ressources et l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako (USJPB).
L’objectif étant de s’inspirer des expériences burkinabè en matière de cliniques juridiques et renforcer les capacités de l’USJPB afin qu’elle assume le leadership dans la mise en place de cliniques juridiques au Mali, un pays qui ne s’est pas encore totalement remis du traumatisme provoqué par l’occupation du Nord par les groupes terroristes, conséquence du délitement de l’Etat et ses démembrements

Alors que les Maliens se préparent à aller aux urnes le 29 avril 2012 pour élire un nouveau président, une junte militaire conduite par le capitaine Haya Sanogo renverse le 22 mars le gouvernement du président Amadou Toumami Touré (ATT) et proclame le Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat (CNRDRE). Cet événement malheureux qui a créé l’émoi dans tout le pays et sur le continent africain, n’est que la conséquence d’un climat socio-politique qui s’est progressivement dégradé, particulièrement dans la partie nord où des groupes terroristes harcèlent depuis des mois les soldats mal équipés de de l’armée nationale.
Très vite, la communauté internationale condamne le coup de force et exige le retour à l’ordre constitutionnel. La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) s’empare du dossier et envisage des mesures visant la restauration du gouvernement légitime. Mais les choses traînent. Pendant ce temps, profitant du désordre qui règne à Bamako, les groupes terroristes intensifient leurs actions et s’emparent des villes de Gao et Tombouctou. Le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) proclame l’indépendance de l’Azawad début avril.
Après d’âpres négociations combinées à des pressions diverses, la junte finit par remettre le pouvoir aux civils. Le président de l’Assemblée nationale, Dioncounda Traoré est investi président de la transition, à charge pour lui d’organiser des élections libres et démocratiques qui consacrent le retour à une vie constitutionnelle normale. Mais les groupent terroristes ne lâchent pas prise. Après les villes du Nord, ils entreprennent de descendre dans la capitale Bamako, sans rencontrer de véritable résistance.
Face à la débandade de l’armée nationale, le président Dioncounda demande et obtient de la France d’intervenir pour stopper l’avancée des rebelles et éviter la prise de la capitale. Ils sont mis en déroute et mieux, chassés de Gao et Tombouctou deux villes qu’ils administraient selon la charia. C’est finalement Ibrahim Boubacar Keïta qui sera élu en 2013 au deuxième tour du scrutin face à Soumaïla Cissé.

Le pays revient loin et pour conjurer le spectre d’une nouvelle faillite de l’Etat malien, des universitaires entreprennent de refonder les bases de la société malienne en dotant la jeunesse d’une éducation et d’une formation sur l’Etat de droit et la sécurité. C’est ainsi que naît le projet NICHE/MLI/253
intitulé : « Renforcement des capacités de formation en vue d’un meilleur système de la sécurité et de l’Etat de droit » et mis en œuvre à l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako. « Etant donné que nous sommes les bénéficiaires de ce projet, il fallait des experts pour nous aider dans sa mise en œuvre et c’est CINOP-Global qui a été choisie, une agence des Pays-Bas spécialisée dans l’éducation et la formation », explique Kissima Gakou, professeur des Universités et doyen de la Faculté de droit privé de l’université de Bamako, par ailleurs pilote du projet à Bamako. « Quand dans un pays, certains problèmes sont récurrents, c’est que ça ne va pas. Il faut donc former les cadres dans les secteurs clés indexés par le crise », poursuit Kissima. CINOP-Global s’est également chargée de convaincre l’université d’Utrecht d’accepter d’être partenaire de l’USJPB dans la formation sur l’Etat de droit, la sécurité et le genre.
L’SJPB et ses partenaires commencent d’abord par passer au peigne fin le contenu des formations en droit dispensé dans les universités maliennes et découvrent qu’elles ne prennent pas en compte les questions de droit et de sécurité.
Le CIFDHA a été également été coopté comme partenaire technique compte tenu de son expérience en matière de formation sur l’Etat de droit et le renforcement des droits humains. Créé en 2009, reconnu en 2010 et dirigé par Urbain Yaméogo, le CIFDH est une association de droit burkinabè dont la mission est de contribuer à la réalisation des droits humains en Afrique, par la vulgarisation des instruments, la formation, la sensibilisation des jeunes, et le renforcement de capacités des organisations en matière de droits humains. En mai 2017, cette organisation connue pour son dynamisme a obtenu le statut d’Observateur auprès de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples. Elle est donc bien placée qualifiée pour accompagner le projet malien.
« Nous sommes à Ouaga parce que vue les activités que nous devons développer, il était nécessaire qu’on s’intéresse à l’utilité sociale de l’université. Il faut amener l’université vers le justiciable, vers le citoyen lambda afin que l’ignorance recule et ce sont les acteurs sociaux qui peuvent recoudre le tissu social. Le Burkina est en avance sur beaucoup de pays en matière d’associations de défense des droits humains et nous souhaitons capitaliser cette expérience. C’est mieux de voir une fois que d’entendre mille fois », argumente le professeur Kissima Gakou.

La délégation venue de Bamako comprend des professeurs d’université en droit public et droit privé et « ce que nous allons apprendre ici sera partagé au retour de manière à ce que tous les enseignants puissent comprendre et adhérer à la philosophie du projet ». Kissima Gakou avoue être impressionné par les multiples formes d’associations de défense des citoyens opérant sur l’ensemble du territoire burkinabè, à l’image de l’Association des femmes juristes du Burkina, le Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP), le Centre pour la gouvernance démocratique (CGD), ou le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et la Coalition des associations pour la défense du droit au logement (CADDL). Toutes ces organisations ont partagé leurs expériences en matière de clinique juridique et les ressources humaines et financières dont elles disposent pour accompagner les citoyens.
Le projet « Renforcement des capacités de formation en vue d’un meilleur système de la sécurité et de l’état de droit au Mali » a démarré en 2017 pour une durée de quatre ans et vise des résultats qui prennent en compte les besoins en sécurité et de l’état de droit. Coût global : 500 000 euros (327 millions de F CFA) dont 100 000 euros (65 millions de F CFA) réservés aux investissements.
« Le budget sera cogéré entre CINOP-Global et l’USJPB et le devoir nous incombe de rendre compte au gouvernement néerlandais qui en est le bailleur », explique Joop Clappers, Senior consultant, l’œil et l’oreille du projet auprès du gouvernement hollandais.

Joachim Vokouma
Kaceto.net