Par ce thème, nous interrompons la progression précédemment annoncée de notre réflexion, pour faire, ici, le point de l’évolution du statut de la femme à travers les mutations politiques qui ont conduit au surgissement de la république dans l’histoire de l’humanité. Ce choix, tout en étant libre, a été suggéré par l’actualité qui vient d’être marquée par la commémoration de la 162ème journée internationale des droits de la femme.

Revenir sur ce débat du statut de la femme dans la cité, peut sembler passéiste, à une époque où bien de républiques ont déjà confié le pouvoir suprême, ou d’autres hautes fonctions de la république, à des femmes. Les exceptions ne doivent cependant pas nous faire croire que l’ère des républiques a pu abolir tous les préjugés nourris contre la participation de la femme à la conduite de la chose publique. Bien sûr, sur papier et dans les termes du droit positif, les femmes, excepté dans quelques monarchies d’inspiration religieuse, ont conquis et acquis le statut de dignes citoyennes, susceptibles d’assumer les plus hautes responsabilités politiques dans l’État républicain. Mais, dans les faits, les femmes sont encore largement minoritaires dans les instituions législatives et trop souvent confinées, dans l’exécutif, à des portefeuilles ministérielles qui symbolisent le refus social de leur confier des affaires sérieuses. Tout naturellement, la situation varie d’un pays à l’autre, d’une culture à l’autre, d’une idéologie politique à l’autre.
Pourtant l’histoire laisse voir, que les femmes ont été de tous les combats pour la liberté, l’égalité et la souveraineté populaire ! C’est dans leurs salons, et souvent à leurs charges, que toutes les idées républicaines ont été cultivées, discutées et véhiculées au siècle de Voltaire, de Rousseau, de Montesquieu et de Robespierre. Sous d’autres cieux et dans d’autres cultures, quand rien n’allait pour les hommes épuisés par le combat et la force de l’adversaire, ce sont les femmes, munies de pilons, de spatules, d’écuelles, de balais, récitant, en lieu et place des guides spirituels masculins, coran, bible et autres textes sacrés, portant revêtements de guerre mais tenant armes de paix, qui obtenaient la solution finale, le retour à l’ordre naturel contre le désordre, la victoire du peuple contre la tyrannie. La république, la liberté, l’égalité entre les hommes, la dignité pour tout homme, tout cela a été conquis avec la contribution de la sueur et du sang des femmes.

Pourquoi alors la question de leur pleine participation aux institutions républicaines continue encore à faire l’objet de réserves ?
Il faut peut-être nous souvenir que le statut politique de la femme est le reflet de son statut ontologique issu des mythes et des croyances religieuses. Pour les trois religions dites révélées, la femme est une créature secondaire tirée de l’homme, par Dieu, dans l’unique but de l’accompagner et de le mettre à l’abri de la solitude. C’est à l’homme que Dieu confia la terre, et c’est par la faute d’Ève, la femme, que le mal et la damnation entrèrent dans le cœur de l’humanité. La conséquence sociale de cette croyance a été lourde pour la femme. On en a déduit qu’elle se résume au principe corps et qu’elle est incapable de s’élever à l’échelle du principe esprit. À ce titre, elle est considérée comme source de toutes les impuretés, de toutes les passions et viles tentations qui l’éloignent de la lumière et de la sagesse. On comprend dès lors qu’elle soit aussi écartée de toutes les affaires sereines et sérieuses qui concernent les destinés de la cité. Toutes les autres civilisations, s’appuyant sur des mythes similaires ont, elles aussi, renvoyé la femmes à des tâches domestiques et de gestion de la vie privée, en lui fermant les portes de la vie publique. Les femmes d’exceptions passèrent alors, soit comme des fées envoyées par les dieux ou les ancêtres, soit comme des usurpatrices, des sorcières contre naturelles, soit comme des instruments à utiliser à des besognes de guerrières impitoyables ou de diplomates espionnes, vicieuses, tentatrices, pour leurs supposées témérité et cruauté naturelles, pour aussi leur ingéniosité considérée diabolique.
Contre tous ces préjugés et croyances, les idées des philosophes ne purent rien faire dans toute l’antiquité. Dans ses œuvres « La République » et « Les Lois », on voit, par exemple, le philosophe grec Platon se débattre pour établir que la femme et l’homme d’une même catégorie naturelle ont les mêmes prédispositions dans la vie politique. On peut notamment lire sous la plume de cet illustre disciple de Platon : « Il n’y a donc pas d’activité des administrateurs d’un État qui appartienne à une femme parce qu’elle est une femme ou à un homme parce qu’il est un homme. Mais les capacités naturelles sont distribuées de la même façon au sein de l’une et l’autre de ces catégories, et les femmes participent naturellement à toutes les activités et les hommes à toutes… ». Une telle pensée n’avait aucune chance d’émerger socialement dans ce contexte de croyances millénaires véhiculées ; au contraire, le surgissement du catholicisme en Occident, et plus tard celui de l’islam en Arabie, viendront renforcer les préjugées défavorables à l’épanouissement politique de la femme. Ces préjugés s’enracineront alors fortement dans la conscience des peuples, ou peut-être dans leur inconscient collectif, pour des siècles. En conséquence de cet héritage socioreligieux, malgré la charte de Kurukanfugan, dans laquelle les peuples Mandés, sous Soundjata Keita, ouvraient la vie publique aux femmes, malgré la naissance douloureuse de la réforme du christianisme et de courants religieux plus favorables à la féminité, malgré les combats de ces héroïnes nationales légendaires ou réelles, malgré la proclamation des révolutionnaires de 1789 , malgré tous les combats socialistes et ouvriéristes des XIXe et XXe siècles, la perception populaire de la femme et son statut de fait dans les institutions publiques n’ont que très peu évolué.

Au bilan, il faut retenir que toutes les étapes de notre histoire ont contribué à faire de petits pas vers l’égalité entre hommes et femmes dans la vie publique. Au siècle des Lumières, Le Marquis de Condorcet, orphelin de père et élevé par une mère bienveillante, était l’un des rares républicains à soutenir ouvertement la dignité politique des femmes dans la république ; son combat ne fut pas vain, même si la victoire est arrivée bien plus tard ! En effet, ce n’est qu’après l’extraordinaire mobilisation des françaises contre le nazisme, que la France, surmontant ces traditions catholiques conservatrices, fut obligée de leur concéder le droit de vote en 1944. Le système des Nations Unies qui germera de cette terrible guerre contre les régimes totalitaristes, ira d’ailleurs dans le même sens, pour le plus grand bonheur de toutes les femmes de ces jeunes républiques, d’Afrique et du reste de la planète, que la fin du colonialisme laissera sur la scène du monde.
Mais, être électrice, juste pour donner sa voix à des hommes qui veulent gouverner sans la femme, n’est pas l’idéal dans cette affaire ! Les républiques et les démocraties contemporaines se doivent plutôt d’évoluer vers cette étapes où nous accepterons, tous, que la femme peut diriger, avec sagesse, une nation et qu’elle peut légiférer sans passions. Sur ce plan, les Français et les Américains devraient peut-être jeter un coup d’œil chez les Allemands, les Anglais, les Brésiliens, les Libériens !
Quant à nous Burkinabé, nous aurions dû, peut-être, faire l’essai de la magistrature suprême au féminin, avec cette intrépide concitoyenne qui fut présélectionnée parmi les candidats proposés à la présidence de la dernière transition politique ! Nous n’avons pas pu le faire, mais il nous reste encore la possibilité de prendre au sérieux nos concitoyennes qui, mesurant tous les inconvénients, pour la femme, de l’engagement publique en politique, solliciteront notre suffrage pour les mandats républicains du Faso. Plein succès au débat sur la parité hommes-femmes au sein des institutions politiques des pays africains.

Goro Zassi ; Professeur de Lettres et de Philosophie
Kaceto.net