La meilleure liberté, dit-on, c’est celle qui est garantie par la loi ; celle qui assure la liberté d’aller et venir, d’agir ou ne pas agir. Elle garantie la sécurité de tous en réduisant les inégalités naturelles et sociales. Dès lors, quels risques encourt une société sans lois ou une société dans laquelle la loi n’est pas appliquée ?
Eléments de réponse de notre chroniqueur.

Quelle que soit notre école de pensée, nous pouvons au moins nous accorder sur deux points :
Premièrement, l’être humain est par essence un être social. Il ne peut s’épanouir qu’au contact de ses semblables, en lien avec ses semblables.

Deuxièmement, face au constat évident que nul n’est en sécurité quand règne la loi du plus fort, il a bien fallu se mettre d’accord sur des règles communes afin de pouvoir vivre en société avec un minimum de sécurité pour tous.
C’est ce que Hobbes, Locke ou Rousseau ont tenté de définir chacun à sa manière.

Figure 1 Le Contrat Social selon Hobbes, Locke et Rousseau ((c) François Jourde, 2010)

Dès lors se pose la question de savoir pourquoi nous nous évertuons à nous doter de lois que nous pensons inapplicables, et que nous n’avons d’ailleurs en général nullement l’intention d’appliquer.
L’argument classique, c’est celui des lois (et institutions importées), « Copier/Coller ». L’idée étant que nos lois ne sont pas adaptées à notre contexte culturel.
Cette conception revient à penser le droit (système juridique et judiciaire) comme simplement la codification des valeurs d’une société figée dans le temps.
Or, le droit est normatif. Il ne dit pas ce qui est ; mais ce qui doit être, ce qui est souhaitable pour le progrès social.
Le caractère normatif du droit est son aspect le moins bien compris sous nos cieux car il revêt le plus souvent un aspect universaliste qui déplaît par chez nous car vécu comme imposé par l’Occident à travers les conditionnalités de l’Aide publique au développement.
La coutume est certes la base du droit, mais il ne viendrait à l’idée de personne de légaliser par exemple, les lynchages et de violations de domiciles privés par des foules en colère au motif que ce phénomène est endémique chez nous et que les populations ont de bonnes raisons de le faire !
Cet argument éculé ne peut suffire à rendre compte de ce qui relève bien du refus d’appropriation de normes que nous savons pourtant justes et pertinentes.
Mardi dernier déjà, notre tribune était consacrée à l’ineffectivité du caractère laïc de notre république tel qu’affirmé par l’article 31 de notre constitution.
Depuis, nous avons appris la création d’un parti politique par le pasteur évangélique MC Pierre Claver Yaméogo, propriétaire d’une Église et ce en violation flagrante de la constitution qui interdit les partis politiques à caractère confessionnel.
Nul doute que dans la formulation des statuts de son MRP, il a dû veiller à respecter la lettre de l’article 13 de la constitution qui stipule que :
" […]
Toutefois, ne sont pas autorisés les partis ou formations politiques tribalistes, régionalistes, confessionnels ou racistes."
De même, il a dû éviter d’être ouvertement en porte à faux avec l’article 4 de la Charte des partis politiques (Loi n° 032-2001/AN) qui précise :
"Les partis et formations politiques doivent, dans leur programme et dans leurs activités, proscrire l’intolérance, le régionalisme, l’ethnocentrisme, le fanatisme, le racisme, la xénophobie, l’incitation et le recours à la violence sous toutes ses formes.
Aucun parti ou formation politique ne peut fonder sa création et son action sur une base et/ou des objectifs comportant :
  le sectarisme et le népotisme ;
  L’appartenance exclusive à une confession religieuse à un groupe linguistique ou à une région ;
  L’appartenance à un même sexe, à une même ethnie ou à un statut professionnel déterminé."
La loi n’interdit certes pas expressément à un leader religieux de fonder un parti politique. Mais que vaut la lettre de la loi là où l’« esprit de la loi » est absent ?
Le risque d’amalgame et de mélange des genres est évident.
Nul doute que si ce dangereux précédent du Bishop MC Pierre Claver Yaméogo prospère, d’autres initiatives du même genre suivront.

En matière de droit pénal, il me sera difficile de faire mieux que le praticien qu’est Maître Arnaud OUEDRAOGO dans son excellent article intitule “Journal d’un vacancier de la justice”, paru le 18 octobre 2016 sur le journal en ligne lefaso.net (http://lefaso.net/spip.php?article73692).
Il y décrit par le menu la manière dont notre justice pénale sert principalement :
  à la diabolisation politique ;
  à la diversion politique ;
  au populisme…
Parmi les exemples les plus significatifs en la matière, furent ces marches et manifestations orchestrées pour protester contre les mises en liberté provisoires.
Il faut dire que notre justice à tellement l’habitude des mises en détentions préventives interminables que cela a pu apparaître comme la norme aux yeux de beaucoup.
La justice expéditive des Kogl-weogo ainsi que les lynchages ne sont-ils pas justifiés par l’absence ou la trop courte durée de détention préventive ?
On veut voir des gens en prison. Pas les juger, et encore moins leur assurer un procès équitable !

En matière de propriété foncière, deux droits cohabitent sans agencement cohérent : le droit coutumier dont le principe est l’indivision, et le droit civiliste se caractérisant par le titre propriété.
De nombreux conflits dits intercommunautaires ont pour source l’incompatibilité du rapport à la terre qu’il y a entre ces deux systèmes.

Le code civil et le code de la famille sont les deux textes qui régissent le plus notre vie au quotidien. Et pourtant, l’énumération des violations de ces textes est une tâche herculéenne tant ils sont bafoués en permanence.
Retenons les cas de viols, d’excision, d’enlèvements rituels de jeunes filles, de mariages précoces, les brimades et exactions contre les LGBT, de voies de faits, etc.

Maitre Arnaud Ouédraogo résume tout cela par une formule : « On aime les lois mais on déteste la Loi ».
Nous avons beaucoup de textes. Souvent d’excellente qualité. Mais nous ne sommes pas régis par ces textes et « tout le monde le sait. »
Mais alors, si ce n’est pas la loi qui fixe les règles de la vie en société, qu’est-ce qui les fixe ? Quelles règles communes ?

Cela aboutit au sentiment général, confus et diffus, qu’il n’y a pas de justice ! D’où la défiance vis-à-vis de la puissance publique, mais également la fragilisation du tissu social.
Or, selon le philosophe polonais Andrzej Leder : « Ceux qui se sentent victimisés ont un cœur de pierre. Si une société comporte suffisamment de gens qui se perçoivent eux-mêmes comme victimes, de quelle que façon que ce soit, la réaction générale aux malheurs des autres va tendre non pas à l’empathie, mais à la haine.
L’instinct dicte que la sympathie est une ressource rare, et qu’elle doit être réservée aux siens et non pas dilapidée pour des rivaux.
C’est comme si la société était bloquée dans un état de compétition entre les souffrances, entrée en compétition les unes avec les autres. »

Au delà son substrat ethnique évident, le pogrom des Peulhs de Yirgou et sa gestion par les pouvoirs publics est un concentré de l’imbroglio de tous nos renoncements et de toutes nos petites lâchetés avec la loi.
Si nous trouvons nos lois inadaptées, adaptons-les mais appliquons-les pour la sauvegarde de tous et de chacun.

Maixent SOMÉ
Analyste politique
Kaceto.net