Suite à notre réflexion sur le processus d’émergence de la forme républicaine du pouvoir d’État dans l’histoire, nous jetons, ici, un regard, plus ou moins critique, sur les rapports entre cette même forme de souveraineté en Afrique et les autorités
dites « coutumières et religieuses » dont l’influence morale sur les communautés et les interférences sur le politique africain sont indéniables.

Naturellement, notre approche n’est point identique à celle des constitutionnalistes qui ont d’ailleurs indiqué de belles pistes sur la nécessité, pour la loi, d’être plus explicite et plus formelle sur le statut des pouvoirs coutumiers et religieux dans nos jeunes démocraties d’Afrique. Sous cet angle juridique, le Docteur Augustin Loada, a magnifiquement balisé le débat, en s’inspirant de l’exemple de la république du Ghana Point n’est donc besoin, à notre sens, de revenir sur cette nécessité de régler la question, pour assainir la vie des républiques africaines en quête de leur originalité. Nous tentons alors ici de répondre à une autre question qui est, pour le moins, suspecte et qui est la suivante : Quel peut être la saine contribution des pouvoirs coutumiers et religieux à la vie de nos républiques laïques d’Afrique ?
Nous tenons, avant tout, à circonscrire le cadre dans lequel l’interrogation est faite. Il n’est point question de chercher des pistes qui ramèneraient l’humanité vers une nouvelle confusion du politique et du religieux. Nous partons simplement du constat que le citoyen africain, non de nature mais de culture, est encore très imbibé des références coutumières et religieuses dans sa perception de l’être ensemble en société. Son recours ultime, c’est encore le sacré, l’ancestral, le divin. Nos constitutions, nos lois, nos institutions, nos républiques ne sont, pour une écrasante majorité des Africains, que des « affaires de blanc » auxquelles il faut s’accommoder par conformisme des temps. Cette situation historique, et peut-être transitoire, est , malheureusement le terrain propice à toutes sortes de parasites qui dévorent la vie des démocraties républicaines d’Afrique . Moult citoyens considèrent encore que tout pouvoir vient de Dieu et des ancêtres, et que leurs représentants attitrés, sur terre et dans le visible, sont les mieux indiqués pour être électeurs ou éligibles.
On comprend dès lors les trafics d’influence que les acteurs politiques sollicitent, pendant les campagnes électorales et plus ou moins visiblement, auprès des milieux coutumiers et religieux. Sur ce point, notre opinion est républicaine. Nous pensons que les coutumes ancestrales, et tous les pouvoirs qui en découlent, sont à cultiver en tant que références de nos identités culturelles africaines, sans interférences sur le contrat social et les institutions républicaines. Les Mansa, les Naba, les Tengsoba, les Nana, les Dozos, les Kolgowégo, tout cela a bien fait la gloire et la fierté de nos pères. Nous devons et nous pouvons sauvegarder cette mémoire du passé sans cependant gangrener l’émergence d’une Afrique nouvelle. Pour ce qui concerne les deux grandes religions venues d’Arabie musulmane et d’Occident chrétien, et qui se partagent l’Afrique contemporaine, elles ne peuvent exister et coexister, en harmonie avec la république et ses valeurs, que sous le mode de la vie privée ou associative, sans velléité de proposer ou d’imposer des normes du vivre-ensemble dans l’État.
En bilan transitoire, nous retenons que les républiques d’Afrique doivent œuvrer à ce que les lois balisent la présence des forces coutumières dans la républiques, sans que, non plus, le politique n’ait à s’immiscer dans les affaires de confessions, de religions et de cultes. Mais, nos options de républicains ne doivent pas nous empêcher de voir que le religieux et le coutumier constituent des sources de pouvoirs moraux qui fondent et orientent la conscience de bon nombre de citoyens. À ce titre, il est envisageable , non de les mettre au service de la république, mais de légaliser leur contribution, historiquement fréquente, dans le dialogue national des forces qui animent la vie républicaine. Une telle suggestion a fait ses preuves historiques dans les crises des années 1990. En effet, lorsque les protagonistes furent en situation de rupture du dialogue et de crise aiguë de confiance, c’est finalement l’autorité religieuse qui a pu éviter le pire à bien de pays, en se proposant comme force neutre de médiation, de réconciliation et de refondation du contrat sociale.

L’histoire d’un pays comme le Burkina Faso a laissé voir cette intervention salutaire dans la vie de la république. En effet, lorsque le 31 octobre 2014, le président Blaise Comparé démissionne, le Faso, la version burkinabé de la république, est dans l’impasse totale. Le président sortant renvoie à l’article 43 de la constitution, qui dispose que la transition doit être assurer par le président du sénat ; mais le sénat n’a pas été constitué ! On pense à l’armée ; mais, la constitution de la quatrième république n’a pas reconduit cette fameuse disposition de la deuxième république, qui donnait, en cas de crise grave, le pouvoir suprême à l’officier le plus ancien dans le grade le plus élevé de l’armée !
L’opposition, même si la république lui a donné un chef de file, ne dispose pas non plus d’aucun mécanisme pour conduire une transition ou désigner un président transitaire. C’est alors que beaucoup se souvinrent qu’il y a dans la république, des autorités qui détiennent des pouvoirs moraux sur les Burkinabé. Ils coururent auprès d’elles, soit pour quérir de la légitimité, soit pour s’y mettre à l’abris des forces déchaînées de la république. Jusque que là, dans ce pays, en l’absence des urnes, c’est la force des armes et l’écho des médias qui ont donné la légitimité à ceux qui se sont emparé du pouvoir à travers les régimes d’exception. La situation de 2014 était inédite. Toutes les forces de la république se trouvèrent dans une posture de discrédit politique ou d’incompétence juridique. La république était à terre et seul un recours aux forces morales de la nation pouvait crédibiliser sa renaissance. Dans cette impasse historique inédite, les pouvoirs coutumiers et religieux ont alors joué le rôle qu’il fallait, comme ils le firent pendant la grave crise Norbert Zongo de 1998, pour donner un minimum de consensus à un nouveau départ national. Leurs sceaux sur la charte de la transition et ce regard témoin des institutions de la communauté internationale donnaient au document un caractère à la fois sacré et humaniste.

Zassi Goro ; Professeur de Lettres et de philosophie
Kaceto.net