Comment les médias ont-ils couverts les tueries de Yirgou, intervenues dans la nuit du 31 décembre 2018 au 1er janvier 2019 ciblant les membres de l’ethnie peule ?
Décryptage sémantique par notre chroniqueur

Dans la nuit du 31 décembre 2018 au 1er janvier 2019, une attaque meurtrière est menée à Yirgou, un village de la commune de Barsalogho situé au Nord du Burkina Faso. Les assaillants abattent six personnes dont le chef du village et son fils. S’en suivent des représailles meurtrières, perpétrées du 1er janvier au 2 janvier 2019 par le groupe d’auto-défense (koglwéogo) local dont les membres sont essentiellement issus de l’ethnie des Mossés.
Ces représailles encore plus meurtrières ont ciblé uniquement des personnes de l’ethnie Peule rapidement accusées de complicité avec les djihadistes (On observe la même mise en accusation aveugle et extrajudiciaire des Peuls au Mali, pour les mêmes raisons, avec les mêmes conséquences. Il y a donc là un lourd sujet à traiter avec grand soin).
Il faut dire que depuis 2015, le Nord et l’Est du Burkina Faso sont le théâtre d’attaques djihadistes. Le 31 décembre 2018, alors même que l’attaque de Yirgou ne s’était pas encore produite, me semble-t-il, le président Roch Marc Christian Kaboré décrétait l’Etat d’urgence, suite à une attaque djihadiste meurtrière à Loroni, un village situé près de la frontière avec le Mali.
C’est la mise en scène médiatico-langagière de ce drame de Yirgou que j’ai regardée en analysant le contenu d’articles significatifs y référant. Ces articles ont été publiés sur le Web francophone entre le 1er janvier 2019 et le 15 janvier 2019. Je les ai regroupés en un seul fichier, mais en suivant un ordre chronologique partant du plus ancien au plus récent de la période considérée.
L’analyse de ce corpus ainsi récolté a permis d’identifier 22 groupes de références sémantiques qui ont structuré le discours médiatique sur les évènements de Yirgou durant les deux semaines considérées.
Pour mettre en évidence la dynamique de ces 22 groupes de références sémantiques dans les discours, j’ai calculé la fréquence d’occurrence de chacun d’eux dans les deux moitiés du corpus (temps T1 et temps T2 du discours : voir tableau ci-après).
Il ressort de cet exercice que 13 groupes de références sémantiques ont été plus mentionnés dans le premier temps (T1) des discours médiatiques, quand les 9 autres groupes sémantiques l’ont plutôt été dans le deuxième temps (T2) de ces discours (voir Tableau ci-après).

Quelques observations sur les deux temps des discours médiatiques sur le drame de Yirgou
Le premier temps du discours médiatique met en avant :
  Une « attaque » qualifiée de « terroriste » contre un « Chef » de « village » » et des membres de sa « famille ». Suivie d’« affrontements », parfois qualifiés d’intercommunautaires, dont les Peuls de Yirgou payeront un lourd tribut : c’est l’évènement central ;
  L’ensemble des personnes directement concernées : « personnes, gens, populations ; communautés » ;
  Le « bilan » macabre : « morts, victimes » : il passera officiellement de 13 à 49 morts. Mais aujourd’hui des organisations de la société civile font état de 72 morts et de 6000 déplacés ;
  Un « exécutif politique » en première ligne, interpellé, observé, critiqué certes, mais parfois soutenu (il s’agit ici de M. Roch Marc Christian Kaboré, président du Faso, Chef de l’Etat et son gouvernement) ;
  Des « responsabilités » à situer ;
  Des appels au « calme », à la « retenue », « à éviter le piège » tendu par des ennemis insaisissables du pays.
Quant au deuxième temps du discours médiatique, il se distingue par :
  Une mise en avant du caractère particulièrement sidérant, horrible de ce qu’il s’est passé ces jours sombres du 31 décembre 2018 au 2 janvier 2019 à Yirgou. D’où l’usage des termes « massacre », « drame » ; « barbarie », « tuerie ». Il faut dire que de mémoire d’homme, un drame de cette nature et d’une telle ampleur ne s’était jamais produit au pays des Hommes intègres.
  Une mise en scène des problèmes, des difficultés et des questions (dont celle des « koglwéogos » en particulier - groupes d’auto-défense partout présents au Burkina ) que la situation révèle crûment ;
  Une mise en avant de « protestations » et de « condamnations » qui se font ainsi entendre, de « marches » et de « meetings » qui sont organisés ici ou là, notamment par des organisations de la société civile (« osc ») et des partis politiques de tous les bords ;
  Mais, face à l’horreur inédit et à la stupeur, il est heureux de constater que ce deuxième temps du discours médiatique fait le choix de mettre en avant l’appel à la « justice » républicaine pour confondre et punir les coupables des crimes commis. En creux, c’est le plébiscite de l’Etat de droit républicain pour que force revienne à la loi et parce que force doit toujours revenir à la loi.
  Il est également heureux de constater la saillante des appels aux « valeurs », à la « paix », à la « cohésion », à l’ « unité », à la « solidarité » de tous les « Burkinabè » et donc au rejet de toute forme de « stigmatisation ». Remarquons d’ailleurs que si les discours pointent parfois des phénomènes d’ « affrontements intercommunautaires » et de « stigmatisation », ils se gardent bien de réduire le drame de Yirgou à une simple conséquence d’un sourd ostracisme radical et haineux « Mossés » versus « Peuls ». Ce serait faux et injuste. Gardons ce sens de la mesure et de la retenue. Evitons de jeter de l’huile sur le feu. Tout en regardant nos réalités culturelles, sociales, socio-politiques et géopolitiques en face et en étant lucides sur leurs forces et leurs faiblesses. Il y va de la pérennité de la grandeur d’âme de notre peuple, le peuple burkinabè. Celle-là même dont nous avons besoin pour combattre et vaincre ceux qui, motivés par de lugubres projets, n’hésitent pas à brûler nos écoles, à tuer nos enseignants, nos concitoyens, les forces mobilisées pour notre sécurité et la défense de notre cher pays, à jouer de nos faiblesses pour nous monter les uns contre les autres, nous amenant ainsi tranquillement à l’auto-destruction certaine.

Ousmane SAWADOGO, chroniqueur,
Kaceto.net