Assistante de direction arrivée en France en 2003, Claudine Vébamba est devenue l’une des porte-drapeaux de la coiffure burkinabè à Paris.

Le mooréphone qui passe devant le 4 rue, Baudelique, dans le 18e arrondissement de Paris, ne peut continuer son chemin sans marquer une halte, intrigué par l’enseigne d’un salon de coiffure dont le lien avec le Burkina Faso lui parait évident. S’il a encore des doutes, elles seront vite levées s’il franchit la porte et a le courage de lancer, soit, Né Yibéogo, Né Ouinedéga ou Né Zaabré. Il recevra en retour, un « Yi Biaala », de Claudine Vebamba, avec l’accent typique des natifs de Koupéla d’où elle est originaire. « Il y a beaucoup de salons dans le quartier et je voulais un nom qui soit original et radicalement différent des autres. Des amis m’ont dit de choisir un nom auquel les Burkinabè allaient pouvoir se reconnaitre. En cherchant, j’ai trouvé « Poog Néré » qui veut dire « Belle femme » en Mooré (une des trois principales langues parlées au Burkina) ; en plus, on entre au salon pour en ressortir belle », explique la patronne des lieux.
Assistante de direction pendant sept ans à Ouagadougou, Claudine Vebamba est arrivée en France en 2003. « J’ai d’abord fait de petits boulots, ensuite j’ai été secrétaire dans une société qui fait la dépollution. A la fin de mon contrat, j’ai voulu m’installer à mon compte », confie t-elle. Elle a en tête deux projets : le commerce de vin entre la France et le Burkina et l’ouverture d’un salon de coiffure à Paris. Aidée par un cabinet spécialisé, elle rentre faire une étude de marché au Burkina, et réalise que « ça va être très difficile d’émerger dans cette activité, car j’y ai trouvé du vin exactement au même prix qu’à Paris ». Elle parvient néanmoins à écouler un stock de bouteilles qu’elle avait déjà envoyé, et à s’en sortir à temps sans y perdre trop de plumes. Mais elle renonce à livrer à ce qui ressemble bien à une guerre de Titans. Ce sera donc le salon de coiffure.
Comme de nombreuses Africaines, Claudine Vebamba a appris la coiffure sur le tas, depuis l’enfance, en tressant les cheveux des copines ou des sœurs. Mais faire de la coiffure un métier, surtout en France où on exige au moins un CAP, c’est une autre paire de manches. Pis, contrairement à Londres et New-York, il n’y a pas en France, d’écoles de formation à la coiffure pour des cheveux crépus, type afro. Dans celles qui existent, on y apprend à faire du chignon, de la coloration, la coupe, etc., mais uniquement sur les cheveux de type européen. « Pour les cheveux afro, il faut aller à Londres ou New-York et débourser environ 10 000 euros (6,5 millions de F CFA) pour bénéficier d’une telle formation spécialisée », regrette Vebamba.
Consciente de cette carence, l’administration française laisse faire et s’accommode de l’organisation un peu anarchique qui caractérise le business de la coiffure afro à Paris.

Claudine Vebamba ferra donc comme tout le monde. Avec le soutien de la Chambre de commerce Paris, elle s’installe en mars 2014 « en me disant que mon expérience servira pour démarrer en attendant de me perfectionner au contact des autres et par des lectures ». Avec ses économies et son « tour de tontine », elle acquiert les équipements nécessaires pour démarrer. Les débuts sont difficiles. Les clients ne se bousculent pas et il faut payer le loyer. A l’enthousiasme du début succèdent des moments de doute et d’angoisse. Mais Vébamba s’accroche. Elle n’a pas mis toutes ses économies pour renoncer à la moindre difficulté. Elle travaille sans relâche du lundi au samedi, ne descend pratiquement jamais à l’heure. « Quand un client est là, il faut s’occuper de lui, et exceptionnellement, ça arrive que je vienne bosser dimanche », confie cette mère d’un garçon de six ans.
Pour assurer la promotion de son salon, il y a le bouche à oreille, mais elle fait aussi comme tout le monde, et s’attribue les services des rabatteurs postés à la sortie du métro. Ou quand elle croise, par hasard des mooréphones dans le métro. Elle profite également des manifestations organisées dans la diaspora burkinabè pour distribuer ses cartes de visite à ses « ses sœurs et frères », car, même si son nom ne l’indique pas, Poog Néré est un salon mixte.
A présent, Claudine Vebamba voit l’avenir avec sérénité. Elle a déjà payé une grande part du montant du bail et le taux de fréquentation de son salon est plus que satisfaisant. Vebamba a gagné en compétences et le travail s’en trouve mieux soigné. Dans le milieu de la coiffure africaine à Paris, très peu de coiffeuses étudient les cheveux avant de les travailler. Tout se fait sur le tas. On utilise les produits par mimétisme. « Je veux exceller et pour cela, j’ai creusé en étudiant les cheveux dans des bouquins en Anglais. Je sais donc que tous les cheveux crépus n’ont pas la même texture et selon qu’ils sont frisés, en gros ou fin grain, le produit pour les hydrater diffère », explique, pédagogue, Claudine Vebamba.

Pareil lorsqu’il faut assouplir les cheveux et leur donner de la force sans les casser. Il en de même pour le traitement de la peau : « Nous sommes tous Noir (es), mais on n’a pas la même peau ; il y a des peaux sèches, grasses et mixtes, et si on applique un produit pour peau grasse sur une peau sèche, ça ne va pas ». Le néophyte apprend ainsi qu’un nez qui brille le matin, « c’est la preuve que c’est une peau grasse, qu’elle vieillit moins vite, mais a besoin de plus d’entretien que la peau sèche afin d’éviter l’acné ».
Le 4, Rue Baudelique gagne en audience et en notoriété. L’année dernière, c’est chez Poog Néré que les candidates au concours Miss Burkina de France se sont préparées et ont été maquillées. De futurs mariés s’attachent les services de Poog Néré pour être éclatants le jour J. Très majoritairement burkinabè au début, la clientèle s’est diversifiée. « Il y a même des Blanches et des Maghrébines qui viennent faire des tresses chez moi, ou tout simplement se coiffer », révèle Vebamba, la seule salariée pour l’instant.
En moyenne, Poog Néré accueille plus de 120 clients par mois et devrait recevoir un renfort « de gens qui avaient des salons et qui souhaitent me rejoindre ».
De fait, Poog Néré est plus qu’un salon de coiffure, c’est un lieu de vie. On y vient bien entendu pour se faire belle ou beau, mais aussi pour échanger et commenter les nouvelles du pays et rompre momentanément la solitude parisienne.

Joachim Vokouma
Kaceto.net
*Salon de coiffure Poog Néré ; 4, rue Beaudelique ; 75018 ; Metro Simplon