Comme le veut la Constitution burkinabè en son article 60, le 18 février 2019, le premier ministre Christophe Joseph Marie Dabiré, nommé le 21 janvier 2019 a prononcé son Discours de politique général devant l’Assemblée Nationale, engageant ainsi sa responsabilité et celle de son gouvernement sur la politique qu’il entend mener.
Le 5 février 2016, son prédécesseur, Paul Kaba Thiéba, avait sacrifié à cette même tradition républicaine. En tant qu’observateur de la scène politico-médiatique burkinabè j’ai voulu savoir ce qui diffère dans ces deux discours dans leur mise en scène langagière.
Décryptage.

Le tableau des indices de spécificités formelles :

La comparaison des deux discours Thiéba versus Dabiré laisse apparaître quelques indices de spécificités formelles :
Le discours d’investiture de l’ancien premier ministre Paul Kaba Thiéba fait un usage plus saillant des « verbes d’action » (renforcer, mettre en œuvre, améliorer, prendre, créer…), des « modalisateurs de temps et de lieu » (déjà, au cours de, à l’horizon de, immédiatement… au sein, au cœur, vers, en vue, dans le cadre de, au niveau de…) et des « adjectifs objectifs » (étroit, élevé, nouveau, budgétaire, national, territorial, local, régional…). Les adjectifs objectifs décrivent des réalités qui se veulent indépendantes du point de vue du locuteur. Au total, ces saillances consacrent un style plutôt descriptif, froidement analytique (comme si le locuteur se contentait de dévoiler le réel qui s’imposait), adossé à une mise en scène qui se montre dynamique et inscrite dans le temps/espace.

Quant au discours de l’actuel premier ministre Christophe Dabiré, il se distingue par un usage nettement plus significatif des « modalisateurs d’intensité » à effet dramatisant (tout, toute, pleinement, particulièrement, plus, de plus en plus ; véritablement…), des « adjectifs subjectifs » indiquant un jugement de valeur ou une réaction émotionnelle, un point de vue (digne, vigoureuse, émotionnelle, malheureux, horrible, indispensable, important, soucieuse, vulnérable…), du pronom personnel de première personne « je, me, moi » et, dans une moindre mesure, du pronom personnel de la deuxième personne du pluriel « nous » (ce « nous » de totalisation politique, notamment en début et en fin de discours).
Ces spécificités formelles dénotent un engagement illocutoire dans un style fort énonciatif. On se souviendra, en particulier, des larmes du premier ministre Christophe Dabiré à la fin de sa déclaration, au moment de son appel solennel à l’unité nationale. Ces larmes qui rassurent les uns et inquiètent les autres… bref, chacun y va de son interprétation.

Le triptyque relationnel « politique », « économie et finance », « social et humain »

L’analyse du contenu des deux déclarations a permis de mettre en évidence trois univers de référence fortement structurants : l’univers « politique » (ici représenté par l’évocation du président de la république et du gouvernement), l’univers « économique et financier » (économie, consommation, production, productivité, croissance… mais aussi finance, budget, impôt…) et l’univers « social et humain » (santé, éducation, justice, sécurité, jeunesse, femmes, enfants, etc.). L’analyse de la structure relationnelle de ce triptyque laisse, là encore, apparaître des spécificités formelles significatives (voir les graphiques relationnels ci-dessus) :
La déclaration d’investiture de l’ancien premier ministre Paul Kaba Thiéba montre une centralité du rapport actanciel du champ « économico-financier » (58% du triptyque orientés vers le champ « social et humain »). Quant à la déclaration du nouveau premier ministre Christophe Joseph Marie Dabiré, elle se distingue de celle de son prédécesseur par le rôle actanciel plus important accordé à la sphère « politique » (63,3% du triptyque distribué entre la sphère « social et humain » et la sphère « économique et financière »).
En grossissant à peine le trait, disons qu’un « militant politique » succède à un « économiste-financier appelé en politique ». Peut-être que le moment que le pays traverse aujourd’hui l’exige.

Bon vent au premier ministre Christophe Joseph Dabiré.
Grand merci à Paul Kaba Thiéba pour les services rendus et les sacrifices consentis pour notre chère patrie, le Burkina Faso.

Ousmane SAWADOGO,
chroniqueur, Kaceto.net