Annulation du concours « Miss Bim Bim », haro sur le clip vidéo de David le combattant titré « C’est doux dèh », présence annoncée puis finalement absence au concert de l’amitié du musicien Camerounais Franko, etc. Insidieusement, une bien-pensance est en train de régenter la vie sociale et culturelle dans notre pays

« Plus rien ne sera comme avant », avait lancé l’ancien président de la Transition Michel Kafando, un slogan qui a sans doute inspiré les détracteurs du concours « Miss Bim Bim » au point d’obtenir son annulation le week-end dernier, alors que l’évènement visait à valoriser les rondeurs de la femme burkinabè. La polémique que l’annonce de ce concours a soulevée est loin d’être un fait ponctuel, circonstanciel, mais s’inscrit dans la défense d’une certaine morale que des individus tentent insidieusement d’imposer dans notre pays via les réseaux sociaux.

Une police des mœurs très chatouilleuse traque les artistes dont les œuvres touchent à la sexualité. Or, la sexualité a toujours été présente dans les chansons traditionnelles et modernes au Burkina Faso. Qui ne se souvient de la chanson « Zambèla » de la famille Bassavet, reprise par Idak Bassavet, un tube bien coquin dont les paroles rappellent qu’une femme ne peut jamais, sous quelque prétexte, refuser de se coucher sur le dos ? Et « Kossed Pissobe » du regretté Mathias Kaboré, qui trouve que la femme vend sa chose très chère à 300 F ? Dans « Panaki Panazoé » de Jean-Claude Bamogo, un classique de la musique burkinabè, plusieurs passages font clairement allusion à la sexualité. Les exemples de chansons provoquantes sont légions surtout chez les chansonniers traditionnels, sans que cela ne trouble l’ordre public.

Autre temps, autres mœurs, serait-on tenté de dire. Désormais, les artistes musiciens Burkinabè doivent composer avec des individus qui se sont auto-proclamés gardiens de bonnes mœurs et dictent ce qui est artistiquement acceptable ou pas, via les réseaux sociaux et les émissions interactives sur les radios. L’artiste musicien Agozo en a fait les frais la semaine dernière, la bien-pensance ayant réussi à faire annuler le concours sous la pression du ministère de la Femme, de la solidarité nationale et de la famille.

Cette censure qui ne dit pas son nom est un frein à la créativité, que beaucoup d’acteurs culturels dénoncent. Surtout que dans le même temps, des courants musicaux comme le Mapouka (encore une histoire de fesses) ou Akobo Poussiere venant de la Côte d’Ivoire voisine ont envahi nos écrans depuis bien longtemps sans susciter la moindre polémique. Le tube Kpoklè qui évoque des prostitués se vendant à 300 ou 400F a permis à ses auteurs de se faire connaitre hors de la Côte d’Ivoire et jusqu’en Europe. Le chanteur DJ Arafat qui est considéré comme un des plus influents sur le continent, chante notamment « Maploly » qui signifie littéralement « faire l’amour », connait un formidable succès.

On peut ne pas aimer un genre artistique ou être en désaccord avec la thématique cher à un musicien, mais on doit lui permettre d’exprimer ses potentialités créatrices. Faut-il conclure que ceux qui ne partagent pas le même avis, qui admirent par exemple « C’est doux dèh » de David le combattant, sont de moralité douteuse ?

Il n’est pas question de défendre l’obscénité qui est tout sauf de l’art. Des tableaux de nus se vendent à prix d’or. L’artiste camerounais Francko n’est finalement pas venu au Burkina Faso à cause de son tube à succès, « Coller la petite », mais combien de Burkinabè fredonnent à longueur de journée cette chanson ?

Selon son promoteur, le concours « Miss Bim Bim » visait à mettre en valeur le postérieur des femmes fortes. Où est la différence avec les autres concours où les filles défilent en sous vêtement ? A moins d’interdire carrément tous ces événements, cette levée de boucliers contre le concours « Miss Bim Bim » qui du reste à refuser du monde, ne semble pas justifiée. Bien entendu, ce ne sont pas des manifestations destinées aux enfants, mais cela relève de la responsabilité des parents.

S’en prendre sans discernement à des manifestations culturelles au motif qu’elles sont obscènes risque d’étouffer la créativité de nos artistes, et par ricochet, entraver le rayonnement de la culture burkinabè.
Un des grands chanteurs français, Georges Brassens continue d’être une source d’inspiration pour de nombreux musiciens, comme le Belgo-rwandais Stromae. Pourtant, le chanteur à la moustache est l’auteur du tube « Le gorille » où il est question d’un singe qui sodomise un magistrat, ou encore « Margot » qui donne le sein à son chat. Il faut donc un peu plus de discernement dans les jugements pour ne pas mettre davantage de frein au développement de notre musique toujours en quête de positionnement dans la sous-région et dans le monde.

D’autant plus qu’avec l’accès aux chaines de télévision satellitaires, nous sommes inondés d’images venues d’ailleurs. Entre la nécessité de préserver des valeurs culturelles qui nous sont chères et la licence où tout et n’importe quoi serait permis, il y a un juste équilibre à trouver. Il appartient aux instances de régulation de jouer pleinement leur rôle afin d’éviter que s’installent des « Ayatollah » des mœurs dans notre pays.

Wendkouni Nazé
Kaceto.net